PORT-AU-PRINCE, vendredi 19 juillet 2024 – Le magistrat Jean Wilner Morin a rendu son ordonnance concernant le massacre de La Saline, survenu en novembre 2018. Cette décision fait suite au réquisitoire définitif du parquet daté du 31 mai 2024.
Le magistrat a adopté en partie les conclusions du parquet, constatant que les poursuites contre Grégory Antoine alias “Ti Greg”, Alectis Serge dit “Ti Junior”, et Andris Iscar sont éteintes en raison de leurs décès, conformément à l’article 2 du Code d’instruction criminelle.
Cependant, selon l’ordonnance, des charges concordantes et des indices suffisants ont été établis contre plusieurs individus, entraînant leur renvoi devant le tribunal criminel sans assistance de jury. Les personnes concernées sont : Hervé Barthélémy Bonheur ou Léonel Altona alias “Bout Jeanjean”, Pouchon Jean, Nelson Mikelson, Josué François, Bergelin Etienne, Emanus Charles, Jameson Pierre, Policar Felanto, Kalison Rosiclair, Engy Exavier, Pyram Félix alias “Toutou Number one”, Chery Christ-Roi alias “Chrislat”, Cherizier Jimmy alias “Barbecue”, Joseph Pierre Richard Duplan, Fednel Monchéry, Manel Lundy, Sensiny Saint-Clair, Sadrac Brice, Manesse Gay, Eddyson Sony Laforest, Pierre Richard St-Fort, Polesse Dossous, Pierre Michel alias “Blanc Piman machann bal”, Wilson Alfred alias “Grenn”, Max Dolph Desir, Bolliard Junior Alexis, Gerda Petidor, Cado Charles, Dahana Jean Michel, et Pierre Léon Saint Remy.
Ces individus sont accusés de détention illégale d’arme à feu, assassinat, tentative d’assassinat, vol à main armée, incendie criminel, enlèvement et séquestration, et association de malfaiteurs. Ces infractions sont prévues et punies par les articles 2, 224, 241, 278 et suivants, 293, 324 et suivants, et 356 du Code pénal.
Le magistrat a ordonné que les accusés soient pris de corps et conduits à la maison d’arrêt, s’ils ne s’y trouvent déjà. De plus, toutes les pièces de la procédure préparatoire du dossier ainsi que la présente ordonnance ont été transmises au Commissaire du Gouvernement pour les suites de droit.
L’ordonnance, rendue le 20 juin 2024 en chambre criminelle, stipule que tous les huissiers requis doivent la mettre à exécution. Les officiers ministériels près les tribunaux civils, ainsi que tous commandants et autres officiers de la force publique, sont tenus de prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
L’ordonnance émise en lien avec les inculpations de Jimmy Cherizier, également connu sous le nom de Barbecue, met en lumière des éléments clés relatifs aux événements tragiques survenus dans la zone de la Saline en novembre 2018. Cette ordonnance, qui constitue un volet essentiel de l’enquête en cours, dévoile des révélations préoccupantes sur la participation de l’ancien policier également connu sous le nom de ‘‘Jeanjean’’, aux violences perpétrées.
Selon l’ordonnance, le 13 novembre 2018, le commissaire principal Fresnel Saintil a affirmé devant la police judiciaire qu’aucune patrouille de l’unité BOID n’avait été effectuée dans la zone de la Saline. Cette déclaration soulève des questions sur la présence et le rôle des unités spécialisées dans cette région à la date des faits.
Parallèlement, un rapport de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) a demandé des informations sur Jimmy Cherizier. Selon le rapport, Cherizier, né le 30 mars 1977 à Port-au-Prince, était un agent de police matricule 05-16-07-07570, qui a été renvoyé de la police nationale le 30 août 2018.
Le 18 avril 2019, les enquêteurs de la DCPJ ont reçu un rapport de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPNH) concernant le massacre de la Saline. Ce rapport précise que les unités BOID et UDMO n’ont pas participé au massacre. Toutefois, Ti Joël, un chef de gang de la Saline, a affirmé que les assaillants, armés de fusils de gros calibre et portant des uniformes de police mais des sandales, n’étaient pas de véritables policiers.
Selon le rapport de l’IGPNH, Ti Joël et les survivants du massacre ont identifié Jimmy Cherizier et Grégory Antoine, également connu sous le nom de Ti Greg, parmi les assaillants. Ces anciens policiers auraient participé aux exactions aux côtés des bandits de la Saline pendant la nuit du 12 au 13 novembre 2018.
De plus, lors d’une audition le 25 juillet 2023, Rita Dieujuste, une plaignante, a affirmé avoir vu Cherizier en compagnie de bandits vêtus d’uniformes de police, semant la terreur parmi les habitants de la Saline. ‘‘Ces témoignages corroborent les allégations d’implication de Cherizier dans les violences’’, lit-on dans l’ordonnance.
En se fondant sur les éléments du rapport de l’IGPNH et les témoignages de Ti Joël et Rita Dieujuste, les indices accusent Jimmy Cherizier alias Barbecue, qui a été déféré devant la juridiction compétente pour répondre aux accusations portées contre lui.
Quant à Fednel Monchéry, le rapport de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) du 2 avril 2019 révèle que certains plaignants accusent l’ancien directeur général du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT), de participation à la planification des actes criminels liés au massacre de la Saline. Monchéry, aux côtés de l’ancien policier Grégory Antoine alias Ti Greg et de Jimmy Cherizier alias Barbecue, est désigné comme l’un des présumés auteurs intellectuels des atrocités commises.
L’inculpé a été invité par les enquêteurs à se présenter pour répondre des accusations. ‘‘Cependant, il a choisi d’ignorer cette invitation. Transféré au cabinet d’instruction du Juge Chavannes Etienne, Monchéry a tenté de récuser le magistrat, entraînant ainsi l’arrêt des actes d’instruction dans le dossier. Cette manœuvre a été perçue comme une tentative d’échapper à l’examen des faits’’, souligne l’ordonnance.
Rita Dieujuste, une des victimes, a déclaré avoir vu Monchéry à plusieurs reprises dans la zone de la Saline, à bord d’un véhicule officiel du MICT, en compagnie de Joseph Pierre Richard Duplan. Elle affirme que Monchéry était impliqué dans la distribution d’armes aux membres des gangs. Ernst Leger, un autre plaignant, a également observé Monchéry dans la région avant le massacre, affirmant qu’il était impliqué dans la planification des actes criminels.
‘‘Le refus de Monchéry de répondre aux autorités judiciaires, son opposition à l’instruction et sa demande de suspension de la procédure sont considérés comme des indices probants de son intention d’éviter toute confrontation avec la justice. Par conséquent, il est décidé de le renvoyer devant le tribunal criminel pour être jugé pour assassinat, tentative d’assassinat et association de malfaiteurs’’, précise l’ordonnance.
En ce qui a trait à Joseph Pierre Richard Duplan, ancien délégué départemental de l’Ouest, il est également cité dans les rapports comme ayant joué un rôle dans la planification des actes criminels. Lors de son audition au cabinet d’instruction, Duplan a fermement nié les accusations, déclarant n’avoir appris le massacre que par les médias. Il a également affirmé que la délégation départementale n’avait pas les moyens nécessaires pour fonctionner correctement, et il a souligné qu’il avait été indexé par des organisations de défense des droits humains.
Toutefois, souligne l’ordonnance, lors d’une confrontation au cabinet d’instruction, deux victimes ont maintenu que Duplan avait été vu distribuant des armes aux chefs de gangs de la Saline. Duplan a contesté ces affirmations, sans fournir de preuves concrètes ou de détails sur ses activités pendant la période en question. ‘‘Sa déclaration d’incapacité à se souvenir de ses occupations durant les événements ne convainc pas les enquêteurs.’’
Les accusations portées contre Duplan sont sérieuses, avec une majorité des victimes l’ayant identifié comme impliqué dans les préparatifs du massacre. Par conséquent, il est décidé de le renvoyer devant la juridiction compétente pour complicité d’assassinat, tentative d’assassinat et association de malfaiteurs.
L’ordonnance judiciaire concernant le massacre de La Saline, survenu les 12 et 13 novembre 2018, met en lumière les accusations portées contre plusieurs individus impliqués dans ces événements tragiques. Les inculpés Sensiny Saint-Clair, Eddyson Laforet, Brice Sadirac, Manesse Gay, Pierre Michel alias Blan Piman, Pierre Richard Saint-Fort, Wilson Alfred alias Grenn, et Pouchon Jean, sont accusés d’avoir participé activement au massacre.
Les inculpés ont tous une occupation peu claire au marché de la Croix-des-Bossales. Wilson Alfred alias Grenn a déclaré travailler à la perception des taxes pour le compte du directeur du marché, mandaté par l’ancien maire de Port-au-Prince. D’autres groupes perçoivent quotidiennement des recettes auprès des marchands, exerçant parfois des pressions et menaçant de mort ceux qui refusent de payer la taxe aux bandits.
Tous les inculpés étaient au courant du massacre, certains espérant même l’intervention de la police pour y mettre fin. Cependant, la police ne s’est présentée sur les lieux que trois jours après les événements. Malgré leurs déclarations d’innocence, ils évoluent soit à la fondation dirigée par Altema alias Bout JeanJean, soit dans les rues dans le cadre du programme des travaux à haute intensité de main-d’œuvre (apaisement social) initié par le gouvernement. Certains d’entre eux étaient des employés ou des anciens contractuels de la mairie de Port-au-Prince.
Il est noté que les inculpés tentent maladroitement de dissimuler leur implication dans le massacre de La Saline, alors qu’ils sont membres des gangs de la zone de La Saline. L’ordonnance souligne qu’il y a lieu de les renvoyer devant le tribunal criminel pour y être jugés conformément à la loi pour leur participation active au massacre.
Léonel Altema, alias Bout Jeanjean, a été grièvement blessé lors d’une attaque armée dans la nuit du 1er au 2 novembre 2018. Il a été transporté d’urgence à l’hôpital où il a reçu des soins avant d’être arrêté par la Police Nationale d’Haïti en raison d’un avis de recherche publié contre lui.
Avant les événements du 12 au 13 novembre 2018, Léonel Altema était déjà recherché pour détention illégale d’arme à feu, assassinat, tentative d’assassinat et association de malfaiteurs. Lors de son interrogatoire au Cabinet d’instruction, il n’a pas pu réfuter les accusations portées contre lui et s’est présenté comme un agent social et de développement. Cependant, il a été établi qu’un agent social n’a pas besoin de détenir illégalement des armes à feu de gros calibre ni de s’entourer d’un gang pour aider sa communauté.
Bien qu’il soit incarcéré à la prison civile de Port-au-Prince avant le massacre de La Saline et qu’aucune preuve ne démontre sa participation directe à ces événements, des indices suffisants ont été trouvés pour le renvoyer devant le tribunal criminel compétent pour d’autres faits contenus dans le réquisitoire d’informer et le réquisitoire définitif du commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince.
La profondeur de cette affaire révèle les liens troublants entre les gangs, les autorités locales et les structures gouvernementales. Les familles des victimes, ainsi que la société civile, continuent de réclamer justice pour les atrocités commises, espérant que cette affaire marquera un tournant dans la lutte contre la violence et la corruption en Haïti.
Cette ordonnance survient à un moment où les gangs armés regroupés sous le nom de « Viv Ansanm », dirigés par l’ancien policier Jimmy “Barbecue” Cherizier, sèment la terreur et le chaos dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, assiégée depuis plusieurs années.
Le 2 mars dernier, les gangs armés de « Viv Ansanm », ont attaqué et détruit les principales prisons de Port-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets. Cette offensive a conduit à l’évasion de plusieurs centaines de prisonniers, y compris des chefs de gang et des suspects impliqués dans l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse. Les évadés sont toujours en cavales. Ces événements ont exacerbé la crise sécuritaire en Haïti, déjà marquée par la violence criminelle et l’instabilité persistantes dans la région métropolitaine de la capitale et une partie du département de l’Artibonite.