NEW-YORK, lundi 14 août 2023- L’organisation Human Rights Watch (HRW) estime qu’il est urgent d’agir pour remédier aux niveaux extrêmes de violence, au manque de sécurité et à l’impunité quasi-totale qui règnent en Haïti, ainsi qu’aux sentiments palpables de terreur, de peur, de faim et d’abandon qu’éprouvent tant d’Haïtiens aujourd’hui.
Dans un rapport d’enquête sur la situation des droits humains, Human Rights Watch appelle les États-Unis, le Canada, la France, les membres de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et d’autres gouvernements à faciliter ‘‘la constitution d’un gouvernement de transition qui œuvrerait au rétablissement d’un état de droit respectueux des droits et à l’accès aux biens de première nécessité pour tous les Haïtiens, jusqu’à ce que des élections démocratiques puissent servir de base à la formation d’un gouvernement légitime.’’
L’organisation recommande au Secrétaire général des Nations Unies de ‘‘veiller à ce que les activités du BINUH appuient la mise en place d’un gouvernement de transition, notamment en fournissant des ressources techniques et financières et en renforçant les interactions avec les représentants de la société civile et les acteurs politiques haïtiens (y compris l’opposition) et en tenant compte de leurs propositions.’’
Elle exhorte Antonio Guterres à veiller à ce que le HCDH, le BINUH et d’autres agences des Nations Unies soutiennent la mise en œuvre d’un mécanisme de contrôle de la Police nationale haïtienne, sous l’autorité des autorités de transition, dans le but d’identifier, d’enquêter et, le cas échéant, de poursuivre les policiers qui ont participé à des violations des droits humains, à des actes de corruption, au soutien de groupes criminels ou à d’autres délits.
Human Rights Watch encourage le patron de l’ONU à veiller à ce que le HCDH et d’autres agences des Nations Unies s’emploient à fournir une formation et un soutien technique à un groupe spécialisé d’enquêteurs judiciaires, de procureurs et de juges haïtiens chargés de veiller à ce que les auteurs de crimes commis par des membres de groupes criminels violents, des policiers, des responsables politiques et d’autres personnes qui les soutiennent rendent compte de leurs actes, dans la perspective d’une réforme du système judiciaire.
HRW appelle l’ONU à soutenir la mise en œuvre de mesures visant à remédier à la situation humanitaire et à la grave surpopulation carcérale, principalement parce que les personnes sont placées en détention préventive pendant de longues périodes, et à disposer de prisons où les membres de groupes criminels présumés responsables de graves abus, ainsi que leurs partisans, puissent être détenus dans des conditions sûres et humaines.
L’organisation recommande également à l’ONU de soutenir les initiatives visant à garantir que les personnes arrêtées ou détenues en raison de leur implication présumée dans des actes criminels bénéficient de procédures d’instruction respectueuses des droits, comprenant l’accès à un avocat et la privation de liberté uniquement en dernier recours ; des installations de détention provisoire respectueuses des droits, humaines et fonctionnelles ; un processus pénal respectueux des droits qui comprend le droit à un contrôle judiciaire ; et une prison fonctionnelle avec des conditions humaines.
HRW appelle à soutenir la délivrance de soins de santé spécialisés tenant compte des traumatismes, l’aide juridique et le soutien psychosocial, notamment pendant les procédures pénales, pour les victimes de violences sexuelles, notamment en apportant un soutien aux organisations haïtiennes.
L’organisation encourage l’ONU à travailler de concert avec le gouvernement de transition pour mettre en œuvre des programmes spécialisés de désarmement, de démobilisation et de réinsertion sociale et économique des personnes impliquées dans des groupes criminels violents, en accordant une attention particulière au soutien pour les enfants impliqués dans ces groupes, en tenant compte des traumatismes subis.
HRW appelle à appliquer strictement la politique de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme à toute coopération prévue avec la Police nationale haïtienne et d’autres forces de sécurité dans le pays.
Human Rights Watch appelle le Conseil de sécurité de l’ONU à répondre à ces appels et, s’il autorise le déploiement consensuel d’une force internationale en Haïti, à veiller à ce qu’elle respecte des protocoles clairs en matière de droits humains et qu’elle dispose d’un financement adéquat et de solides mécanismes de contrôle.
Ces mécanismes devraient être complétés par des mesures fortes destinées à garantir la mise en œuvre d’une obligation de rendre des comptes incluant les organisations de la société civile haïtienne, et la fourniture d’une aide humanitaire et d’autres services de base aux personnes qui en ont besoin.
HRW demande instamment que des efforts vigoureux soient menés par des entités haïtiennes en vue de : enquêter sur les graves crimes violents et d’en poursuivre les principaux responsables ; sortir le pays de l’impasse politique et faciliter la mise en place d’un gouvernement de transition ; garantir l’acheminement en toute sécurité de l’aide humanitaire d’urgence et l’accès à d’autres services de base ; endiguer le flux d’armes et de munitions à destination des groupes criminels violents ; et fournir des emplois, une éducation et d’autres possibilités aux personnes vivant dans des communautés précédemment contrôlées par des groupes criminels violents.
L’organisation demande d’étendre l’embargo sur les armes existant pour y inclure l’interdiction de tous les transferts d’armes et de matériel vers le territoire d’Haïti, avec une exemption pour la police nationale haïtienne, à condition qu’un mécanisme de contrôle strict soit mis en œuvre pour garantir la livraison et le non-détournement de telles armes.
Elle demande au groupe d’experts de produire un rapport spécifique pour identifier les États et autres acteurs qui violent ou contournent l’embargo sur les armes, en mettant l’accent sur les transferts d’armes de petit calibre.
HRW demande d’imposer de nouvelles sanctions ciblées, notamment des interdictions de voyager et des gels d’avoir, à l’encontre des responsables de meurtres, d’enlèvements, de violences sexuelles et d’autres abus graves, ainsi qu’à l’encontre des acteurs haïtiens et étrangers responsables du soutien apporté aux groupes criminels abusifs.
L’organisation recommande au Secrétaire général des Nations Unies de fournir un rapport régulier tous les 30 jours sur la situation en Haïti en demandant d’urgence à la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflits de faire un exposé sur Haïti et de dépêcher immédiatement un conseiller principal chargé de la protection des femmes qui devrait travailler en étroite collaboration avec le BINUH, le HCDH et autres agences des Nations Unies.
Quant aux gouvernements, institutions et donateurs concernés, HRW recommande de cesser de soutenir les acteurs politiques en Haïti qui sont impliqués de manière crédible dans le soutien aux groupes criminels.
L’organisation les appelle à soutenir, notamment par des ressources techniques et financières, la facilitation de la mise en place d’un gouvernement de transition pour rétablir des conditions de sécurité adéquates et garantir l’adhésion aux droits humains fondamentaux, rétablir un état de droit respectueux des droits et permettre à tous les Haïtiens d’accéder aux produits de première nécessité, jusqu’à la formation d’un gouvernement en bonne et due forme sur la base d’élections démocratiques.
Elle demande que tout déploiement consensuel d’une force internationale soit fondé sur des protocoles clairs en matière de droits humains, dispose d’un financement adapté et de mécanismes de contrôle solides, et soit complétée par des mesures fortes visant à garantir l’obligation de rendre des comptes, à freiner le flux d’armes et de munitions vers les groupes criminels violents et à fournir une aide humanitaire et d’autres services de base, une éducation et des emplois dans les régions les plus touchées par les groupes criminels violents.
Elle plaide pour le soutien aux efforts du gouvernement de transition et d’une force internationale, quelle qu’elle soit, pour démanteler efficacement les groupes criminels et leurs réseaux criminels, en veillant à ce que les responsables d’exécutions à grande échelle, de violences sexuelles et d’enlèvements, et ceux qui soutiennent les groupes criminels, notamment à l’extérieur d’Haïti, soient tenus de rendre des comptes dans le cadre de procédures respectueuses des droits humains. Ce soutien devrait inclure des mesures prises par les gouvernements étrangers pour examiner et améliorer les mesures qu’ils prennent au niveau national pour s’attaquer à tout lien qui existerait dans leur propre pays avec les groupes criminels violents qui opèrent en Haïti.
HRW appelle à veiller à ce que les politiques et les dispositions en matière d’immigration soient conformes aux lois internationales sur les droits humains, en particulier au principe de non-refoulement, et lorsque de telles politiques et dispositions existent, les appliquer et accélérer leur mise en œuvre afin d’assurer la protection des Haïtien-ne-s.
« Tous les gouvernements, en particulier la République dominicaine, les États-Unis, les Bahamas et Cuba, devraient cesser de renvoyer, d’expulser ou de déporter des personnes vers Haïti tant que les violences et autres conditions exceptionnelles constituent un réel risque de préjudice grave. Cette suspension des retours devrait inclure les enfants nés de parents haïtiens à l’étranger qui sont exposés à un risque élevé de violence en Haïti et qui n’ont pas d’accès effectif à la protection ou à la justice », déclare-t-elle.
Elle exhorte les gouvernements à apporter une aide humanitaire d’urgence supplémentaire à Haïti, en particulier pour renforcer le fonctionnement des agences humanitaire afin que les Haïtien-ne-s puissent recevoir librement cette aide et accéder aux services de base pendant qu’un gouvernement de transition met en place un plan d’aide durable pour les personnes dans le besoin. Veiller à ce que des mesures soient mises en œuvre ou améliorées pour prévenir l’exploitation sexuelle dans la prestation de tous les services et de l’assistance.
Aux États-Unis, au Canada et à l’Union européenne, HRW demande ‘‘d’imposer, faire respecter pleinement, mettre à jour de manière régulière et adopter des sanctions ciblées supplémentaires, notamment des interdictions de voyager et des gels des avoirs, à l’encontre des responsables de meurtres, d’enlèvements, de violences sexuelles et d’autres abus graves, et des acteurs haïtiens et étrangers responsables du soutien apporté aux groupes criminels qui commettent des abus, si nécessaire, afin de garantir qu’elles soient adaptées à l’évolution de la situation en Haïti.’’
L’organisation des droits humains encourage ces pays à adopter des mesures plus strictes pour mettre fin au flux et à la vente illicites d’armes et de munitions aux groupes criminels violents opérant en Haïti.
Elle demande aux Etats-Unis et à la France de reconnaître explicitement, avec des garanties concernant la non-répétition de tels actes, leur responsabilité pour les préjudices et abus historiques qu’ils ont commis et qui continuent d’avoir des répercussions, et œuvrer à l’élaboration d’un processus de réparation efficace et sincère, mené par le peuple haïtien.
HRW demande a l’administration du Premier ministre Ariel Henry de collaborer de manière significative et de toute urgence avec un groupe diversifié d’acteurs sociaux et politiques haïtiens pour élaborer une solution à la crise multidimensionnelle du pays, avec des objectifs clairs et un calendrier précis.
Le rapport souligne la nécessité de soutenir un processus qui permettra la formation d’un gouvernement de transition, le rétablissement de conditions de sécurité adéquates et l’adhésion aux droits humains fondamentaux, le rétablissement d’un état de droit respectueux des droits, un accès sûr et équitable aux produits de première nécessité pour tous les Haïtien-ne-s, et la tenue d’élections démocratiques pour mettre en place un gouvernement en bonne et due forme.
L’organisation estime que le gouvernement haïtien doit veiller à ce que tous les Haïtien-ne-s aient accès aux services de base, notamment aux services de santé, à la justice et aux réparations pour les survivantes de violences sexuelles, en s’assurant que ceux qui vivent dans des zones contrôlées par des groupes criminels ne soient pas laissés pour compte.
Elle invite le pouvoir de Port-au-Prince de soutenir les efforts visant à sanctionner les responsables de meurtres, de violences sexuelles et d’enlèvements à grande échelle – notamment les attaques de Cité Soleil, Source Matelas, Bel-Air et Croix-des-Bouquets documentées dans ce rapport – ainsi que ceux qui ont apporté leur soutien à des groupes criminels qui ont commis des abus, et les obliger à rendre des comptes dans le cadre de procédures respectueuses des droits humains.
Elle l’exhorte à ne pas criminaliser les enfants qui ont été contraints ou forcés à participer aux activités de groupes criminels et soutenir les mesures visant à leur réhabilitation et à leur réintégration.
HRW appelle le gouvernement en place à s’attaquer d’urgence à la crise du système judiciaire, notamment en transférant les tribunaux dans des zones sûres, en assurant la sécurité des responsables judiciaires menacés, en améliorant les conditions carcérales et en améliorant d’urgence l’accès à la justice pour tous les Haïtien-ne-s.
Le rapport appelle à éliminer les agents et responsables qui commettent des abus ou qui sont corrompus au sein des forces de police et du système judiciaire.
HRW encourage l’administration d’Ariel Henry à travailler avec la force internationale (si elle est déployée), la police nationale et les partenaires internationaux pour rétablir des conditions de sécurité adéquates dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ainsi que dans d’autres régions du pays en proie à l’insécurité.
L’organisation l’exhorte également à travailler avec les agences des Nations Unies et les donateurs pour fournir une assistance aux personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison de la violence et des catastrophes naturelles.
HRW souhaite que les autorités haïtiennes travaillent avec les agences des Nations Unies et les donateurs pour mettre en œuvre un programme global de réintégration des personnes qui ont déjà été renvoyées, expulsées ou déportées en Haïti, qui réponde à leurs besoins spécifiques, notamment en matière de travail, de sécurité et de regroupement familial, de services pour les survivantes de la violence fondée sur le genre et de soutien aux enfants sur la base d’une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant.
HRW souligne la nécessité d’établir un dialogue avec le gouvernement de la République dominicaine afin d’aborder la question du traitement réservé aux Haïtien-ne-s et à leurs descendants et mettre en œuvre des programmes d’assistance pour les personnes concernées.