« La Cour d’Appel n’a pas œuvré à redorer le blason de la justice haïtienne dans le dossier de corruption de la BNC » selon le RNDDH…

Louis Gerald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustins, conseillers-presidents, membres du CPT...

 PORT-AU-PRINCE,décrédibilise 26 février 2025- Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) affirme prendre acte de l’arrêt-ordonnance de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, rendu en date du 19 février 2025, relatif au scandale de corruption de la Banque Nationale de Crédit (BNC) ayant débouché sur l’inculpation des trois conseillers présidents Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles.

Le 2 octobre 2024, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a transmis au Parquet près le Tribunal de Première instance de Port-au-Prince un rapport accablant à l’encontre des conseillers présidents. Et, face à la gravité des faits d’abus de fonction, de sollicitation de pots-de-vin et de corruption passive qui leur sont reprochés, le Parquet a, en date du 5 octobre 2024, sollicité la conduite d’une instruction judiciaire sur le dossier en question.

Le magistrat instructeur Benjamin FÉLISMÉ a alors été choisi pour conduire l’enquête. Cependant, les inculpés ont profité d’un mandat de comparution émis à leur encontre pour saisir la Cour d’Appel de Port-au-Prince, lui demandant de déclarer qu’ils ne sont pas passibles du tribunal de droit commun et que le magistrat instructeur n’était pas compétent ratione personae pour instruire l’affaire.

Avant l’audience du 15 janvier 2025, le commissaire du gouvernement près de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, Claude Jean, a, à plusieurs reprises, rencontré les conseillers présidents et, selon le RNDDH, de nombreuses tractations ont été faites en vue d’obtenir de la Cour qu’elle se range du côté des inculpés.

En date du 19 février 2025, la Cour d’Appel de Port-au-Prince a rendu son arrêt-ordonnance dont le dispositif est ainsi libellé :

« Par ces motifs, la Cour, délibérant en conseil au vœu de la loi, et sur les réquisitoires en parties conformes du représentant du Ministère Public ; Reçoit en la forme l’Appel en date du trois (3) décembre 2024 du sieur Emmanuel Vertilaire ; dit qu’il a été bien appelé ; Dit qu’il y a lieu pour le Juge d’Instruction de poursuivre son instruction conformément à la loi tout en tenant compte des statuts des personnes concernées dans le dossier ; Déclare inopérants les mandats de comparution émis le deux (2) décembre 2024 à l’égard des conseillers présidents Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Smith Augustin dans le cours de leur statut actuel, ce, conformément aux dispositions de l’article 186 de la Constitution de 1987 ; Rejette les autres demandes des parties. AINSI JUGÉ PAR NOUS, etc. Il est ordonné, etc. En foi de quoi, etc. »

Le RNDDH réagit en affirmant que « l’arrêt-ordonnance de la Cour d’Appel de Port-au-Prince n’aurait aucune incidence sur le travail du magistrat instructeur car il ne lui serait pas opposable ». Cependant, il estime que c’est une bonne chose que la décision judiciaire énonce clairement que l’instruction doit se poursuivre, ce qui, selon le RNDDH, vaut commandement adressé au Parquet près le Tribunal de Première instance de Port-au-Prince de retourner le dossier rapidement au cabinet d’instruction, muni de son réquisitoire définitif ou supplétif pour les suites de droit.

Le RNDDH s’indigne néanmoins de la position adoptée par la Cour quant au statut des conseillers présidents. Il estime que la décision de déclarer inopérants les mandats de comparution sous prétexte que les inculpés ne sont pas justiciables du tribunal de droit commun revient à leur garantir une impunité totale, en violation de la Constitution et des lois de la République.

« Prétendre que les conseillers présidents ne peuvent actuellement comparaître pour des faits de corruption mais seulement devant une Haute Cour de Justice qui n’existe pas, c’est leur accorder un passe-droit inacceptable », dénonce le RNDDH. Il rappelle que la protection constitutionnelle des hauts dignitaires ne concerne que les actes commis dans l’exercice strict de leurs fonctions, et non des crimes comme la corruption.

Le RNDDH souligne toutefois que cette décision ne disculpe pas les conseillers présidents : en déclarant inopérants les mandats de comparution, la Cour ne fait que les suspendre temporairement, sans les annuler. Ainsi, les inculpés restent toujours liés à l’affaire. De plus, le RNDDH rejette toute tentative d’ériger cet arrêt en jurisprudence, soulignant qu’il ne constitue qu’un précédent et ne saurait être généralisé.

L’organisation s’étonne également de l’association faite entre l’article 4 du décret du 12 avril 2024, portant création du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), et l’article 186 de la Constitution pour reconnaître aux trois conseillers présidents le statut de président de la République.

« La Constitution ne peut être manipulée au gré des caprices des autorités politiques et judiciaires », déclare le RNDDH, rappelant que le CPT est une structure politique transitoire et non une institution constitutionnelle.

Le RNDDH déplore que la Cour d’Appel n’ait pas profité de cette affaire pour démontrer son indépendance et lutter efficacement contre la corruption. Il estime que cette décision illustre une nouvelle fois la soumission de la justice haïtienne aux intérêts politiques, au détriment de l’État de droit.

Le RNDDH invite le commissaire du gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, Frantz Monclair, à rendre le dossier au cabinet d’instruction accompagné de son réquisitoire, et attend les conclusions du magistrat instructeur, espérant qu’il émettra, en toute indépendance, une ordonnance de clôture à la hauteur des engagements de l’État haïtien en matière de lutte contre la corruption.