PORT-AU-PRINCE, samedi 6 juillet 2024– D’après Me Sonet Saint-Louis, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’État d’Haïti, le Premier ministre haïtien Garry Conille a récemment exprimé l’espoir que la présence de forces internationales en Haïti soit la dernière.
‘‘Cependant, cette aspiration semble illusoire face à la réalité d’une occupation étrangère devenue une habitude pour les dirigeants haïtiens depuis trois décennies’’, argue-t-il. Selon Saint-Louis, cette pratique récurrente a contribué à maintenir le pays dans un état de dégradation sans précédent en plus de deux siècles.
Saint-Louis souligne que, au cours des trente dernières années, Haïti a été le théâtre de trois interventions militaires étrangères, révélant non seulement des lacunes criantes dans la gouvernance publique, mais aussi une défaillance civique et patriotique profonde. Il explique que ce phénomène résulte de la quête incessante de pouvoir et d’argent facile par les élites haïtiennes, prêtes à brader la souveraineté nationale pour conserver ou conquérir le pouvoir.
Il se demande pourquoi la préservation de l’indépendance nationale et de l’intégrité territoriale semble être devenue une préoccupation négligeable pour cette génération de dirigeants et de politiciens. « Pourquoi cette indifférence? Pourquoi les intellectuels ne dénoncent-ils pas cette situation? Où sont les voix critiques et patriotiques? », interroge-t-il.
Il y a un an, rappelle Saint-Louis, l’opposition à Ariel Henry s’opposait fermement à toute intervention internationale, craignant qu’elle ne renforce son pouvoir. Aujourd’hui, avec Henry écarté, cette même opposition soutient l’arrivée de forces militaires étrangères pour lutter contre les gangs. Selon Saint-Louis, « une occupation peut être jugée bénéfique ou nuisible selon les circonstances, manipulant ainsi le destin de la république et reléguant les préoccupations du peuple au second plan. Pendant ce temps, la crise politique semble se résoudre temporairement, offrant des opportunités d’emploi à certains politiciens autrefois sans poste. »
Malgré ces interventions, rien n’a réellement changé dans la vie quotidienne des Haïtiens. Saint-Louis insiste que la crise actuelle est plus économique que politique, marquée par une absence d’opportunités. Dans ce contexte, les seuls bénéficiaires semblent être les Américains, qui ont su utiliser la situation pour renforcer leur influence. Il note que l’intervention de nouvelles forces internationales, critiquée sous Ariel Henry, devient une réalité acceptée sous une nouvelle direction, montrant à quel point les élites haïtiennes sont influencées par la stratégie américaine en Haïti.
Il affirme que « la coalition dirigée par Garry Conille met en lumière la vacuité des clivages idéologiques utilisés pour justifier les divisions politiques. En réalité, le pouvoir provient de Washington, et non du peuple haïtien, pourtant seul détenteur légitime de la souveraineté nationale selon la constitution. » Les élites, qu’elles soient de gauche ou de droite, cherchent à légitimer leur autorité en s’alignant sur les intérêts américains.
Selon Saint-Louis, la stratégie américaine en Haïti repose sur une sous-traitance de la gestion du pays. Les élites locales deviennent des intermédiaires préoccupés uniquement par leur part de profit. Les puissances occidentales mobilisent des forces noires des pays de la CARICOM pour établir le Conseil présidentiel de transition (CPT), tandis que pour la sécurité, elles se tournent vers des Noirs kényans. Il estime que « cette approche reflète une guerre ou une occupation par procuration, les grandes puissances utilisant les agents locaux comme ‘proxy’. »
Cette situation pose la question de l’existence d’élites capables de tracer une voie vers un avenir plus respectueux et glorieux pour Haïti. Pendant plus de cinq ans, les efforts des politiciens ont été concentrés sur la mise en place d’un gouvernement de transition, manifestation du refus des principes, de la constitution et des lois. Par un coup de force, le camp des bien-pensants a remplacé Ariel Henry, révélant l’échec renouvelé du système politique.
Face à cette situation, où le déshonneur et l’indignité font consensus, il est urgent de clarifier les idéologies et de s’engager dans un combat politique pour la démocratie. « Le pouvoir actuel, de facto et illégitime, doit offrir les conditions d’un processus électoral transparent et libre pour un retour à la normalisation de la vie institutionnelle et démocratique du pays. Nous sommes une république démocratique, et seul le consentement du peuple légitime le pouvoir », insiste-t-il.
Pour sortir de cette servilité, il est crucial de dire la vérité au peuple et de préparer l’avenir, afin de préserver la souveraineté nationale. Une seule intervention étrangère aurait dû suffire à nous indigner ; en trente ans, nous en avons connu trois. Les générations présentes et futures méritent une équipe compétente et patriote pour guérir les plaies et colmater les brèches.
Ce moment tragique, marqué par la démystification idéologique et politique, appelle à l’union des patriotes. Les intellectuels, les jeunes, la diaspora, les masses rurales et urbaines, et les bourgeois modernistes doivent cesser d’être des spectateurs impuissants face à la débâcle haïtienne. Ensemble, nous devons présenter une alternative, sinon tout cela se terminera tragiquement pour Haïti. « Prenons un dernier risque pour sauver notre pays », conclut Sonet Saint-Louis.
Les Noirs kényans en sous-traitance