PORT-AU-PRINCE, samedi 7 septembre 2024– À l’occasion de la Journée Afrique-CARICOM, célébrée le 7 septembre, les dirigeants caribéens et africains, aux côtés de la Commission des Réparations de la CARICOM (CRC), ont réaffirmé leur détermination à obtenir justice pour les atrocités liées à la traite négrière transatlantique.
Cette date symbolique est un moment clé pour raviver la mémoire des liens historiques entre l’Afrique et la diaspora africaine dans les Caraïbes, tout en poursuivant les démarches pour la réparation des torts causés par des siècles de colonisation, de génocide et d’esclavage.
La Journée Afrique-CARICOM, instituée lors du sommet de 2021, vise à célébrer ces relations ancestrales tout en jetant les bases d’une coopération plus étroite entre les deux régions dans des domaines tels que la santé, le développement économique et la justice réparatrice.
L’histoire de l’esclavage reste une cicatrice béante dans la mémoire collective des descendants africains dispersés à travers les Caraïbes et les Amériques. Le système de la traite négrière transatlantique, qui a duré plus de trois siècles, a impliqué le transport brutal de plus de 12 millions d’Africains, selon les estimations historiques. La plupart de ces personnes ont été envoyées dans les colonies européennes, notamment aux Antilles et dans les Amériques, où elles ont été réduites à l’état de marchandises, traitées comme des biens meubles et soumises à des travaux forcés dans les plantations de sucre, de coton et de café. Ce commerce inhumain a non seulement entraîné des souffrances indescriptibles pour les captifs africains, mais a également laissé une empreinte durable de racisme systémique, de sous-développement et d’inégalités sociales dans les sociétés issues de cette tragédie.
Les répercussions de cette exploitation massive sont particulièrement visibles en Haïti, première république noire indépendante du monde. Bien que les Haïtiens aient remporté une victoire décisive contre l’esclavage et la colonisation en 1804 après la révolution haïtienne, leur liberté n’a pas été sans coût. En 1825, Haïti a été contrainte par la France de verser une ‘‘rançon’’ exorbitante de 150 millions de francs or en échange de la reconnaissance de son indépendance, une somme qui équivaut à des milliards de dollars aujourd’hui. Cette « rançon de l’indépendance » a plongé le pays dans une spirale de dette et de pauvreté qui continue de se faire sentir encore aujourd’hui.
L’ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide a ouvertement dénoncé cette injustice historique. En 2003, il a formellement exigé des réparations à la France pour cette dette imposée, réclamant un montant de plus de 21 milliards de dollars pour compenser les effets économiques dévastateurs que cette indemnité a eu sur Haïti. Aristide a souligné que cet argent, versé sous la menace d’une réinvasion militaire française, a lourdement handicapé le développement de la jeune nation haïtienne, la forçant à contracter de nouveaux emprunts pour satisfaire les exigences françaises, tout en privant le pays des ressources nécessaires pour se reconstruire après la révolution. Malgré la pression internationale, cette demande de restitution est restée sans réponse officielle de la part de la France, mais elle a revitalisé le débat mondial sur les réparations pour l’esclavage et les crimes coloniaux.
Cet appel d’Aristide s’inscrit dans une démarche plus large, partagée par la Commission des Réparations de la CARICOM (CRC), qui milite depuis des années pour que les anciennes puissances coloniales européennes reconnaissent et réparent les torts causés par l’esclavage et la colonisation.
La CRC a élaboré un plan en dix points pour la justice réparatrice, qui inclut des demandes pour des excuses officielles, des programmes de développement économique, l’effacement de la dette des anciennes colonies, ainsi que des mesures visant à améliorer les systèmes de santé et d’éducation. Une composante essentielle de ce plan consiste à reconnecter les Afro-descendants de la diaspora à leurs racines en Afrique, et à faciliter leur réinstallation pour ceux qui le désirent. En outre, la CRC œuvre pour que les patrimoines culturels volés pendant la période coloniale soient restitués à leurs pays d’origine en Afrique.
Le plan de la CRC se distingue aussi par son engagement à lutter contre les effets durables du racisme systémique engendré par l’esclavage. En parallèle, l’accent est mis sur l’éducation et la culture, avec des initiatives visant à développer des partenariats académiques, des programmes d’échanges et des bourses entre l’Afrique et les Caraïbes, afin de reconstruire une compréhension plus profonde de cette histoire partagée. Ce volet éducatif est vu comme un moyen crucial de déconstruire les récits dominants qui minimisent ou ignorent les horreurs de l’esclavage, et de promouvoir un dialogue global sur la justice réparatrice.
Lors de cette Journée Afrique-CARICOM, les efforts pour renforcer la coopération économique et sanitaire entre les deux régions ont également été soulignés. Le Partenariat pour le Développement de la Santé en Afrique et dans les Caraïbes (HeDPAC) s’est avéré essentiel dans le contexte post-pandémie, renforçant la production locale de médicaments et améliorant l’accès équitable aux soins de santé dans les deux régions. De plus, les récents forums économiques, tels que le Forum AfriCaribbean de Commerce et d’Investissement aux Bahamas en 2024, ont mis en évidence l’importance croissante des échanges économiques entre l’Afrique et les Caraïbes, ouvrant de nouvelles opportunités de croissance pour ces régions historiquement marginalisées.
Dans un contexte mondial où les défis liés à la justice sociale, aux inégalités économiques et au changement climatique persistent, les dirigeants de la CARICOM et de l’Union Africaine ont renouvelé leur appel aux Nations Unies pour une Seconde Décennie Internationale des Personnes d’Ascendance Africaine. Cet appel met en évidence la nécessité de maintenir la lutte contre les inégalités héritées de l’esclavage et de la colonisation, en promouvant des initiatives qui permettront aux descendants des victimes de ces systèmes de bénéficier d’un avenir plus équitable.
Ainsi, la Journée Afrique-CARICOM ne se contente pas de commémorer le passé, mais se présente comme une plateforme pour construire un avenir de solidarité et de réparation entre l’Afrique et sa diaspora. L’appel d’Aristide pour la restitution de la rançon d’indépendance d’Haïti s’inscrit dans cette quête plus large de justice historique, rappelant au monde que les dettes du passé doivent être honorées pour que les sociétés postcoloniales puissent véritablement prospérer.