PORT-AU-PRINCE, lundi 6 novembre 2023– Inculpé formellement par la justice haïtienne pour son rôle présumé dans l’assassinat du président Jovenel Moïse, Joseph Félix Badio, a nié toute implication dans cette affaire lors de son interrogatoire par ‘‘qui de droit’’, révèle le militant des droits humains, Pierre Espérance.
Depuis son arrestation, Badio qui est actuellement incarcéré au Pénitencier National, a déjà été interrogé par des enquêteurs du fédéral bureau of investigation (FBI), le juge instructeur en charge de l’enquête sur l’assassinat de Moïse, Walter Wesser Voltaire et de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).
D’après l’enquête de la DCPJ, ‘‘Badio est considéré comme étant l’un des cerveaux de l’assassinat du président Jovenel Moïse. Selon les informations obtenues des mis en cause, c’était ce dernier qui constituait le véritable chef d’orchestre qui coordonnait l’action sur le terrain’’, peut-on lire dans ce rapport partiel de la DCPJ rendu public en août 2023.
Cependant, ‘‘Badio aurait admis, devant les enquêteurs, avoir participé à un complot qui visait le renversement de Jovenel Moïse du pouvoir, non pas son assassinat’’, d’après le directeur exécutif du réseau national de défense des droits humains (RNDDH) qui cite ses sources.
Joseph Vincent, américain originaire d’Haïti, un autre inculpé écroué actuellement aux Etats-Unis dans le cadre de cette même affaire, qui a accusé Badio d’avoir distribué un montant de 80 mille dollars américains pour soudoyer les policiers qui assuraient la sécurité du président, a déjà tenu les mêmes propos.
Récemment, German Rivera, ex-officier de l’Armée colombienne à la retraite, considéré comme l’un des meneurs du groupe de mercenaires qui a tué par balles l’ex-président le 7 juillet 2021, qui a été condamné à la prison à vie, avait laissé entendre que l’opération visait au départ à enlever le président Moïse, mais elle a tourné en assassinat, selon les documents judiciaires américains.
Joseph Félix Badio qui était en contact avec de nombreuses personnalités avant et après le meurtre du président, aurait souhaité confronter devant le juge d’instruction l’ex-ministre de la justice Rockfeller Vincent avec qui il avait collaboré à l’UKCC et au ministère de la justice et l’ancien directeur intérimaire de la police nationale d’Haïti (PNH) Léon Charles entre autres, selon les sources de Pierre Espérance.
D’après M. Espérance, Badio a coopéré avec les enquêteurs et auraient fait certaines révélations.
Il aurait avoué que la veuve du président Moïse, « Martine Moïse serait au courant du complot. Elle serait complice du complot, aurait laissé entendre Badio », selon Pierre Espérance, citant ses sources proches de l’enquête.
Joseph Félix Badio aurait expliqué aux enquêteurs que Martine Moïse était en conflit ouvert avec Jovenel Moïse.
A la base du conflit, l’opposition du président au projet de Martine Moïse qui souhaitait se porter candidat à la présidence d’Haïti alors que son époux voulait qu’elle brigue, de préférence, un poste au Sénat.
Badio a affirmé aux enquêteurs qu’il ne se cachait pas et qu’il faisait ses courses au moins trois fois par semaine au supermarché où il a été arrêté le 19 octobre dernier.
Pour Espérance, Badio bénéficiait de la protection des plus hautes autorités du pays, c’est ce qui a permis, dit-il, que personne n’a voulu procéder à son arrestation pendant plus de deux ans alors qu’il était d’un avis de recherche de la police judiciaire.
Selon lui, le conseil supérieur de la police nationale (CSPN) était complice de l’impunité dont jouissait M. Badio.
Cependant, Pierre Espérance estime que compte tenu de la façon dont Badio coopère dans l’enquête et les noms de ses présumés complices qu’il a cité, sa sécurité devrait être renforcée ainsi que celle du magistrat instructeur.
Il souhaite également que le juge Voltaire donne commission rogatoire à la DCPJ pour explorer d’autres pistes dans le cadre de l’enquête en tenant compte des révélations faites par Badio afin de remonter jusqu’aux auteurs intellectuels de l’assassinat de Moïse.
Espérance déplore que plus de deux mois après, l’ordonnance du juge d’instruction relative à la comparution à titre de témoin de certains dignitaires de l’Etat n’ait toujours pas été mise à exécution par le parquet de Port-au-Prince.
Il regrette également que le conseil de gouvernement ne se soit pas réuni pour mettre à la disposition de la justice l’actuel chef du gouvernement de fait Ariel Henry, les ministres de la Planification et de la coopération Externe, Ricard Pierre, de l’économie et des fiances Michel Patrick Boisvert, les directeurs généraux de la DINEPA, Guyto Édouard, du ministère de l’intérieur et des collectivités Territoriales, Amos Zéphirin et de l’Agence Nationale des Aires Protégées ( ANAP), Jeantel Joseph.
Dans son ordonnance rendue le 1e août 2023, le magistrat instructeur a demandé au commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, de remplir les formalités exigées par l’article 398 du Code d’Instruction Criminelle Jean Vandal aux fins de citer ces responsables d’Etat à comparaitre en qualité de témoin en sa Chambre d’Instruction Criminelle.
L’article 398 du Code d’instruction Criminelle Jean Vandal stipule que : « les grands fonctionnaires de l’État ne pourront jamais être cités comme témoins, même pour les débats qui ont lieu en présence du jury si ce n’est dans le cas où le Président d’Haïti, sur la demande d’une partie et le rapport du Secrétaire d’État de la justice, aurait, par ordonnance spéciale, autorisé cette comparution. »
En absence du président de la République, c’est le premier ministre qui assume, de facto, ce rôle avec le conseil de gouvernement.
Espérance estime qu’en refusant d’autoriser ses ministres et directeurs généraux à comparaitre devant le juge, Ariel Henry fait obstacle à l’enquête en cours sur l’assassinat de Jovenel Moïse.
« Si Henry, ses ministres et les directeurs généraux cites par le juge n’ont rien à se reprocher pourquoi refusent-ils de se mettre à la disposition de la justice ? Pourquoi Henry tente de bloquer l’enquête », se demande le militant des droits humains.
Il souligne également que lors de son interrogatoire, Badio a parlé de plusieurs de ces personnes et d’autres ayant fait l’objet de mandat d’amener, mais qui courent encore les rues tranquillement.
Espérance pense qu’il est possible que Badio soit remis à la justice américaine, compte tenu de son statut de résident des Etats-Unis, mais le processus pourrait durer un certain temps.
Un ex-officier militaire colombien à la retraite, German Rivera, a été condamné le 27 octobre 2023 à Miami à la réclusion criminelle à perpétuité pour son rôle dans l’assassinat en 2021 à Port-au-Prince de l’ancien président d’Haïti Jovenel Moïse.
Rivera, considéré comme un des meneurs du groupe de mercenaires qui a tué par balles l’ex-président le 7 juillet 2021, avait plaidé coupable de trois chefs d’accusation en septembre devant un tribunal fédéral de Miami, Etat de la Floride, aux Etats-Unis.
Rodolphe Jaar, un chilien- haïtien qui a été reconnu coupable par la justice américaine pour son rôle dans cette affaire, a été condamne également à la prison à vie.
Le 10 octobre 2023, John Joël Joseph, 52 ans, ex-sénateur haïtien a plaidé coupable devant un tribunal fédéral de Miami pour son rôle dans l’assassinat du président Jovenel Moise.
Jovenel Moïse, 58e président d’Haïti, a été assassiné dans sa résidence à Pèlerin 5, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 par un commando de de mercenaires colombiens et d’américains originaires d’Haïti.
Il a admis avoir aidé à obtenir des véhicules et tenté d’obtenir des armes à feu pour l’opération des co-conspirateurs visant le dirigeant haïtien, lors d’une déclaration sous serment. L’objectif de Joseph était de devenir Premier ministre sous le successeur de Moïse après la destitution de ce dernier.
En Haïti où le crime a été perpétré, aucun procès ne s’est encore tenu. De nombreux suspects dans cette affaire n’ont toujours pas été arrêtés alors que certains témoins refusent de comparaitre devant le juge d’instruction.
En plus de deux ans, au moins cinq juges d’instruction ont été désignés pour traiter ce dossier d’assassinat pour lequel la DCPJ peine à remonter les sources de financement.