HAÏTI-RUSSIE : Moscou critique l’inefficacité des sanctions et appelle à un soutien réel à la mission multinationale…

Vassily Nebenzia, Ambassadeur de la Federation de Russie aupres des NationsUnies....

NEW-YORK, lundi 21 avril 2025 (RHINEWS)– Le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies, Vassily Nebenzia, a exprimé lundi, devant le Conseil de sécurité, ses vives préoccupations face à la détérioration rapide de la situation en Haïti, tout en dénonçant l’inefficacité des sanctions internationales et le manque d’impact réel de la mission multinationale de sécurité déployée dans le pays.

« Nous sommes préoccupés par la dégradation continue de la situation dans le pays, en particulier les informations récentes faisant état d’une menace de coup d’État et d’éviction des autorités de transition », a déclaré M. Nebenzia lors de la séance du Conseil de sécurité. Il a évoqué la montée en puissance des groupes criminels, désormais solidement implantés dans la capitale haïtienne et auteurs de la prise de contrôle de la ville de Mirebalais, jusqu’alors épargnée par les violences.

Saluant les interventions de la représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, María Isabel Salvador, de la conseillère à la sécurité nationale du président kényan, Monica Juma, ainsi que de Pascale Solages, représentante de la société civile, le diplomate russe a tenu à souligner que la Police nationale haïtienne reste « le dernier rempart contre les groupes criminels déchaînés ». Mais il a aussi exprimé son inquiétude quant aux « statistiques sinistres » relatives aux victimes civiles, attribuées tant aux affrontements qu’à « l’usage disproportionné de la force par les forces de l’ordre ». Selon lui, « la police a le devoir de protéger les civils, et non de rendre la justice sur le terrain à sa propre discrétion ».

Sur ce point, il a émis des réserves quant aux nouvelles tactiques adoptées dans la lutte contre la criminalité, telles que l’utilisation de drones, espérant que ces moyens technologiques « n’occasionneront pas de dommages aux civils ».

M. Nebenzia a par ailleurs mis en doute l’efficacité réelle de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya, déclarant : « Nous ne voyons toujours pas de preuves que cette mission remplisse son rôle de stabilisation ». Il a jugé que les effectifs internationaux sont « insuffisants, même pour contrôler la capitale, et encore moins pour patrouiller d’autres régions et villes ». Selon lui, le Conseil de sécurité a besoin de rapports détaillés pour évaluer l’impact et les besoins réels de cette mission, tout en saluant les informations fournies ce jour par Mme Juma, qui « renforcent la transparence et la crédibilité de l’opération ».

Concernant les propositions du Secrétaire général pour renforcer l’assistance sécuritaire de l’ONU en Haïti, Moscou se dit disposée à en discuter, mais reste sceptique quant à leur mise en œuvre rapide : « La création de nouvelles structures et mandats de l’ONU prendra des mois, or le pays, au bord du désastre, n’a pas ce temps », a-t-il prévenu. Pour la Russie, la priorité doit être donnée à la mission existante, la MMAS, et aux engagements financiers qui y sont liés : « Les États donateurs qui ont initié sa création ont l’obligation d’honorer leurs promesses ».

Il a également porté un regard critique sur le régime de sanctions adopté par le Conseil de sécurité. Selon lui, ces mesures sont restées lettre morte : « Les autorités de Port-au-Prince ne sont pas informées du régime de sanctions et ne l’ont pas mis en œuvre. L’embargo sur les armes, en vigueur sur le papier, n’empêche nullement les groupes criminels de reconstituer leurs arsenaux », a-t-il dénoncé, accusant Washington de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour stopper le flux d’armes illégales vers Haïti, malgré les recommandations du Comité des sanctions.

Pour Moscou, les sanctions ne peuvent en aucun cas constituer un levier décisif dans la lutte contre la criminalité. « Il faut d’abord et avant tout renforcer les capacités nationales de sécurité et d’application de la loi », a martelé M. Nebenzia.

La Russie estime que la criminalité galopante en Haïti est la conséquence logique d’une dégradation systémique dans un pays « qui n’a pas connu de gouvernement démocratiquement élu depuis plusieurs années ». Le représentant a critiqué la faiblesse du Conseil présidentiel de transition (CPT), mis en place en avril 2024 : « Il devient de plus en plus clair que le CPT ne parvient pas à maîtriser la situation et ne mérite plus pleinement la confiance dont il bénéficiait à sa création ». Il a reconnu la légitimité croissante des appels à un gouvernement plus représentatif et démocratique.

Tout en réitérant son soutien aux efforts visant à organiser des élections générales et un référendum constitutionnel, M. Nebenzia a douté de leur faisabilité dans les conditions actuelles : « En l’absence totale de sécurité et de gouvernance compétente, l’organisation d’élections dans les délais prévus semble de plus en plus incertaine ».

Pour la Fédération de Russie, la sortie de crise repose avant tout sur une solution interne : « Ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui doivent définir, sans interférence extérieure, une réponse cohérente aux défis multiples auxquels fait face leur pays ».

Dans une dimension historique, M. Nebenzia a rappelé la commémoration du bicentenaire de la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti par la France, dénonçant la « rançon de l’indépendance » imposée en 1825. « Ce fut le premier cas de l’histoire où des réparations ont été payées par les opprimés aux oppresseurs. Pendant 140 ans, Haïti a versé des sommes colossales aux anciens colonisateurs français, qui avaient auparavant pillé les richesses naturelles et exploité brutalement la population », a-t-il souligné. Selon les estimations d’experts cités par le diplomate, les pertes économiques causées par cette dette dépasseraient les 20 milliards de dollars.

Dans ce contexte, la Russie a exprimé son appui aux revendications croissantes de la société haïtienne pour des réparations. « Nous soutenons pleinement les demandes justifiées d’Haïti et d’autres pays du Sud global, pour que les anciennes puissances coloniales rendent des comptes. Cette page honteuse de l’histoire mondiale doit être définitivement tournée », a conclu M. Nebenzia.