PORT-AU-PRINCE, mardi 1 décembre 2024- En juillet 2024, la FAO a publié les résultats du sixième cycle de son évaluation DIEM-Suivi en Haïti, une enquête visant à suivre l’évolution de la sécurité alimentaire dans un contexte marqué par une recrudescence des violences et des chocs climatiques. L’étude a été réalisée auprès de 2 700 ménages répartis dans les dix départements du pays et la zone métropolitaine de Port-au-Prince, collectant des données essentielles entre le 13 juin et le 10 juillet 2024.
Les conclusions de l’évaluation dressent un tableau préoccupant : l’intensification des violences et de l’insécurité a gravement perturbé les moyens d’existence et la sécurité alimentaire dans plusieurs régions du pays. Les départements de l’Ouest et de l’Artibonite sont particulièrement touchés. Dans cette dernière, notamment dans la zone de subsistance HT04, bassin de production de riz, l’accès aux marchés et aux lieux de travail est limité, fragilisant davantage les revenus des ménages agricoles et non agricoles.
Le rapport met en évidence un facteur central dans la résilience des ménages face à l’insécurité alimentaire : l’implication dans la production agricole. En effet, les ménages agricoles obtiennent de meilleurs résultats que les ménages non agricoles. Toutefois, une distinction importante apparaît : les ménages agricoles dépourvus de bétail sont plus vulnérables à l’insécurité alimentaire. « Fournir du petit bétail à ces ménages pourrait stabiliser leur sécurité alimentaire », recommande la FAO. De plus, les ménages agricoles qui dépendent du travail agricole occasionnel sont les plus affectés et nécessitent une aide ciblée en espèces ou en nourriture.
Les chocs climatiques, tels que la sécheresse et les ouragans, aggravent la situation. « Les sécheresses sont devenues plus fréquentes et plus intenses au cours des cinq dernières années », déclarent 90 % des ménages confrontés à un manque d’eau. Les départements du sud, dont Grand’Anse, Nippes, Sud et Sud-Est, sont les plus touchés, avec une hausse notable depuis janvier 2024. L’agriculture haïtienne, fortement dépendante des précipitations, est particulièrement vulnérable. Près de 70 % des producteurs végétaux dépendent uniquement des pluies pour irriguer leurs cultures. Cette dépendance expose directement les récoltes aux aléas climatiques, d’autant que le manque d’irrigation s’est intensifié de six points de pourcentage depuis le début de l’année.
Le rapport souligne également des perspectives agricoles incertaines. Si certains producteurs espèrent une amélioration de leurs récoltes, 40 % d’entre eux anticipent une baisse, reflétant une agriculture marquée par l’instabilité. Dans les régions touchées par des ouragans, notamment dans le Sud-Est et le Nord-Ouest, les ménages signalent des difficultés de production accrues.
L’insécurité joue un rôle central dans la dégradation des conditions de vie. Le département de l’Ouest est le plus affecté, où 49 % des ménages rapportent des incidents de violence et d’insécurité. Dans les communes de Cité Soleil, Tabarre, Delmas et Port-au-Prince, l’accès aux marchés est limité, et les biens des ménages subissent régulièrement des dégradations. En parallèle, « les ménages déplacés ou migrants sont encore plus vulnérables que les résidents permanents », révèle l’étude. Les revenus sont également en chute libre : à Port-au-Prince, 71 % des ménages déclarent une baisse de leurs revenus au cours des trois derniers mois, une situation aggravée par les violences.
Les migrations internes et externes apparaissent comme une conséquence directe de cette crise. Parmi les ménages agricoles, la principale raison du départ est le manque d’emplois, tandis que pour les ménages non agricoles, la violence demeure le facteur dominant. Néanmoins, les ménages qui reçoivent des envois de fonds, qu’ils proviennent de l’étranger ou de l’intérieur du pays, affichent une meilleure sécurité alimentaire. Environ 63 % des ménages bénéficiaires déclarent utiliser ces fonds pour acheter de la nourriture.
Le tableau de la sécurité alimentaire reste extrêmement préoccupant. Selon l’échelle FIES, 42 % des ménages se trouvent en insécurité alimentaire grave, tandis que 84 % souffrent d’insécurité alimentaire modérée ou grave. Ces taux alarmants, constants à travers les cycles d’évaluation, révèlent une détérioration continue. Les départements du Nord-Ouest, de l’Artibonite, de Grand’Anse et des Nippes, ainsi que la région urbaine de l’Ouest, sont les plus sévèrement touchés. Dans ces zones, seuls 24 % des ménages déclarent ne pas avoir souffert de la faim, tandis que 51 % subissent une faim modérée et 25 % une faim sévère.
La FAO conclut que des interventions immédiates et structurées sont nécessaires pour éviter une aggravation de la situation. L’organisation recommande en priorité la distribution d’argent ou de bons alimentaires aux ménages les plus vulnérables, en particulier dans les régions les plus touchées comme l’Artibonite, Grand’Anse, Nippes et l’Ouest. Elle préconise également la distribution de petit bétail aux ménages sans animaux pour renforcer leur résilience. Dans une vision à moyen terme, la FAO insiste sur l’importance de soutenir les moyens d’existence agricoles avant et pendant la saison de croissance, notamment par la fourniture d’intrants en temps voulu.
Les infrastructures agricoles et les systèmes d’irrigation doivent également être renforcés, en particulier dans les départements du sud affectés par la sécheresse. En améliorant la gestion de l’eau et en développant les capacités locales de production, Haïti pourra réduire sa dépendance vis-à-vis des produits importés et atténuer les effets des crises sécuritaires sur l’agriculture. « Une réponse coordonnée et soutenue est cruciale pour protéger les vies et stabiliser les moyens d’existence », conclut l’étude.
La situation en Haïti demeure critique, oscillant entre crises sécuritaires, économiques et climatiques. Une action urgente est nécessaire pour inverser cette tendance et éviter une catastrophe humanitaire encore plus profonde.