PORT-AU-PRINCE, mardi 22 avril 2025 (RHINEWS) – L’Office de la Protection du Citoyen (OPC) tire la sonnette d’alarme dans un rapport sans précédent sur la situation des déplacés internes en Haïti, dénonçant une tragédie humaine à grande échelle provoquée par la terreur armée du groupe fédéré « Viv Ansanm » et aggravée par l’absence manifeste d’une réponse étatique coordonnée. Le document, intitulé Étude sur la protection du droit des personnes déplacées en Haïti, dévoile des données et témoignages bouleversants recueillis dans seize camps de fortune de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, aujourd’hui transformée en théâtre d’un effondrement humanitaire et sécuritaire.
Ce rapport, conçu par l’équipe de l’OPC sous la direction du Protecteur du Citoyen Me Jean Wilner Morin, dresse un constat implacable : des centaines de milliers d’Haïtiens, chassés de chez eux par des bandes armées, vivent désormais dans des conditions que le document qualifie de « fondamentalement inhumaines ». Ces déplacés, fuyant les quartiers de Carrefour-Feuille, Solino, Delmas 30 ou encore Nazon, se sont réfugiés dans des bâtiments publics, des écoles, des universités, des anciens locaux politiques ou des stations d’essence abandonnées, sans aucun cadre légal, logistique ni sanitaire prévu pour accueillir une population aussi vulnérable.
Le phénomène du déplacement interne est ici présenté non seulement comme une conséquence directe de la déliquescence de l’appareil sécuritaire, mais aussi comme l’expression d’une rupture structurelle de l’État de droit. La fédération des gangs, d’abord connue sous le nom de G9, puis sous la bannière « G9 an fanmi e alye », et récemment rebaptisée « Viv Ansanm » en 2024, s’est progressivement imposée comme une entité terroriste de facto contrôlant des pans entiers du territoire urbain de Port-au-Prince. Les routes nationales, les axes stratégiques et les quartiers entiers sont désormais assiégés ou tombés entre leurs mains, rendant les déplacements civils périlleux, voire impossibles.
Le rapport affirme que les forces de sécurité, bien que souvent animées de bonne foi, ne disposent ni des moyens ni de la stratégie pour contrer ces milices armées. Le texte dénonce l’échec manifeste de l’État à concevoir et exécuter une riposte adaptée, cohérente et durable face à un phénomène que l’OPC considère comme pourtant largement prévisible. Les gangs armés opéreraient selon un schéma tactique stable, utilisant des radios, des téléphones portables, des drones, des sacs à dos de munitions et des liquides incendiaires pour semer la terreur et s’emparer de nouveaux territoires. Malgré cette régularité opérationnelle, aucune réponse audacieuse n’a été élaborée pour briser leur progression.
La conséquence de cette violence est un déplacement massif de la population urbaine vers des zones de repli précaires. Dans les seize camps visités par l’équipe de l’OPC, près de cinquante mille déplacés internes ont été recensés, dont une majorité sont des femmes enceintes, des enfants, des personnes âgées ou vivant avec un handicap. Ils dorment à même le sol, sans eau potable, sans sanitaires fonctionnels, sans soins médicaux ni protection juridique. Les conditions de vie observées, selon le rapport, violent de manière systématique le droit à la dignité, à la santé, à l’éducation, au logement et à la sécurité. Des cas de gale, d’infections vaginales, de maladies cutanées ou encore de troubles mentaux ont été observés, aggravés par la promiscuité, le manque d’hygiène et l’absence totale de services publics de base.
Au-delà du constat sanitaire et humanitaire, le rapport met en lumière une problématique juridique et politique plus profonde : celle de la reconnaissance et de la protection du droit des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. En se fondant sur les Principes Directeurs des Nations Unies, l’OPC rappelle que ces déplacés demeurent des citoyens à part entière et doivent jouir des mêmes droits que l’ensemble de la population. Ces droits incluent non seulement la protection immédiate, mais également des garanties de retour, de réinstallation et de réintégration dans des conditions dignes et sécurisées. Or, selon l’OPC, aucune stratégie gouvernementale n’est actuellement mise en œuvre pour permettre un tel processus.
L’État haïtien, dans son ensemble, est accusé d’abandon. Le rapport précise que les institutions concernées brillent par leur absence ou leur inertie. Le CNESR, structure pourtant censée coordonner la gestion des déplacements internes, est expressément pointé du doigt par l’OPC, qui indique que « cette institution n’a joué aucun rôle actif ni formulé de réponse concrète aux besoins des déplacés, malgré l’urgence croissante de la situation ». Cette inaction est dénoncée comme un manquement grave aux obligations nationales et internationales de l’État haïtien en matière de droits humains.
Le document ne se limite pas à un état des lieux. Il cherche à redéfinir les responsabilités étatiques dans le cadre d’une gouvernance fondée sur les droits humains. Selon l’approche adoptée par l’OPC, l’État haïtien est le débiteur d’obligations et les déplacés sont les détenteurs de droits. Il incombe donc aux pouvoirs publics de garantir les conditions de vie, de sécurité et de dignité, mais aussi d’impliquer les personnes déplacées dans l’élaboration des politiques qui les concernent, conformément à l’approche fondée sur les droits humains.
Cette étude est aussi un cri d’alarme éthique. Elle rappelle que la violation des droits humains ne se limite pas aux actes directs des agents de l’État, mais inclut également leur inaction, leur absence de planification et leur incapacité à garantir des droits pourtant reconnus. Le déplacement massif, le refus d’élaborer une politique de réintégration, l’inaction face aux violences des gangs et l’abandon des citoyens dans des espaces insalubres sont autant de formes de complicité étatique, explicite ou implicite.
En conclusion, l’Office de la Protection du Citoyen appelle les autorités haïtiennes à reconnaître l’ampleur de la crise et à mettre en œuvre sans délai un plan national de protection et de réintégration des déplacés internes. Ce plan doit intégrer une réponse humanitaire d’urgence, une politique de retour fondée sur la sécurité effective des quartiers d’origine, une stratégie de coordination interinstitutionnelle et un dispositif d’accompagnement social et juridique des populations affectées. Le document rappelle que les camps ne sont pas une alternative durable, mais une solution provisoire qui expose les déplacés à des formes de déshumanisation inacceptables dans une société démocratique.
En refusant d’agir, l’État haïtien prend le risque de graver dans la mémoire collective une nouvelle forme de violence structurelle. Le silence politique face à ce drame quotidien constitue un reniement de l’engagement républicain envers les plus vulnérables. L’OPC conclut que toute solution à la crise actuelle doit nécessairement passer par une reconnaissance institutionnelle du statut des déplacés, une responsabilisation des autorités, une mobilisation collective des ressources et un retour urgent à la souveraineté du droit.
L’Office de la Protection du Citoyen (OPC) formule des recommandations dans son rapport, et elles sont essentielles à l’orientation de la réponse institutionnelle attendue face à la crise des déplacés internes. Ces recommandations, présentées dans la dernière partie du document, traduisent l’engagement de l’OPC à proposer des solutions concrètes en accord avec les Principes Directeurs des Nations Unies et l’approche fondée sur les droits humains. Elles sont formulées non seulement à l’intention des pouvoirs publics haïtiens, mais également à l’égard des agences internationales et des organisations de la société civile.
L’OPC recommande tout d’abord à l’État haïtien d’élaborer une politique publique claire, cohérente et fondée sur les droits humains pour encadrer le phénomène du déplacement interne. Cette politique doit inclure une reconnaissance juridique formelle du statut de personne déplacée à l’intérieur de son propre pays (PDIPP), afin de garantir la jouissance effective des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Cette reconnaissance est vue comme un préalable fondamental pour la mise en œuvre de toute stratégie de protection, d’assistance et de réintégration.
Une autre recommandation forte de l’OPC est la mise en place d’un programme national de solutions durables fondé sur le triptyque du retour, de la réinstallation et de la réintégration. Ce programme doit être pensé en concertation avec les personnes concernées et inclure des mesures concrètes pour restaurer la sécurité dans les quartiers d’origine, accompagner psychologiquement et matériellement les déplacés et leur garantir l’accès à des logements dignes, à l’éducation et aux soins de santé.
Le rapport insiste également sur la nécessité de renforcer la coordination interinstitutionnelle, en impliquant de manière effective les institutions publiques, le CNESR, les collectivités territoriales, les ministères sectoriels, mais aussi les partenaires internationaux et les ONG. À cet égard, l’OPC critique l’absence de leadership étatique dans la gestion de la crise humanitaire actuelle et exhorte les autorités à assumer pleinement leur rôle de débiteur d’obligations en matière de droits humains.
L’OPC invite aussi à accorder une attention particulière aux groupes les plus vulnérablesdans les camps, notamment les femmes enceintes et allaitantes, les personnes âgées, les personnes handicapées et les enfants. Il appelle à une réponse différenciée, intégrée et inclusive qui tienne compte de la spécificité de leurs besoins dans toute initiative d’assistance ou de protection.
Enfin, le rapport appelle à institutionnaliser l’approche fondée sur les droits humainsdans toutes les interventions publiques relatives aux déplacés internes. Cela implique d’impliquer les titulaires de droits dans la définition des politiques, d’exiger des comptes aux autorités compétentes, de bannir toute forme de discrimination dans la réponse humanitaire et de garantir l’autonomisation des déplacés dans le processus de reconstruction sociale.
Loin de se limiter à un simple diagnostic, le document de l’OPC trace une feuille de route ambitieuse pour une réponse nationale à la hauteur de la crise. Il rappelle que seule une gouvernance centrée sur les droits humains, dotée de volonté politique et de moyens effectifs, peut offrir une issue juste, digne et durable aux dizaines de milliers de personnes aujourd’hui abandonnées dans des camps de fortune.