La cheffe du BINUH alerte le Conseil de sécurité de l’ONU sur la gravité de la situation humanitaire et sécuritaire en Haïti…

photo: ONU: Maria Isabel Salvador, Cheffe du BINUH...

PORT-AU-PRINCE, jeudi 25 janvier 2024– L’envoyée de l’ONU en Haïti, Maria Isabel Salvador, a insisté jeudi, devant le Conseil de sécurité, sur la gravité de la situation dans ce pays, où de multiples crises prolongées ont atteint un point critique.

« Haïti reste en proie à une violence croissante en raison d’une augmentation sans précédent des enlèvements, des viols et d’autres crimes commis par des gangs armés qui affectent de plus en plus les moyens de subsistance de la population et sapent les activités humanitaires. Je ne saurais trop insister sur la gravité de la situation en Haïti », a dit Mme Salvador dans un exposé devant les membres du Conseil.

L’année dernière, le Bureau des Nations Unies en Haïti (BINUH), qu’elle dirige, a recensé plus de 8.400 victimes directes de la violence des gangs, y compris des personnes tuées, blessées et kidnappées, soit une augmentation de 122% par rapport à 2022.

La capitale Port-au-Prince a été à l’origine de 83% des morts et des blessés, et la violence s’est également étendue à d’autres régions, notamment à l’Artibonite. Au sud de la capitale, des gangs ont mené des attaques à grande échelle pour contrôler des zones clés et continuent de recourir systématiquement à la violence sexuelle dans les zones qu’ils contrôlent, mettant ainsi en danger les femmes et les filles âgées d’à peine 12 ans.

Depuis le dernier exposé de Mms Salvador devant le Conseil de sécurité en octobre, au moins 75 personnes auraient été tuées par des mouvements d’autodéfense civile apparus comme un moyen d’auto-défense contre les gangs. La violence, les déplacements et la perte des moyens de subsistance ont rendu des milliers d’enfants vulnérables au recrutement par les gangs.

La Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti a indiqué que le BINUH a continué à travailler au renforcement des capacités de la Police nationale haïtienne (PNH), en mettant un accent particulier sur les performances et la formation en matière de renseignement. Les taux d’attrition élevés se sont toutefois maintenus, réduisant encore davantage la capacité de la PNH à contrer la violence des gangs et à maintenir la sécurité.

« Au cours des derniers mois, le gouvernement et la communauté internationale ont déployé des efforts louables pour augmenter leur soutien à la PNH. Cela comprend une augmentation de 13% du budget de l’Etat 2023/24 alloué à la PNH, ainsi que la fourniture d’équipements de protection individuelle, de véhicules blindés et d’armes », a-t-elle précisé.

Afin de développer des actions concrètes, elle a indiqué que le BINUH est étroitement engagé dans des consultations avec les autorités nationales haïtiennes pour mieux comprendre leurs attentes quant à l’impact potentiel que pourrait avoir le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Elle a appelé les États membres à contribuer généreusement pour garantir le déploiement en temps opportun de cette mission multinationale en Haïti.

Maria Isabel Salvador a toutefois estimé que « même si l’amélioration de la situation sécuritaire est essentielle pour briser le cycle des crises en Haïti, la stabilité à long terme ne peut être obtenue que grâce à un processus politique inclusif et pris en charge par le pays ». Elle a noté que bien que le dialogue et les consultations inter-haïtiens se poursuivent, certaines divergences subsistent sur les modalités de gouvernance, entravant les progrès sur le front politique.

Elle a regretté que depuis son dernier exposé devant le Conseil, « de nouveaux acteurs violents ont pris de l’importance » et elle s’est inquiété « de leur rôle potentiellement déstabilisateur, susceptible d’éroder davantage les institutions haïtiennes et de diviser la population haïtienne ». Elle a appelé « les parties prenantes de tous bords à s’engager de manière pacifique et constructive dans le processus politique ».

L’envoyée de l’ONU a jugé essentiel le régime de sanctions pour lutter contre l’impunité et perturber les ressources financières et les flux opérationnels associés aux gangs criminels. Elle s’est dit encouragée par les efforts déployés par les autorités haïtiennes pour améliorer le système judiciaire et lutter contre la corruption.

De son côté, la cheffe de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Ghada Waly, a fait le point sur la situation relative au trafic d’armes et aux flux financiers illicites en Haïti.

« Tant que les gangs continueront à avoir accès à des armes à feu très sophistiquées, ils resteront capables de soumettre la population haïtienne au règne de la terreur », a–t-elle déclaré devant les membres du Conseil.

Dans un premier rapport publié en octobre 2023, l’ONUDC avait identifié quatre grandes routes maritimes et terrestres pour les flux illicites d’armes à feu et de munitions, provenant principalement des Etats-Unis.

Un deuxième rapport, publié mercredi, complète les conclusions précédentes, principalement sur les sources à l’étranger et la distribution nationale, mais aussi sur le trafic aérien. L’ONUDC a découvert qu’il existe 11 pistes d’atterrissage informelles ou clandestines en Haïti, réparties à travers le pays.

Le rapport examine également la dynamique du trafic d’armes en Haïti. Il montre qu’un
un nombre relativement restreint de gangs haïtiens, tels que les groupes « 5 Segond » et « 400 Mawozo », sont devenus hautement spécialisés dans l’achat, le stockage et la distribution d’armes et de munitions.

Dans le contexte de grande incertitude qui marque le pays, Mme Waly a estimé qu’il est « plus important que jamais de prendre toutes les mesures possibles pour prévenir les
flux illicites de déstabiliser davantage le pays ».

« Au fur et à mesure que la situation évolue en Haïti, il est urgent de mieux comprendre et d’endiguer le trafic illicite d’armes à feu dans le pays, de permettre aux autorités haïtiennes de sécuriser leurs frontières et de soutenir la Police nationale d’Haïti. Il s’agit d’étapes essentielles pour ouvrir la voie à un processus politique inclusif et viable, qui est le seul moyen pour Haïti de parvenir à la paix et à la sécurité à long terme », a-t-elle ajouté.