LÉOGÂNE, Haïti, jeudi 22 août 2024 – Jean Danton Léger, ancien commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, a exprimé son absence de surprise face aux sanctions imposées par le Département du Trésor des États-Unis contre l’ancien président d’Haïti, Michel Joseph Martelly. Cependant, il se dit étonné que Martelly soit toujours en liberté malgré la gravité des accusations portées contre lui.
Le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du Département du Trésor des États-Unis a annoncé mardi avoir sanctionné Michel Joseph Martelly en vertu du décret exécutif 14059 du 15 décembre 2021, intitulé « Imposing Sanctions on Foreign Persons Involved in the Global Illicit Drug Trade ».
« L’action d’aujourd’hui contre Martelly souligne le rôle significatif et déstabilisateur qu’il a joué, ainsi que d’autres élites politiques corrompues, dans la perpétuation de la crise en cours en Haïti », a déclaré Bradley T. Smith, sous-secrétaire intérimaire pour le renseignement financier et la lutte contre le terrorisme. « Les États-Unis, aux côtés de nos partenaires internationaux, sont déterminés à perturber ceux qui facilitent le trafic de drogue, la corruption et d’autres activités illicites qui alimentent la violence des gangs et l’instabilité politique. »
Selon les autorités américaines, l’implication de Martelly dans le trafic de drogues, notamment la cocaïne destinée aux États-Unis, a été facilitée par son influence au sein des cercles politiques haïtiens. Il aurait également été impliqué dans le blanchiment de fonds issus du trafic de drogue, aurait collaboré avec des trafiquants haïtiens et parrainé plusieurs gangs en Haïti.
« Je ne suis pas surpris, en vérité, des accusations qui pèsent sur Martelly. Cependant, compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés, je suis étonné qu’il soit toujours en liberté et qu’aucune mesure spéciale n’ait été prise pour limiter ses mouvements », a déclaré Me Léger.
Léger a également souligné que cette affaire soulève des questions complexes concernant l’application des sanctions et les principes du droit international. En général, a-t-il expliqué, les États-Unis se montrent très fermes dans leur lutte contre le trafic de drogue, prenant des mesures sévères telles que l’arrestation et l’extradition des personnes impliquées pour les juger sur le sol américain.
Cependant, dans le cas de Michel Martelly, l’absence de telles mesures laisse place à plusieurs interprétations et ouvre la voie à une analyse plus approfondie. Selon Léger, il pourrait s’agir d’un acte de diversion ou de manipulation de l’opinion publique haïtienne.
La décision de sanctionner un individu pour trafic de drogue repose généralement sur des preuves substantielles recueillies par des agences fédérales comme la DEA (Drug Enforcement Administration). Dans le cadre des sanctions, les États-Unis peuvent geler les avoirs de l’individu, restreindre ses transactions financières et lui interdire l’entrée sur leur territoire. Toutefois, l’absence d’une arrestation ou d’une demande d’extradition dans le cas de Martelly, qui réside aux États-Unis, pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs légaux et diplomatiques.
Une des hypothèses avancées par Me Léger pour expliquer cette situation réside dans les intérêts diplomatiques que les États-Unis pourraient vouloir préserver en Haïti. Michel Martelly, en tant qu’ancien chef d’État, conserve un certain poids politique et social. Une arrestation immédiate pourrait déstabiliser les relations diplomatiques entre Haïti et les États-Unis, ou exacerber une situation déjà fragile en Haïti. Il est possible que les États-Unis privilégient une approche plus stratégique en imposant des sanctions économiques sans provoquer une crise diplomatique majeure, même si, selon Léger, ce sont les États-Unis qui exercent le pouvoir réel en Haïti.
Jean Danton Léger évoque également la possibilité que les autorités américaines soient encore en phase de collecte d’éléments supplémentaires pour solidifier leur dossier contre Martelly. Les enquêtes sur le trafic de drogue impliquant des personnalités politiques de haut niveau sont souvent complexes et nécessitent une coordination entre plusieurs agences et juridictions. Les autorités pourraient attendre d’avoir rassemblé des preuves irréfutables avant d’agir, pour éviter toute contestation légale ou diplomatique.
L’ancien commissaire du gouvernement a également rappelé que dans des affaires similaires, les États-Unis ont parfois privilégié des solutions diplomatiques ou discrètes pour résoudre des situations délicates impliquant des personnalités influentes. Dans certains cas, les autorités américaines ont négocié en coulisses pour obtenir la coopération des personnes concernées ou des gouvernements étrangers, afin d’éviter des confrontations publiques.
Cependant, Léger met en garde contre les répercussions potentielles de l’inaction apparente contre Michel Martelly sur la perception publique de la justice américaine, en particulier en Haïti. Si les sanctions ne sont pas suivies d’actions concrètes, cela pourrait être perçu comme une forme de favoritisme ou de sélectivité dans l’application de la loi, ce qui pourrait affaiblir la crédibilité des États-Unis dans leur lutte contre le trafic de drogue à l’échelle internationale.
En conclusion, Me Léger estime que l’affaire Michel Martelly se situe à l’intersection de la justice pénale, des intérêts diplomatiques et des complexités légales. Tandis que les sanctions économiques représentent une étape significative, l’absence d’une arrestation soulève des questions sur la stratégie adoptée par les États-Unis dans ce dossier, d’autant plus que de nombreuses hautes personnalités haïtiennes, dont des parlementaires et des officiers de police, ont été extradées aux États-Unis ces dernières années pour être jugées pour trafic de drogue ou blanchiment d’avoirs issus de ce trafic. « Il faut éviter les deux poids, deux mesures pour que l’inaction américaine reste crédible », avertit Léger.