Haïti : “Une crise persistante et l’échec des interventions internationales“- Amnesty International…

Le drapeau haitien...

WASHINGTON, mercredi 5 mars 2025-

Selon Amnesty International, Haïti traverse une crise politique et humanitaire d’une ampleur inédite, marquée par l’effondrement de ses institutions, l’explosion de la violence et l’aggravation de la pauvreté. Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, le pays est plongé dans une instabilité qui n’a fait que s’intensifier, avec une absence totale de gouvernance légitime et une insécurité endémique qui met en péril la vie quotidienne de millions de personnes. Selon Amnesty International, plus de 700 000 Haïtiens étaient déplacés internes en septembre 2024, dont plus de la moitié sont des femmes et des filles. Ces dernières, en raison de leur vulnérabilité accrue, sont confrontées à une montée alarmante des violences basées sur le genre, notamment dans les camps de fortune où elles trouvent refuge.

Face à cette situation critique, la communauté internationale a tenté d’intervenir à plusieurs reprises, mais ces interventions ont souvent été marquées par des abus et un manque criant de responsabilité. Amnesty International rappelle que les missions de maintien de la paix menées par l’ONU ont non seulement échoué à stabiliser le pays, mais ont aussi été impliquées dans des scandales majeurs. L’un des exemples les plus flagrants reste celui de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), qui a laissé derrière elle une série de violations des droits humains. Entre 2004 et 2007, 134 soldats sri-lankais ont été identifiés comme ayant exploité sexuellement des enfants haïtiens, sans que justice ne soit rendue aux victimes.

L’un des autres héritages désastreux de la MINUSTAH a été l’introduction de l’épidémie de choléra, qui a causé la mort de plus de 10 000 Haïtiens et infecté des centaines de milliers d’autres. Amnesty International souligne que l’ONU a mis des années à reconnaître sa responsabilité et que les efforts pour indemniser les familles des victimes ont été largement insuffisants. Cette absence de responsabilité a laissé une profonde amertume parmi la population haïtienne, qui voit ces interventions comme des facteurs aggravants plutôt que des solutions viables.

Aujourd’hui, la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MSSM), dirigée par le Kenya, suscite les mêmes inquiétudes. Amnesty International rapporte que de nombreuses organisations de la société civile haïtienne expriment de fortes réserves quant à cette nouvelle intervention, craignant qu’elle ne reproduise les erreurs du passé. Alors que la mission est censée combattre la violence des gangs et rétablir un climat sécuritaire propice aux élections, elle manque de mécanismes de responsabilité clairs et de garanties sur la protection des droits humains. La méfiance est d’autant plus grande que les missions précédentes ont souvent entraîné davantage de souffrance pour la population locale.

L’urgence ne se limite pas à la sécurité : Haïti est également confronté à une faillite de son système judiciaire, qui perpétue l’impunité et alimente l’instabilité. Amnesty International rappelle que le pays fonctionne encore sous un code pénal datant de 1835, totalement inadapté aux réalités actuelles. Un nouveau code pénal a été adopté en 2020, mais sa mise en application a été repoussée à juin 2025. Ce retard empêche toute modernisation du système judiciaire et prive les victimes de violences et d’abus de tout espoir de justice.

Les conséquences de cet immobilisme sont dramatiques. Amnesty International souligne que seulement 3 % des victimes de viol en Haïti reçoivent des soins médicaux dans les 72 heures suivant l’agression, un chiffre qui illustre la gravité du manque de protection pour les femmes et les filles. De plus, les enfants enrôlés de force dans les gangs n’ont que peu d’alternatives, faute d’un système de justice réparatrice qui leur permettrait de se réinsérer dans la société. Plutôt que de proposer des solutions punitives, Amnesty International insiste sur la nécessité de mettre en place un cadre juridique qui protège réellement les plus vulnérables.

L’organisation de défense des droits humains appelle également à une prise en compte des nouvelles formes de violence. Les agressions en ligne et la diffusion non consentie d’images à caractère sexuel restent largement impunies, faute de législation adaptée. Amnesty International exhorte les autorités haïtiennes à moderniser le droit pénal pour qu’il prenne en compte ces réalités et offre aux victimes un recours efficace.

Au-delà des réformes législatives, Amnesty International souligne le rôle central que les États-Unis jouent dans la crise haïtienne. Washington continue d’expulser massivement des migrants haïtiens vers un pays où leur sécurité est gravement menacée. L’organisation demande un arrêt immédiat des expulsions et la prolongation du Statut de Protection Temporaire (TPS) pour les Haïtiens vivant aux États-Unis. Cette mesure, qui permettrait aux réfugiés de rester légalement sur le sol américain, est essentielle pour éviter de renvoyer des milliers de personnes vers une situation de violence et de misère extrême.

Le trafic d’armes est un autre enjeu majeur que les États-Unis doivent traiter avec plus de fermeté. Amnesty International dénonce l’inaction des autorités américaines face aux flux d’armes en provenance de Floride, qui alimentent directement la violence des gangs en Haïti. Tant que ces armes continueront d’affluer sans contrôle, toute tentative de stabilisation du pays restera vaine. La pression diplomatique sur les États-Unis pour qu’ils mettent en place des contrôles plus stricts sur ces exportations illégales est donc essentielle.

Par ailleurs, Amnesty International s’inquiète des pratiques discriminatoires mises en place par la République dominicaine, qui expulse massivement les Haïtiens et met en place des politiques migratoires racistes. L’organisation appelle la communauté internationale à condamner ces pratiques et à exiger que les droits des migrants haïtiens soient respectés.

La crise actuelle en Haïti est le résultat de décennies d’ingérences internationales, de gouvernements corrompus et d’un système judiciaire défaillant. Pour Amnesty International, toute solution durable doit être menée par les Haïtiens eux-mêmes, avec un véritable soutien à la reconstruction des institutions et une implication active de la société civile. Les interventions étrangères, si elles ne prennent pas en compte les besoins et les demandes de la population locale, ne feront qu’aggraver la situation.

L’avenir d’Haïti ne peut être construit que sur la base de la justice, de la responsabilité et du respect des droits humains. Amnesty International rappelle que les Haïtiens doivent être au centre des décisions qui les concernent et que la communauté internationale doit cesser d’imposer des solutions qui ne répondent pas aux véritables besoins du pays. Pour sortir de cette crise, il est impératif de mettre fin à l’impunité, de renforcer l’État de droit et d’assurer une protection effective aux populations les plus vulnérables.