Himmler Rébu : « Les acteurs de la crise haïtienne sont dans une dynamique d’auto-destruction réciproque »…

Himmler Rébu, Dirigeant du GREH

PORT-AU-PRINCE, mardi 22 octobre 2024– Dans un contexte où Haïti est plongée dans une situation de dysfonctionnement presque total, l’ex-colonel Himmler Rébu, leader du Grand Rassemblement pour l’Évolution d’Haïti (GREH), a donné une interview détaillée pour analyser la crise politique actuelle. Cette crise est marquée par un conflit ouvert entre le Conseil de Transition (CPT) et le gouvernement, alimentant une instabilité politique qui ne fait qu’aggraver la détérioration du pays.

Interrogé sur la manière de résoudre cette crise au sommet de l’État, Rébu ne mâche pas ses mots. Selon lui, « il est évident que les préoccupations de la population ne sont pas un souci pour ceux-là qui sont au pouvoir. Les chefs règlent des problèmes d’ego ou peut-être sont-ils déjà engagés dans une course pour les pouvoirs à venir à travers un bouyi vide d’élections. S’ils arrivent jusque-là. » En d’autres termes, les conflits actuels ne sont pas axés sur des solutions pour sortir le pays de la crise, mais plutôt sur des luttes personnelles et des querelles internes entre les responsables, qui pourraient déboucher sur des élections, mais sans véritable impact positif pour la population.

Sur la question de la démission du Premier ministre Garry Conille, nommé par le CPT mais qui se trouve aujourd’hui en désaccord avec ce même Conseil, Rébu est catégorique. Pour lui, la situation aurait dû être tranchée rapidement. « Garry Conille a été stupide et décevant. Il a été nommé par tous les agents du CPT. Il est insatiable. Normalement, le CPT aurait dû prendre un arrêté nommant un autre Premier ministre pendant qu’il était à New York pour la 79ème Assemblée des Nations Unies. Ses actes ne sont pas pardonnables. » Cette situation, selon Rébu, aurait dû trouver une issue par un remplacement immédiat de Conille. Comparant son ambition à celle d’Ariel Henry, il estime que le Premier ministre actuel n’a fait qu’aggraver la crise politique avec une gestion qu’il qualifie d’inefficace et contre-productive.

Quant à une éventuelle solution au conflit qui oppose ces acteurs politiques, Rébu ne voit aucun compromis possible. « Telle qu’elle est engagée, cette lutte ne peut pas se résoudre par un compromis. Je crois que les acteurs sont dans une dynamique d’auto-destruction réciproque. » Cette affirmation montre que pour lui, les dirigeants actuels sont dans un processus où ils finiront par se nuire les uns aux autres, ce qui laisse peu de place à l’espoir de voir une résolution pacifique de la crise.

Sur l’influence de la communauté internationale dans ce conflit, Rébu reste sceptique quant à son rôle déstabilisateur. « La communauté internationale n’a pas besoin d’aller jusque-là pour obtenir les gains qu’elle convoite. Elle finira par choisir d’autres acteurs suivant les critères garantissant ses intérêts. Les traîtres et les incompétents, ce n’est pas ce qui manque en Haïti. » Pour lui, les puissances étrangères n’ont pas nécessairement besoin de déstabiliser directement la situation, car elles peuvent aisément choisir de nouveaux partenaires haïtiens qui serviront leurs intérêts. Cette approche montre que Rébu pense que la solution ne réside pas dans l’intervention étrangère, mais plutôt dans la capacité des Haïtiens à se libérer de cette emprise internationale.

L’un des points souvent soulevés par Rébu est la perte de souveraineté nationale. À ses yeux, « je ne pense pas que des préoccupations liées à la souveraineté nationale soient dans les cartons de la grande majorité des femmes et des hommes actuellement au pouvoir. Il faut attendre une autre floraison pour revenir à l’idée de la souveraineté nationale. » Cette déclaration révèle son pessimisme quant à la capacité des dirigeants actuels à recouvrer l’indépendance du pays vis-à-vis des puissances étrangères. Pour lui, tant que ceux qui sont au pouvoir ne placent pas la souveraineté au cœur de leurs préoccupations, il sera impossible de sortir de ce cycle de dépendance internationale.

Quant aux conseils que l’on pourrait donner aux dirigeants actuels, Rébu estime qu’il est inutile de leur prodiguer des recommandations, car ils sont conscients des choix qu’ils ont faits, des choix qu’il considère comme nuisibles pour la population. « Ce ne sont pas des gens qui se trompent. Ils ont fait des choix en méprisant totalement la souffrance de la population. Le peuple finira, peut-être, par entrer dans une grande et dévastatrice colère. » Mais malgré cette possibilité, Rébu doute que le peuple ait encore la force de se révolter face aux nombreuses années de crises qui l’ont épuisé.

En ce qui concerne la communauté internationale, Rébu se montre particulièrement critique. « Vous croyez vraiment que les États-Unis ne pourraient pas résoudre ce problème si c’était dans leurs intérêts ? Ils sont à la base du chaos. » Pour lui, les puissances étrangères ne sont pas motivées par une volonté de stabiliser Haïti, mais plutôt par leurs propres intérêts. Cette situation, selon Rébu, est l’une des raisons majeures pour lesquelles Haïti n’arrive pas à sortir de son marasme politique et économique.

Lorsqu’il s’agit d’exemples de pays ayant réussi à se libérer de l’emprise internationale, Rébu note que peu de pays ont connu une telle situation de chaos organisée. Cependant, il mentionne l’Afrique comme un exemple où certains pays commencent à relever la tête, mais il ne voit pas de modèle immédiat pour Haïti, où la situation est encore plus complexe.

Quant à la société civile haïtienne, Rébu exprime un profond scepticisme quant à son rôle dans la résolution de la crise actuelle. Pour lui, la société civile haïtienne fait partie du problème. « La société civile est une autre branche des monstres créés en Haïti par l’international. L’émergence d’une force citoyenne capable de changer le rapport de force n’est pas pour demain. » Selon lui, les véritables acteurs capables de changer la situation ne sont pas encore réunis, et c’est là le véritable malheur du pays.

Enfin, à la question de savoir si des élections libres et crédibles pourraient avoir lieu dans un avenir proche, Rébu répond sans ambiguïté. « Aucune chance pour organiser de BONNES élections dans les conditions actuelles. Un bouyi vide…possible ! » Pour lui, les conditions actuelles ne permettent pas d’envisager des élections qui pourraient être le reflet d’une véritable volonté populaire, et toute tentative dans ce sens ne serait qu’une parodie démocratique.

Himmler Rébu dresse donc un tableau très sombre de la situation en Haïti, où il estime que les acteurs politiques actuels, motivés par des intérêts personnels et l’influence internationale, sont engagés dans un processus d’auto-destruction qui laisse peu de place à l’espoir d’une issue positive.