Haïti – Le Conseil Présidentiel de Transition accusé d’avoir aggravé la crise nationale : un an de corruption, d’insécurité et de dérives autoritaires selon le RNDDH…

Les 9 membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) au Palais National

PORT-AU-PRINCE, 25 avril 2025 (RHINEWS)– Un an après sa prise de fonction, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), censé rétablir l’ordre démocratique en Haïti, a au contraire « envenimé la situation déjà préoccupante du pays », dénonce le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) dans un rapport détaillé publié ce 25 avril 2025.

L’organisation dresse un réquisitoire implacable contre la gouvernance du CPT, qu’elle accuse de mauvaise gestion, de pillage des finances publiques, d’inaction face à l’insécurité, d’atteintes aux libertés fondamentales et d’impunité judiciaire, tout en affirmant que « l’échec est total ».

Le CPT, installé le 25 avril 2024, s’était engagé à rétablir la sécurité, à initier la réforme constitutionnelle et à organiser des élections d’ici au 7 février 2026. Pourtant, selon le RNDDH, aucune des promesses consacrées par l’accord politique pour une transition pacifique et ordonnée n’a été tenue. Le rapport met en lumière l’absence de l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), pourtant prévu par les articles 9 et 10 de l’accord du 3 avril 2024. Aucune tentative n’a jamais été faite en vue de mettre sur pied l’OCAG, déplore le RNDDH, soulignant que le CPT et le gouvernement agissent sans surveillance institutionnelle, et engagent les deniers publics sans reddition de comptes.

Parmi les griefs les plus graves formulés, figure la rémunération mensuelle des membres du CPT, évaluée à 10 millions de gourdes par personne. Cette somme couvre le salaire de base, les frais de fonctionnement, une indemnité pour deuxième résidence, une carte de téléphonie, des frais dits « d’intelligence », une carte de débit, des frais pour conjoint.e, ainsi que des allocations pour remplir le réfrigérateur et pour la nourriture. À cela s’ajoutent des millions de gourdes mensuelles pour les repas collectifs, ainsi que des primes exceptionnelles perçues lors des fêtes pascales, pouvant aller jusqu’à cinq millions de gourdes par conseiller. Le RNDDH estime ainsi que les membres du CPT coûtent à l’État 93,5 millions de gourdes par mois, soit 1,122 milliard de gourdes sur un an.

Les postes à responsabilité au sein de l’administration publique sont attribués sur la base d’intérêts partisans ou clientélistes. Le RNDDH affirme que les membres du CPT et la primature ont transformé l’appareil d’État en un véritable « marché de postes », où des directions d’organismes stratégiques sont distribuées selon un schéma partisan, souvent sans considération pour les compétences des nommés. Des nominations dans les institutions telles que la DINEPA, le FNE, l’OFNAC, le CONATEL, l’ONA, le FAES ou encore les délégations départementales se sont faites selon des partages sectoriels, transformant l’État en butin de guerre.

Les dépenses somptuaires se poursuivent également à travers des voyages à l’étranger, coûteux et peu transparents. Le RNDDH recense au moins quinze déplacements internationaux entrepris par les membres du CPT, souvent accompagnés de délégations pouvant compter jusqu’à quinze personnes. Chaque participant reçoit 5 000 dollars de frais de représentation, et une indemnité de 1 000 dollars par nuitée, en plus des billets d’avion, des frais de logement et de déplacement. Ces voyages, affirme l’organisation, n’ont rien apporté de concret au pays, mais ont lourdement grevé les finances publiques. Certaines missions sont qualifiées d’absurdes, comme celle de Leslie Voltaire en Europe, au cours de laquelle il aurait déclaré avoir demandé l’aide de « Notre-Dame du Perpétuel Secours pour combattre miraculeusement les bandits armés ».

Le RNDDH tire également la sonnette d’alarme sur l’explosion de l’insécurité sous la transition. Depuis le 25 avril 2024, treize massacres et attaques armées ont été recensés dans des zones comme Gressier, Pont-Sondé, Wharf Jérémie, Kenscoff, Chateaublond ou Mirebalais. À Wharf Jérémie, 110 personnes ont été assassinées dans un massacre rituel. À Kenscoff, 139 personnes sont mortes ou portées disparues. À Pont-Sondé, 70 personnes ont été tuées en deux jours. Les pertes humaines et matérielles sont immenses. Le RNDDH recense au total 4 405 personnes assassinées sur la période, dont 805 rien que sur le premier trimestre 2025. En parallèle, 3 792 femmes ont été victimes de violences sexuelles et sexistes, incluant 1 837 cas de viols. Trente-et-un policiers, huit militaires et deux membres de la MMAS ont également été tués.

Aucune réponse institutionnelle sérieuse n’a été apportée. Le Conseil National de Sécurité (CNS), censé piloter les efforts de sécurisation du pays, n’a jamais été mis en place. Le gouvernement et la primature ont plutôt adopté des mesures jugées hasardeuses ou improvisées, comme la mise en opération d’une Task Force utilisant des drones kamikazes sans coordination avec les forces de sécurité, ou encore l’intégration de la BSAP, un corps paramilitaire accusé de violations des droits humains, dans les opérations de sécurité.

La justice est qualifiée d’inefficace et passive. Des treize massacres recensés, seul celui de Wharf Jérémie a donné lieu à une action judiciaire. Les autres plaintes déposées, notamment par les victimes des massacres de Carrefour, Gressier, Cité Soleil ou Carrefour-Feuilles, sont restées lettre morte. Le taux de détention préventive illégale atteint un niveau record : sur 7 128 détenus, 5 857, soit 82,17 %, attendent toujours leur procès. Plusieurs prisons ont été vidées ou attaquées, et le CERMICOL, initialement destiné à la rééducation des mineurs, est désormais utilisé comme centre pénitentiaire mixte, où hommes, femmes et enfants sont incarcérés ensemble dans des conditions infrahumaines.

Le RNDDH dénonce également les atteintes répétées aux libertés fondamentales. Depuis mars 2025, des manifestations populaires dénonçant l’insécurité ont été systématiquement réprimées avec une extrême violence. Le 19 mars, un manifestant, Idovic Elibert, a été tué par balle. Des véhicules ont été saisis et vandalisés. Les médias ont aussi été pris pour cibles. Au moins six stations ont été vandalisées ou incendiées, dont la RTVC, Radio Transparence FM, Storm TV et Télé Pluriel. À Mirebalais, Radio Panic FM a été rebaptisée Radio Taliban FM par les gangs armés. Plusieurs journalistes ont été assassinés, blessés ou enlevés.

Face à ce constat accablant, le RNDDH formule plusieurs recommandations. Il exige la mise en place immédiate de l’OCAG pour assurer la reddition de comptes. Il réclame la fin du gaspillage des ressources publiques, l’adoption d’un véritable plan de sécurité national coordonné, et la création effective du Conseil National de Sécurité. Il demande l’arrêt immédiat du marché de postes dans l’administration, la poursuite des auteurs de massacres et l’abandon de toute tentative d’accorder une immunité aux dignitaires impliqués dans des crimes. Le RNDDH appelle également au respect des libertés fondamentales, à la fin de la répression policière contre les manifestants et les journalistes, à la réhabilitation de la justice et à la réduction de la détention préventive. Il exige enfin que des moyens soient alloués à la relance des services sociaux de base comme la santé, l’éducation et l’hygiène publique, totalement négligés depuis un an.

Pour le RNDDH, les actes posés par les autorités de la transition n’ont permis ni de rétablir la paix, ni de faire reculer les bandits armés, ni de répondre aux attentes légitimes de la population haïtienne. Le rapport conclut sans ambiguïté : « Le pays ne peut plus continuer ainsi. »