PORT-AU-PRINCE, lundi 30 décembre 2024 – Dans le cadre de l’enquête judiciaire concernant le scandale des 100 millions de gourdes de la Banque Nationale de Crédit (BNC) impliquant plusieurs individus dont trois conseillers-presidents, membres du conseil présidentiel de transition (CPT), le juge d’instruction en charge du dossier, Benjamin Félismé a auditionné vendredi dernier, l’ancien ministre du Commerce et de l’Industrie, Jonas Coffy. Ce dernier a été convoqué en qualité de témoin pour apporter des éclaircissements sur les faits liés à cette affaire.
Coffy a récemment déclaré à plusieurs médias que Smith Augustin, conseiller-président, lui aurait confié l’existence de négociations financières entre Pascal Pierre-Louis, ex-président du conseil d’administration de la banque nationale de crédit (BNC) et les conseillers-présidents, Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Augustin lui-même, pour garantir le maintien de ce dernier à son poste.
Le magistrat a également auditionné Marie Myrtho Midy Louis, directrice des opérations de carte de crédit à la BNC, en tant que témoin dans le cadre de cette même affaire.
Malgré ces auditions, les principaux accusés, Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin, n’ont toujours pas comparu devant le juge d’instruction. Ces derniers, inculpés pour corruption passive et abus de fonction, auraient exigé 100 millions de gourdes de Raoul Pascal Pierre Louis, alors président du Conseil d’Administration de la BNC, en échange de sa reconduction à ce poste stratégique.
La semaine dernière, le juge Félismé, a décerné des mandats d’amener à l’encontre de Pascal Raoul Pierre-Louis, ex-président du conseil d’administration de la banque et Lornick Léandre, également inculpé dans cette affaire. Ces deux individus, inculpés dans ce scandale financier, sont recherchés pour répondre aux accusations portées contre eux.
Selon les pièces de la procédure, les faits incriminés relèvent de détournement de fonds et d’abus de confiance, des infractions prévues et réprimées par le Code pénal haïtien. Le mandat ordonne aux forces de l’ordre d’interpeller les inculpés et de les conduire devant le cabinet du juge d’instruction pour être interrogés sur ces faits. Le document rappelle également que les accusés ont le droit d’être assistés par un avocat tout au long de la procédure, comme le garantit l’article 24-3 de la Constitution haïtienne.
En octobre 2024, un rapport accablant de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a révélé des échanges incriminants entre Pascal Raoul Pierre-Louis et Louis Gérald Gilles, indiquant qu’une somme de 100 millions de gourdes aurait été exigée pour garantir le maintien de Pierre-Louis à la tête de la BNC. Les preuves incluent des conversations WhatsApp entre les deux hommes, mettant en évidence des négociations sur des avantages financiers, notamment l’octroi de cartes de crédit.
Un événement central dans cette affaire est une réunion tenue dans la chambre 408 de l’hôtel Royal Oasis, organisée par Louis Gérald Gilles avec la participation de Lonick Léandre. Selon les investigations, les conseillers-présidents auraient demandé 100 millions de gourdes à Pascal Raoul Pierre-Louis pour soutenir sa reconduction à son poste.
Un procès-verbal rédigé par le juge de paix Fritz Veus, ainsi qu’une lettre datée du 24 juillet 2024 adressée par Pierre-Louis au Premier ministre Gary Conille, constituent des pièces maîtresses du dossier. Dans cette lettre, Pierre-Louis détaille les exigences financières des conseillers-présidents et accuse formellement ces derniers d’extorsion. Une analyse des communications téléphoniques a également révélé des échanges fréquents entre Pascal Pierre-Louis, Lonick Léandre et Louis Gérald Gilles.
L’enquête a par ailleurs mis en évidence l’utilisation présumée de fonds d’intelligence de la Présidence pour couvrir ces transactions, soulevant de sérieuses interrogations sur la gestion opaque des finances publiques.
Après la publication du rapport de l’ULCC, Pascal Pierre-Louis a été démis de ses fonctions et s’est réfugié à l’étranger, refusant de répondre aux convocations du juge d’instruction. Invoquant des raisons de sécurité, il a demandé, via son avocat, d’être entendu par visioconférence. Son absence répétée a conduit à l’émission d’un mandat international à son encontre.
Dans cette affaire, des mandats d’amener pourraient également être émis sous peu contre Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin, accusés d’abus de fonction et de corruption passive. Selon le rapport de l’ULCC, Pascal Pierre-Louis est, quant à lui, poursuivi pour corruption active et complicité. Des cartes de crédit préapprouvées d’une valeur totale de 20 000 USD pour les trois membres du CPT et de 13 500 USD pour Lonick Léandre auraient été émises par la BNC à leur demande. Ces cartes ont été activement utilisées jusqu’à l’ouverture de l’enquête.
Les accusés rejettent ces accusations, affirmant qu’il s’agit d’un complot politique visant à nuire à leur réputation. Louis Gérald Gilles, dans un communiqué, a déclaré : « Ces accusations ne sont qu’une machination politique. Nous sommes innocents. » Gilles a également récusé les magistrats du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, tandis que Vertilaire a interjeté appel, invoquant une juridiction spéciale en raison de leur statut de conseillers-présidents. Cette démarche a suscité de vives critiques de la société civile et de certains acteurs politiques, qui dénoncent une tentative de blocage de l’instruction. Plusieurs organisations ont d’ailleurs exigé leur suspension du CPT pour garantir un procès équitable.
Par ailleurs, le magistrat instructeur Benjamin Félismé a déjà auditionné Fritz William Michel, ancien Premier ministre désigné, et Éric Smarki Charles, en tant que témoins. Ces auditions visent à établir les responsabilités dans ce scandale qui secoue le Conseil Présidentiel de Transition.