PORT-AU-PRINCE, mercredi 19 février 2025- La Cour d’Appel de Port-au-Prince a annulé les mandats de comparution émis par le juge d’instruction Benjamin Félismé contre les conseillers présidentiels Emmanuel Vertilaire, Smith Augustin et Louis Gérald Gilles. Ces mandats avaient été délivrés dans le cadre d’une enquête sur des allégations de corruption liées à une somme de 100 millions de gourdes que les trois conseillers auraient exigée de Raoul Pierre-Louis, alors président de la Banque Nationale de Crédit (BNC), en échange de son maintien à la tête de cette institution financière publique.
La Cour d’Appel a estimé que le juge d’instruction n’était pas compétent pour instruire une affaire impliquant des hauts fonctionnaires assimilés à des membres de l’Exécutif et bénéficiant, à ce titre, d’un statut juridictionnel particulier.
L’affaire trouve son origine dans une plainte formulée par Raoul Pierre-Louis, qui dirigeait la BNC avant d’être remplacé par Guy Cornély. Dans ses déclarations, il affirme avoir fait l’objet de pressions de la part de plusieurs personnalités politiques, dont les trois conseillers présidentiels, afin de leur verser une somme de 100 millions de gourdes en contrepartie du maintien de ses fonctions.
Ces allégations avaient conduit à l’ouverture d’une instruction confiée au magistrat Benjamin Félismé, qui avait convoqué Emmanuel Vertilaire, Smith Augustin et Louis Gérald Gilles par voie de mandat de comparution. Cependant, cette procédure a été contestée devant la Cour d’Appel par les avocats des conseillers mis en cause, qui ont soulevé l’incompétence du juge Félismé pour traiter cette affaire.
Dans leur requête, les avocats des trois conseillers présidentiels ont mis en avant leur statut particulier au sein de l’État haïtien, en s’appuyant sur l’article 185 de la Constitution haïtienne de 1987, qui précise que les hauts fonctionnaires de l’Exécutif ne peuvent être poursuivis devant une juridiction ordinaire pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Emmanuel Vertilaire, par l’intermédiaire de son avocat Me Guerby Blaise, a fait valoir que les conseillers du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) exercent des fonctions exécutives assimilables à celles d’un chef d’État et bénéficient, à ce titre, d’une immunité qui les soustrait aux juridictions de droit commun. « Un conseiller présidentiel, dans le cadre du Conseil Présidentiel de Transition, ne peut être convoqué comme un citoyen ordinaire devant un juge d’instruction », a déclaré Me Blaise, insistant sur l’absence de base légale justifiant l’intervention du magistrat Félismé dans ce dossier.
La Cour d’Appel a donné raison aux avocats de la défense en annulant les mandats de comparution. Elle a considéré que les conseillers présidentiels, de par leur fonction, relèvent de la compétence d’une juridiction spéciale prévue par la Constitution. Selon les textes en vigueur, les membres de l’Exécutif et les hauts fonctionnaires ne peuvent être jugés que par la Haute Cour de Justice, une instance composée des membres du Sénat et présidée par le président de la Cour de cassation. Cette procédure spécifique vise à protéger les responsables exécutifs contre toute tentative d’instrumentalisation politique du système judiciaire.
Me Guerby Blaise, l’un des avocats ayant plaidé en faveur de l’annulation des mandats, a salué cette jurisprudence en déclarant : « Bien faire et laisser braire car la raison appartient toujours au temps. C’est le sens de cette jurisprudence, qui est la meilleure réponse à des allégations méchantes et médisantes m’ayant étiqueté de comploteur contre les inculpés dont mon propre client. » Il a dénoncé ce qu’il considère comme une tentative d’utiliser la justice pour régler des conflits politiques et a souligné que cette affaire aurait dû être directement soumise aux instances compétentes prévues par la Constitution.
Me Blaise a également insisté sur l’importance de cette décision pour la jurisprudence haïtienne, estimant qu’elle pourrait servir de référence dans d’autres affaires impliquant des membres de l’Exécutif. « Il faut que la justice pénale haïtienne prenne en compte la spécificité des fonctions occupées par les acteurs politiques afin de ne pas créer de précédents hasardeux », a-t-il déclaré. Il a en outre dénoncé la manière dont les mandats avaient été émis, affirmant que le juge d’instruction n’avait pas pris en compte les règles fondamentales en matière de compétence juridictionnelle.
L’arrêt de la Cour d’Appel ne met pas nécessairement fin à l’affaire, mais il impose un cadre juridique quant à la manière dont elle pourrait évoluer. La question de la compétence judiciaire reste centrale, et il revient désormais aux autorités compétentes de déterminer si des poursuites peuvent être engagées dans le respect des procédures constitutionnelles.
En attendant, cette décision réaffirme le principe selon lequel les conseillers présidentiels, en raison de leurs attributions, ne peuvent être poursuivis devant un juge d’instruction ordinaire, une position qui pourrait s’appliquer à d’autres affaires impliquant des membres de l’Exécutif dans le futur.