« La crise de l’éducation publique en Haïti : un système paralysé par l’insécurité et les négligences de l’État »-POHDH…

photo:Unicef/Ecoliers haitiens

PORT-AU-PRINCE, vendredi 24 janvier 2925Le système éducatif haïtien traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire, marqué par des difficultés structurelles aggravées par l’insécurité croissante et la négligence des autorités. Selon un rapport d’enquête publié par la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH) pour la période allant de septembre à décembre 2024, les écoles publiques du pays fonctionnent, pour la plupart, dans des conditions déplorables. Ce document dresse un tableau accablant de la situation, soulignant que l’éducation publique, censée être un droit fondamental garanti par la Constitution haïtienne, est aujourd’hui en péril.

Le rapport indique que sur les trente établissements scolaires visités ou contactés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, seulement dix fonctionnent dans leurs locaux habituels. Les autres sont soit fermés, soit déplacés en raison de la violence qui ravage les zones où ils se trouvent. L’un des exemples les plus frappants concerne le Lycée Alexandre Pétion, l’un des plus anciens du pays, qui a dû abandonner son bâtiment historique situé à la rue Borgella à cause de l’insécurité. Après avoir été temporairement hébergé par le Collège Dei Virtus, il s’est finalement installé dans les locaux de l’Université Américaine des Sciences Modernes d’Haïti (UNASMOH), où les conditions restent précaires. « Le lycée fonctionnait autrefois avec 24 salles de classe, une salle informatique, une bibliothèque et une cafétéria. Aujourd’hui, il ne dispose que de 11 salles de classe, chacune accueillant entre 60 et 70 élèves », déplorent les responsables de l’établissement.

Les infrastructures constituent une autre source majeure de préoccupation. Le rapport décrit des scènes où des élèves sont contraints de suivre les cours en plein air, assis à même le sol ou sur des pierres, par manque de mobilier scolaire. Dans certains établissements, plusieurs écoles doivent partager le même espace, ce qui oblige à fusionner des classes ou à réduire les jours de cours. Par exemple, le Lycée Frits Pierre Louis, incapable de retrouver un local permanent, ne fonctionnait jusqu’à récemment que les week-ends pour permettre à d’autres écoles d’utiliser les mêmes locaux les jours de semaine.

La violence endémique joue un rôle central dans cette désorganisation. Selon le rapport, environ 3 000 écoles dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite sont affectées par l’insécurité. Certaines écoles, comme la République du Chili et la République du Brésil, situées dans des zones dites « rouges », continuent de fonctionner malgré la menace constante des gangs. « Nous recevons parfois des visites des bandits dans l’enceinte de l’école. Ils ne demandent pas d’argent, mais leur simple présence est source d’angoisse », témoigne une directrice d’établissement.

Outre l’insécurité, la situation économique des familles aggrave les défis du secteur éducatif. Les parents, eux-mêmes souvent déplacés ou appauvris par la crise, peinent à payer les frais de scolarité ou à acheter des fournitures pour leurs enfants. Le rapport révèle que les écoles publiques manquent cruellement de ressources pour fonctionner, les maigres frais collectés auprès des parents étant insuffisants pour couvrir les besoins de base. « Nous n’avons même pas les moyens de fournir des bancs à nos élèves, encore moins des manuels scolaires », rapporte un directeur.

La faim est un problème omniprésent. Si certains établissements bénéficient de programmes de cantine scolaire, beaucoup d’autres n’ont pas cette chance, laissant les élèves affamés tout au long de la journée. Ce manque de nourriture affecte non seulement leur concentration, mais également leur santé.

Le rapport souligne également l’absence totale de programmes d’accompagnement psychosocial pour les élèves et les enseignants, alors que les traumatismes causés par la violence et les déplacements de population sont palpables. Les responsables scolaires rapportent des cas fréquents d’élèves souffrant de troubles de la concentration, d’agitation ou de crises de larmes inexplicables. Ces manifestations sont souvent attribuées, à tort, à des causes mystiques en l’absence de personnel qualifié pour diagnostiquer et traiter ces troubles.

Dans les camps de déplacés, la situation est encore plus dramatique. La plupart des enfants vivant dans ces camps n’ont pas pu retourner à l’école, soit parce qu’ils n’ont pas été inscrits, soit parce que leurs parents n’ont pas les moyens de leur acheter des uniformes ou des fournitures scolaires. Selon le rapport, beaucoup de ces familles, qui ont tout perdu, vivent dans une détresse économique et sociale absolue.

Face à cette situation alarmante, la POHDH ne mâche pas ses mots pour critiquer l’inaction des autorités. « La situation actuelle est le résultat direct de la mauvaise gestion de l’État, en particulier du ministère de l’Éducation nationale, où la corruption et les gaspillages règnent en maîtres », accuse le rapport. Il rappelle que l’éducation est un droit fondamental, reconnu par l’article 22 de la Constitution haïtienne et les instruments internationaux ratifiés par le pays, tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Pour remédier à cette crise, la POHDH appelle le gouvernement haïtien à prendre des mesures urgentes. Elle exhorte le ministère de l’Éducation nationale à trouver des solutions durables pour garantir le bon fonctionnement des écoles publiques, notamment en sécurisant les locaux scolaires, en fournissant du mobilier et des matériels pédagogiques, et en relançant les programmes de cantine scolaire. Elle recommande également la mise en place de cellules de soutien psychosocial et de services de premiers soins dans les écoles, en collaboration avec le ministère de la Santé publique.

Le POHDH appelle les autorités haïtiennes à assumer pleinement leurs responsabilités et à agir avec diligence pour sauver ce qui reste du système éducatif du pays. « Si rien n’est fait, les générations futures risquent de payer le prix fort de cette faillite », avertit la plateforme.