Haïti – Violence sexuelle en temps de guerre : Rosy Auguste Ducéna appelle à une reconnaissance internationale des crimes contre l’humanité…

Rosy Auguste Ducena, Responsable de Programme au RNDDH, lors d'une audition au Congres americain/image d'archives...

PORT-AU-PRINCE, dimanche 13 avril 2025 (RHINEWS)— « En Haïti, où sévit une situation conflictuelle qui ne se nomme pas, nous, femmes, vivons sans aucune forme de protection de nos droits. Nos filles ne sont pas protégées non plus. » C’est par ces mots que Rosy Auguste Ducéna, avocate et responsable de programmes au Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), a ouvert sa déclaration lors d’un événement parallèle du Forum Permanent des Peuples d’Ascendance Africaine. Dans une intervention puissante, elle a dressé un tableau implacable de l’extrême violence sexuelle qui sévit dans les zones de guerre informelles du pays, dans un silence assourdissant des institutions nationales et internationales.

Décrivant les quartiers populaires comme « oubliés par les autorités étatiques, où nous n’avons accès à aucun service public », elle a évoqué le quotidien d’un grand nombre de femmes haïtiennes contraintes à la soumission sexuelle pour survivre. « Nos corps sont chosifiés. Nous devons être disponibles pour nos conjoints ; des fois, pour les amis de nos conjoints mais toujours pour les chefs des gangs armés qui contrôlent lesdits quartiers et pour leurs soldats. » Cette mise en esclavage sexuelle, selon elle, s’est banalisée au point de brouiller les repères : « Nous sommes tellement habitués à être violées et mutilées dans nos corps et dans notre esprit, que nous n’utilisons même plus le langage approprié pour décrire les exactions que nous subissons. »

Depuis 2018, la responsable du RNDDH évoque l’installation d’un « terrorisme d’État » qui alimente et protège les gangs. « La collusion entre autorités étatiques et gangs armés donne à ces derniers l’arrogance dont ils avaient besoin pour nous humilier, pour attaquer nos quartiers et nous violer. » Cette impunité débouche sur l’inéluctable : « Notre sentence lorsque nous nous révoltons : le féminicide. »

Avec la naissance du groupe armé Viv Ansanm en février 2024, elle note une intensification des violences. « Les viols collectifs enregistrés lors des massacres et attaques armées sont perpétrés dans l’objectif de répandre et de maintenir la terreur au sein de la population civile. » Pour Rosy Auguste Ducéna, ces violences sexuelles ne peuvent plus être considérées comme de simples infractions : « Il s’agit en fait de crimes contre l’humanité », citant l’article 7 du Statut de Rome, alinéa g, qui reconnaît comme tels le viol, l’esclavage sexuel, la grossesse forcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable.

Elle décrit ensuite une société entière minée par l’impunité, du foyer au lieu de travail : « Dans nos milieux domestiques, à l’école, à l’université, au travail, à la maison, chez nos proches, nous sommes harcelées, violées, battues, exécutées. Impunément. » Même dans les camps de déplacés internes, censés offrir refuge, le danger persiste. « Nous évoluons dans la promiscuité, tout en restant exposées aux violences sexuelles et sexistes. » Elle appuie ses propos sur une étude de décembre 2024 : « Dans 75% des sites d’accueil, des crimes sont perpétrés. Et, dans au moins 10% d’entre eux, des violences sexuelles sont enregistrées. »

Le système judiciaire haïtien, selon elle, reste sourd aux appels à la justice. « L’action publique n’est que rarement mise en mouvement contre nos agresseurs », dénonce-t-elle, évoquant les chiffres glaçants : « Entre 2023 et 2024, 3006 viols et viols collectifs ont été dénoncés… seuls 59 hommes ont été condamnés. » Elle souligne que « parmi les condamnés pour crimes sexuels, 34, soit 58% d’entre eux, ont écopé de peines en deçà de ce qu’ils auraient dû recevoir. »

Cette impunité s’accompagne d’un refus de reconnaître les spécificités de la violence sexiste. « Le féminicide n’étant pas reconnu en Haïti, les cas y relatifs sont considérés comme de simples assassinats ou de simples meurtres », affirme-t-elle, dénonçant une mauvaise qualification juridique qui protège les auteurs.

La question du droit à l’avortement est également centrale dans son plaidoyer. « Dans ce contexte de banalisation des viols collectifs, notre cri pour la dépénalisation de l’avortement n’est pas entendu », affirme-t-elle. Elle décrit la détresse des jeunes filles enceintes à la suite d’un viol, forcées d’abandonner l’école. « Nous nous retrouvons avec des grossesses non désirées… ce rappel quotidien des humiliations subies dans nos corps. » Elle alerte également sur les pratiques médicales clandestines, souvent abusives : « Nous devons risquer nos vies dans des avortements non sécurisés, opérés par un personnel médical qui, profitant de la protection de la clandestinité, nous extorque beaucoup d’argent. »

Enfin, elle dénonce l’exclusion persistante des femmes dans les sphères décisionnelles. « Nous nous battons depuis des dizaines d’années pour exiger notre présence là où se joue notre vie et l’avenir de nos filles. Mais rien n’y fait. » Elle rappelle que la Constitution impose un quota de 30 % de femmes, une disposition systématiquement ignorée. « Toutes les excuses sont utilisées pour nous mettre à l’écart. »

« Nos corps et nos vies ne nous appartiennent pas », conclut-elle. Dans ce cri, Rosy Auguste Ducéna appelle la communauté internationale à agir. Elle demande au Forum Permanent des Peuples d’Ascendance Africaine de recommander une mobilisation urgente des organes onusiens, afin de contraindre l’État haïtien à rendre des comptes sur les violences sexuelles, les féminicides, l’absence de justice et l’exclusion politique systémique des femmes.