PORT-AU-PRINCE, dimanche 23 fevrier 2025– Le rapport bilan 2024 de la Solidarité Fanm Ayisyèn (SOFA) met en lumière une recrudescence alarmante des violences basées sur le genre en Haïti. Avec 1 289 survivantes accueillies dans ses centres Douvanjou, l’organisation féministe tire la sonnette d’alarme sur l’ampleur du fléau dans un pays où la crise humanitaire et l’insécurité exacerbent la vulnérabilité des femmes. Les agressions sexuelles, les violences conjugales et les exactions des gangs se multiplient dans un contexte d’effondrement des institutions de l’État, rendant difficile toute quête de justice pour les victimes.
Les données collectées révèlent que 93 % des survivantes étaient des adultes et 6,82 % des mineures, ces dernières étant particulièrement touchées dans les départements de la Grand’Anse (57,95 %) et du Sud (34,09 %). Les femmes âgées de 36 à 53 ans sont les plus nombreuses à avoir cherché de l’aide (43,52 %), suivies des 18-35 ans (36,30 %). La plupart d’entre elles ont été victimes de violences conjugales ou sexuelles, souvent aggravées par la pauvreté et l’absence de mécanismes de protection.
Les violences psychologiques et économiques sont omniprésentes. 100 % des survivantes rapportent avoir subi des insultes, humiliations ou menaces de la part de leur partenaire ou de membres de gangs, tandis que 78,6 % déclarent avoir perdu leurs biens suite aux attaques de groupes armés. « J’ai perdu tout ce que j’avais, ma maison a été incendiée, et je me suis échappée de justesse avec mes enfants », confie une femme accueillie au centre Douvanjou de Port-au-Prince.
Les gangs armés sont devenus les principaux auteurs de violences faites aux femmes en Haïti. Dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, 96,67 % des cas recensés sont liés aux exactions de ces groupes criminels. Carrefour-Feuilles, Solino et Delmas 24 font partie des quartiers les plus touchés, où des femmes sont régulièrement enlevées et soumises à des agressions sexuelles collectives. « Ils nous traitent comme des trophées de guerre », témoigne une survivante de 47 ans, retenue captive pendant trois jours avant d’être relâchée.
La violence sexuelle atteint des proportions alarmantes, en particulier parmi les adolescentes. 93 % des mineures accueillies dans les centres Douvanjou ont subi des agressions sexuelles. À Carrefour-Feuilles, 18 % des survivantes ont signalé des viols collectifs, tandis que dans les quartiers de Solino et Delmas 24, 3,2 % des victimes ont enduré ces crimes barbares. L’impunité favorise cette expansion des violences, la plupart des auteurs n’étant jamais poursuivis en justice.
Les conséquences physiques de ces agressions sont désastreuses. 100 % des survivantes prises en charge médicalement souffrent d’infections vaginales. 50 % ressentent des douleurs hypogastriques chroniques, tandis que 11 % sont porteuses du VIH et 10 % ont contracté la syphilis. En outre, la quasi-totalité des survivantes souffrent d’hypertension artérielle, conséquence du stress et des traumatismes qu’elles ont subis.
L’impact psychologique est tout aussi inquiétant. 45 % des survivantes accompagnées par la SOFA souffrent de troubles sévères liés au stress post-traumatique, manifestant des symptômes tels que des cauchemars, de l’anxiété extrême et des idées suicidaires. « Je pensais ne jamais pouvoir surmonter cette épreuve, mais grâce au groupe de soutien, je commence à reprendre espoir », explique une femme ayant participé aux séances thérapeutiques organisées dans le Nord-Ouest.
L’accès à la justice demeure l’un des plus grands défis pour les survivantes. Seules 172 d’entre elles (13,34 %) ont pu entamer une procédure judiciaire contre leur agresseur. La corruption, les grèves des magistrats et l’influence des criminels sur les institutions judiciaires empêchent l’application de la loi. Dans la Grand’Anse, 74 % des plaintes ont été classées sans suite ou réglées par des accords à l’amiable, laissant les coupables impunis.
Face à cette situation, la SOFA appelle à une réforme urgente du système judiciaire haïtien. L’organisation préconise la mise en place de tribunaux spécialisés dans les violences basées sur le genre, ainsi qu’une formation spécifique des magistrats et policiers pour garantir une prise en charge adéquate des victimes. La mise en place de mécanismes de protection, tels que des refuges sécurisés et une assistance juridique systématique, est également recommandée.
En parallèle, la SOFA a mené une vaste campagne de sensibilisation touchant 29 712 personnes à travers Haïti. Ces actions visent à informer la population sur les violences basées sur le genre, à encourager les victimes à dénoncer leurs agresseurs et à renforcer la mobilisation citoyenne. Toutefois, l’inaction des autorités et l’absence de politiques publiques efficaces limitent considérablement l’impact de ces initiatives.
L’organisation insiste également sur l’importance du soutien international pour lutter contre les violences faites aux femmes. Elle exhorte les partenaires étrangers à conditionner leur aide à Haïti à des engagements concrets en matière de protection des droits des femmes et de lutte contre l’impunité. « La communauté internationale ne peut pas continuer à ignorer cette crise humanitaire », déclare une militante de la SOFA.
Le rapport souligne également la nécessité d’un meilleur contrôle des armes à feu en circulation. Les gangs armés, responsables de la majorité des violences contre les femmes, bénéficient d’un accès incontrôlé à des armes sophistiquées. La SOFA appelle les autorités haïtiennes et la communauté internationale à prendre des mesures pour désarmer ces groupes et limiter leur pouvoir destructeur.
Une autre préoccupation majeure réside dans la vulnérabilité des femmes déplacées internes. Entre novembre et décembre 2024, Haïti a enregistré plus d’1 041 229 personnes déplacées à cause de la violence. Dans les camps de fortune, 8 % des femmes ont admis avoir eu recours à la prostitution de survie, tandis que 20,6 % connaissent au moins une femme ayant été contrainte d’adopter cette pratique. Ces chiffres montrent l’urgence d’une réponse humanitaire ciblée pour protéger ces femmes de l’exploitation et des violences.
Le rapport de la SOFA met en exergue l’impératif d’une approche multidimensionnelle pour répondre à cette crise. Outre les réformes judiciaires et la sensibilisation, l’organisation recommande un renforcement des infrastructures de soins et des programmes de réinsertion économique pour les survivantes. L’implication des médias dans la lutte contre la banalisation des violences basées sur le genre est également jugée essentielle.
La situation des violences faites aux femmes en Haïti en 2024 est catastrophique. La montée en puissance des gangs armés, la défaillance du système judiciaire et l’absence de volonté politique plongent les femmes haïtiennes dans une insécurité permanente. La SOFA insiste sur l’urgence d’une mobilisation nationale et internationale pour mettre fin à ces atrocités et garantir aux femmes le droit fondamental de vivre sans violence.
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