NEW-YORK, lundi 22 avril 2024– Alors qu’Haïti est ravagé par la violence des gangs, l’envoyée de l’ONU dans ce pays a encouragé lundi la communauté internationale à continuer d’être solidaire du peuple haïtien en ce moment critique.
« Aujourd’hui, cela me fait de la peine de constater que certains des pires scénarios pour Haïti se sont réalisés ces derniers mois et semaines », a déclaré la Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, Maria Isabel Salvador, lors d’un exposé devant le Conseil de sécurité. « Il est impossible d’exagérer l’augmentation de l’activité des gangs à Port-au-Prince et au-delà, la détérioration de la situation des droits humains et l’aggravation de la crise humanitaire ».
Mme Salvador, qui est également la cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a noté que seulement 8,1% des 674 millions de dollars du Plan de réponse humanitaire pour Haïti pour 2024 ont été financés. Elle a exhorté tous les États membres à continuer de financer ce plan de réponse humanitaire.
S’agissant du déploiement de la mission multinationale de soutien à la sécurité, autorisé en octobre dernier par le Conseil de sécurité en réponse à l’appel lancé par Haïti, la Représentante spéciale a demandé à la communauté internationale de confirmer les promesses concernant ce déploiement.
Mme Salvador a rappelé que début mars des gangs ont lancé des attaques coordonnées ciblant des infrastructures clés de l’État, notamment plusieurs commissariats de police et deux des principales prisons de Port-au-Prince, ainsi que des établissements d’enseignement et de santé et des sites religieux. Ils ont également lancé plusieurs attaques contre le Palais présidentiel, qui ont donné lieu à de violents affrontements avec la Police nationale haïtienne (PNH), faisant de nombreuses victimes.
Depuis le 3 mars, des affrontements entre gangs autour de l’aéroport international de Port-au-Prince ont contraint toutes les compagnies aériennes commerciales à interrompre leurs services, une situation qui perdure encore aujourd’hui.
Au cours du premier trimestre de l’année, environ 2.500 personnes ont été tuées ou blessées à cause de la violence des gangs. Il s’agit d’une augmentation de 53% par rapport à la période de référence précédente et cela fait du premier trimestre 2024 le plus violent depuis que la Section des droits de l’homme du BINUH a commencé à enregistrer des statistiques en janvier 2022.
La Représentante spéciale a souligné que l’impact de la violence des gangs sur les droits des enfants reste particulièrement préoccupant. L’activité des gangs a considérablement limité l’accès aux services essentiels, notamment aux soins de santé et à l’éducation, et a exacerbé l’insécurité alimentaire.
En outre, poussés par le manque d’opportunités socio-économiques, un nombre alarmant d’enfants ont été recrutés dans les rangs des gangs où, non seulement ils risquent d’être tués ou grièvement blessés lors d’affrontements avec d’autres gangs ou avec la police, mais ils commettent également des actes de violence, notamment des meurtres, des enlèvements et des viols.
Les femmes et les jeunes filles continuent d’être victimes de violences sexuelles, notamment de viols collectifs, de la part de membres de gangs lourdement armés qui utilisent cette forme de violence comme stratégie de contrôle territorial.
Dans ce contexte d’extrême insécurité, « la Police Nationale d’Haïti, aidée par les modestes forces armées d’Haïti et conseillée par le BINUH ainsi que d’autres partenaires internationaux a déployé d’immenses efforts pour contenir la spirale de violence dans le pays alors qu’elle est la cible de bandes armées, avec quelques opérations réussies », a dit Mme Salvador. « Néanmoins, la gravité de la crise actuelle souligne les lacunes en matière de capacités au sein des structures nationales et le besoin urgent d’une aide internationale, notamment par le déploiement en temps opportun de la mission multinationale de soutien à la sécurité ».
Concernant la situation politique, elle a constaté que les parties prenantes haïtiennes se sont efforcées de mettre de côté leurs divergences pour trouver une voie commune pour la restauration des institutions démocratiques, en particulier avec la création d’un Conseil présidentiel de transition après l’annonce de la démission du Premier ministre Ariel Henry. Aux côtés de ce conseil, d’autres organes doivent être créés, notamment un Conseil national de sécurité et un Conseil électoral provisoire, a-t-elle précisé.
Mme Salvador a encouragé les parties prenantes à continuer de mettre de côté leurs divergences dans l’intérêt d’Haïti et de son peuple et notamment à assurer la nomination d’un Premier Ministre et d’un gouvernement par intérim, ainsi que la nomination rapide du Conseil électoral provisoire.
Selon elle, un an et demi depuis qu’Haïti a demandé une assistance pour renforcer la sécurité et plus de six mois depuis que le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé le déploiement de la mission multinationale, « nous devons continuer à souligner l’importance de son déploiement urgent ».
La cheffe du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Catherine Russell, a également estimé devant les membres du Conseil que « les Haïtiens ont besoin d’une intensification immédiate du soutien à la fois régional et international, sans laquelle la situation pourrait devenir irrémédiable ».
Selon elle, même si toutes les mesures nécessaires sont prises pour apaiser cette crise, elle ne sera pas résolue rapidement. « Nous devons mettre en œuvre des mesures de soutien politique et financier, maintenant et à long terme ».
De son côté la Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Ghada Waly, a rappelé que « cette violence est rendue possible par l’afflux continu d’armes à feu en Haïti et est soutenue par la corruption ».
Selon elle, « en l’absence d’action internationale pour améliorer la sécurité d’Haïti, à travers le déploiement de la mission multinationale de soutien à la sécurité mandatée par ce Conseil, parallèlement à une solution politique de long terme, les circonstances resteront extrêmement difficiles ».