PORT-AU-PRINCE, vendredi 28 mars 2025– En Haïti, la violence des gangs a atteint un niveau sans précédent, entraînant un climat de terreur généralisée où la population est la première victime. Ces groupes armés utilisent le viol et d’autres formes de violences sexuelles comme des outils de domination et de contrôle, imposant leur loi par la force et la cruauté. Dans ce pays déjà miné par l’instabilité politique et sociale, les exactions des gangs plongent la population dans une souffrance extrême.
Volker Türk, chef des droits de l’homme de l’ONU, a alerté la communauté internationale sur la situation critique des droits humains en Haïti, évoquant une crise d’une ampleur inédite. « Je dois m’arrêter ici une minute, car je ne suis pas sûr que la description habituelle de la violence des gangs rende compte de l’ampleur des souffrances insupportables qui ont été infligées au peuple haïtien », a-t-il déclaré devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève. Son constat est sans appel : les gangs haïtiens ne se contentent plus de semer la violence, ils ont institutionnalisé l’horreur.
Dans la capitale, Port-au-Prince, ainsi que dans ses environs, ces groupes criminels étendent leur influence en s’emparant de territoires stratégiques et d’infrastructures essentielles. Pour asseoir leur pouvoir, ils ont recours à des violences systématiques, parmi lesquelles les viols collectifs et l’exploitation sexuelle, visant à terroriser les habitants et à anéantir toute résistance. « Sous la menace des armes, de nombreuses victimes ont été attaquées à leur domicile, tandis que d’autres ont été enlevées, violées dans des lieux publics ou saisies alors qu’elles voyageaient dans les transports publics », a précisé Volker Türk. Ces crimes, d’une brutalité extrême, sont commis en toute impunité, leurs auteurs sachant pertinemment que les survivants n’ont que peu ou pas d’accès à des services d’aide et de protection.
Les rapports du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) révèlent des actes d’une barbarie inouïe, où certaines victimes, après avoir subi des violences sexuelles, sont exécutées par balles. Le climat d’insécurité est tel que même les enfants ne sont pas épargnés : les gangs pratiquent le recrutement forcé, exploitant et soumettant des mineurs à leurs règles violentes, les transformant en soldats d’une guerre sans fin.
Le bilan humain de cette crise est effroyable. Entre le 1er juillet 2024 et le 28 février 2025, 4 239 personnes ont été tuées, dont plus de 90 % par armes à feu. Les massacres se multiplient à un rythme alarmant. L’un des épisodes les plus sanglants s’est déroulé début décembre dans le quartier Wharf Jérémie de Cité Soleil, où, en l’espace de cinq jours, 207 personnes ont été assassinées par des gangs armés. Ces chiffres traduisent une réalité implacable : la population haïtienne est prise au piège d’une spirale de violence incontrôlable, où la mort et la souffrance sont devenues le quotidien de milliers d’innocents.
Au cœur de cette crise, la prolifération des armes à feu joue un rôle central. Le HCDH estime qu’entre 270 000 et 500 000 armes circulent illégalement en Haïti, la grande majorité étant détenue par les gangs. « Ces armes, de plus en plus sophistiquées, ne sont pas fabriquées en Haïti, mais arrivent systématiquement d’ailleurs », souligne l’ONU. Ce trafic incontrôlé alimente un cycle de violence destructeur, qui dépasse largement les capacités des forces de l’ordre haïtiennes. Les gangs, toujours mieux équipés et plus nombreux, défient ouvertement l’autorité de l’État, instaurant leur propre régime dans les zones qu’ils contrôlent et réduisant à néant les efforts de stabilisation du pays.
Les opérations menées par la police pour contrer cette menace ont entraîné un lourd tribut humain. Plus de 2 000 personnes ont été tuées ou blessées lors d’interventions contre les gangs, soit une hausse de 60 % par rapport au semestre précédent. Mais ces opérations ne se limitent pas aux affrontements directs : le HCDH a documenté au moins 219 cas d’exécutions sommaires par des unités spécialisées de la police, contre 33 recensés l’année précédente. La violence ne fait plus de distinction, et les civils sont nombreux à en faire les frais. Près d’un tiers des victimes sont des personnes qui n’étaient impliquées dans aucun acte criminel, fauchées par des balles perdues alors qu’elles se trouvaient dans la rue ou à leur domicile.
Devant cette catastrophe humanitaire, les Nations Unies appellent à des mesures d’urgence pour stopper l’acheminement d’armes vers Haïti et pour sanctionner les responsables de cette crise. Volker Türk insiste sur la nécessité d’appliquer intégralement l’embargo sur les armes décrété par le Conseil de sécurité, ainsi que sur l’importance d’imposer des restrictions économiques et politiques aux soutiens financiers des gangs. L’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en Haïti, William O’Neill, a souligné l’urgence d’une action concertée pour enrayer la montée de la violence.
« Les soutiens financiers et politiques des gangs doivent payer le prix de leurs crimes : gel des comptes bancaires, saisie des biens, annulation des visas », a-t-il déclaré, insistant sur le fait que les élites qui tirent profit de cette violence redoutent ces sanctions. Certaines avancées ont été enregistrées, notamment la saisie récente, en République dominicaine, de plusieurs cargaisons d’armes et de munitions destinées à Haïti, ainsi que la condamnation par la justice américaine de trafiquants d’armes impliqués dans ce commerce meurtrier. Mais ces efforts restent insuffisants au regard de l’ampleur de la crise.
L’urgence d’une réponse internationale ne fait aucun doute. L’inaction face à cette situation pourrait conduire à une aggravation encore plus dramatique de la crise haïtienne. « Il est temps d’agir. Si nous attendons plus longtemps, il pourrait ne rester que très peu de choses à sauver en Haïti », a averti William O’Neill. Le pays est aujourd’hui au bord du gouffre, et seule une mobilisation immédiate et déterminée pourra empêcher qu’il ne sombre définitivement dans le chaos.