« La certification ne doit pas concerner un juge en fonction, lequel est seulement soumis à des procédures disciplinaires », selon des experts en droit…

Me Patrick Laurent, Me JLiez Edouard et Me Joseph Leon Saint-Louis...

PORT-AU-PRINCE, vendredi 22 septembre 2023– Dans le cadre d’une réflexion initiée par l’office du protecteur du citoyen (OPC) sur la problématique de la certification des magistrats, des experts haitiens en droit estiment à l’unanimité que « la certification ne doit pas concerner un juge en fonction, lequel est seulement soumis à des procédures disciplinaires. »

Les derniers rapports de certification des juges et commissaires du gouvernement rendus par la commission technique de certification (CTC) du conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), ont fait grincer les dents.

Mécontents, des magistrats non-certifiés ont dénoncé ces rapports dont ils contestent la validité, et, auxquels le pouvoir exécutif n’a donné aucune suite.

Dans leurs considérations, les avocats Patrick Laurent, Liez Edouard et Joseph Léon Saint-Louis composant le premier panel de réflexion, s’accordent unanimement sur deux critères fondamentaux de certification. Le premier prend, notamment en compte l’aspect académique (étude, diplôme, parcours).

Le panel retient que la loi prévoit la certification en amont de l’intégration du système judiciaire par les aspirants magistrats, dans le cadre d’une postulation, ainsi que dans le cadre du renouvellement du mandat des juges.

Selon eux, cette étape de la certification doit inclure d’autres éléments tels que : un examen oral sur le droit substantiel et sur le droit processuel.

Le second critère de certification est l’enquête de moralité sur laquelle certains panelistes font appel à la prudence en invoquant l’absence de caractère juridique de la notion d’intégrité morale.

Ils soulignent qu’ « une enquête de moralité doit inclure l’éthique personnelle, la prédisposition du juge à faire des procès équitables, sa capacité à résister à certaines tentations, d’où les influences extérieures en particulier les pressions financières. L’Enquête de moralité reste une notion large et souvent subjective, à savoir comment le juge est perçu dans son quartier, sa famille et l’environnement professionnel », soutiennent-ils.

Mettant l’accent sur l’intérêt de la certification, les experts insistent sur ‘‘la différence existant entre l’enquête disciplinaire et l’enquête administrative ; entre une décision administrative et une décision juridictionnelle du CSPJ.’’

‘‘ L’enquête doit avoir un effet préparatoire à tout cela, suggèrent-ils, et l’enquêteur ne saurait être investi de pouvoir décisionnel, recommandant l’adoption d’un référentiel de certification qui doit être préparé par le CSPJ.’’

Me Dilia Lemaire, Me Carlos Hercule et Me Gédéon Jean…

Un autre panel composé des avocats Dilia Lemaire, Carlos Hercule, Gédéon Jean et Joseph Léon Saint-Louis insistent également sur l’importance de la certification pour garantir l’indépendance de la justice.

Cependant, ils ne sont pas tous d’accord sur l’exercice du droit de recours après la non-certification d’un magistrat.

Me Dilia Lemaire est d’avis que le recours n’est pas nécessaire. Cependant, pour Me Hercule le droit à un recours est un principe qui existe même en dehors de l’existence d’un texte car il relève du droit naturel.

Selon ces avocats, questionnent la nature juridique de l’acte contre lequel le recours est demandé, soulignant ‘‘qu’on ne sait si le document du CSPJ peut être qualifié de décision judiciaire ou de décision administrative, sachant que le recours dépendra de la nature juridique de la décision.’’

Mettant en relief le tableau de cheminement du magistrat qui est annuel,  Hercule estime qu’en ce sens, ‘‘c’est l’évaluation qui doit remplacer la certification.’’

Le panel recommande entre autres une décantation entre ceux qui exercent l’autorité au CSPJ et l’institution en tant que telle ; l’application de l’article 70 pour définir le cadre règlementaire de la certification ; le renforcement de la CTC et la création d’une task force pour accélérer la certification avant mai 2024 afin de terminer avec la transition.

Il souhaite également que le MJSP soit habilité à saisir le conseil de discipline, à élaborer le règlement de l’évaluation, cette évaluation doit avoir lieu chaque deux ans ; a établir le tableau de cheminement des juges ; la modification de la loi de 2007 et le renforcement des compétences du CSPJ en l’étalant sur les Officiers du Ministère Public et la réorganisation du fonctionnement des cours et tribunaux.

Pour sa part, l’OPC fait plusieurs observations. L’OPC dit constater que ‘‘la procédure de certification des magistrats est dépourvue de certaines garanties judiciaires et par conséquent entachée de violations de certains droits procéduraux.’’

L’OPC souligne la violation du droit de recours, ajoutant que « l’absence de recours dans la procédure de certification est de toute évidence en contradiction aux principes généraux du droit dont une des règles fondamentales est le principe du contradictoire. »

Il estime qu’il y a violation du droit à la protection judiciaire. L’OPC indique que la procédure de certification et notamment le mémorandum du CSPJ daté du  1e juin 2023, excluant toutes les voies de recours, viole le droit à la protection judiciaire des magistrats, prévu par l’article 25 de la convention américaine des droits de l’homme.

L’OPC relève une de l’incohérence dans la certification par rapport aux principes constitutionnels. Il souligne que ‘‘les motifs évoqués pour ne pas certifier les magistrats sont incohérents aux prescrits de la constitution qui prévoit en son article 177, que les juges ne peuvent être destitués qu’en cas de forfaiture légalement prononcée. ‘’

Il estime que le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas respecté, ajoutant ‘‘qu’à travers la décision de CSPJ de remettre une lettre aux magistrats non-certifiés, leur signifiant qu’il a été mis fin à leur carrière dans la magistrature, il y a violation du principe de la séparation des pouvoirs car c’est l’exécutif qui est l’autorité de nomination et de révocation des magistrats.’’