Haïti/Justice : Une année judiciaire marquée par l’insécurité, l’inefficacité judiciaire, la détention préventive prolongée  et la dégradation accélérée des conditions carcérales…

Symbole de la justice et vue du batiment logeant le Penitencier National...

PORT-AU-PRINCE, jeudi 7 novembre 2024 – Dans son dernier rapport, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) dresse un portrait alarmant de l’état de la justice en Haïti pour l’année judiciaire 2023-2024. Marquée par l’insécurité, des grèves à répétition et des dysfonctionnements institutionnels, cette période a mis en lumière les nombreuses difficultés auxquelles font face les citoyens et les détenus, de même que les dérives et carences qui sapent la confiance envers le système judiciaire.

L’insécurité généralisée a paralysé le fonctionnement des institutions judiciaires, déjà fragiles. Plusieurs juridictions, dont celle de Port-au-Prince, ont été partiellement fermées ou relogées dans des bâtiments de fortune, alors que les infrastructures de 13 tribunaux ont été vandalisées ou incendiées par des groupes armés.

La juridiction de première instance de Port-au-Prince, la plus grande juridiction du pays, a particulièrement souffert de cette insécurité. Ses magistrats ont dû travailler dans des locaux exigus, inadaptés aux besoins et à la sécurité du personnel et des justiciables. Cette situation a provoqué des retards dans le traitement des dossiers et un engorgement supplémentaire du système judiciaire.

Les audiences criminelles tenues au cours de cette année ont été limitées et souvent entravées par des décisions surprenantes. Les magistrats, travaillant dans des conditions de précarité, ont jugé 228 affaires, mais en ont reporté 49, obligeant ainsi 113 détenus à retourner en prison sans que leur situation ait pu être tranchée. Parmi les 241 accusés jugés, 148 ont été condamnés et 93 acquittés.

Toutefois, le RNDDH dénonce un manque de cohérence et de sévérité dans certaines décisions, notamment dans les affaires de violences sexuelles. Le rapport indique que de nombreux crimes sexuels ont été traités avec « une complaisance inacceptable » : plusieurs agresseurs ont reçu des peines légères, laissant craindre une banalisation de ces crimes graves.

En matière de certification, le RNDDH pointe un manque de rigueur inquiétant. De nombreux magistrats n’ont pas été certifiés pour des raisons graves, telles que l’absence d’intégrité morale, l’extorsion des justiciables et des actes de spoliation. Malgré cela, le ministre de la Justice, Maître Carlos Hercule, a retiré les représentants du ministère de la Commission Technique de Certification (CTC), un organe essentiel pour l’évaluation des qualifications et de l’éthique des magistrats. Selon le RNDDH, cette décision compromet l’impartialité du processus de certification, au moment même où la corruption prend de l’ampleur au sein du système judiciaire et où la population manifeste une profonde méfiance à l’égard de ses institutions.

La situation des centres de détention s’est encore aggravée cette année, avec des conditions de vie que le rapport qualifie de « dégradantes et inhumaines ». Le RNDDH rapporte que les détenus souffrent de sous-alimentation, n’ont qu’un accès limité à l’eau potable et aux soins médicaux, et sont entassés dans des cellules insalubres et surpeuplées.

La fermeture de plusieurs centres carcéraux dans le département de l’Ouest, à cause de l’insécurité ou de leur destruction par des groupes armés, a forcé les autorités à transformer des centres comme le CERMICOL et la prison de Petit-Goâve en complexes pénitentiaires surpeuplés, recevant des détenus de diverses juridictions et sans distinction d’âge ou de sexe. Cette situation, d’après le RNDDH, met en péril la santé et la dignité des détenus, créant un environnement propice à la propagation de maladies contagieuses telles que la gale, la tuberculose et d’autres infections.

Malgré une diminution de la population carcérale de 35,6 % cette année, les problèmes de détention préventive demeurent criants. En effet, la proportion de détenus en attente de jugement est passée de 83,92 % en octobre 2023 à 83,54 % en octobre 2024, un progrès infime de 0,38 %. Le RNDDH souligne que cette stagnation est le reflet d’une crise systémique et d’un manque de moyens et de volonté politique pour résorber l’arriéré judiciaire, laissant des milliers de détenus dans un état d’incertitude prolongé, en violation de leurs droits.

Face à ce tableau accablant, le RNDDH a formulé une série de recommandations urgentes aux autorités judiciaires et pénitentiaires. L’organisation appelle à la mise en place d’audiences correctionnelles et criminelles tout au long de l’année 2024-2025 pour éviter de nouveaux arriérés judiciaires et insiste sur la certification rigoureuse des magistrats et autres fonctionnaires du système judiciaire pour garantir l’intégrité et la compétence au sein des institutions.

Elle exhorte également les autorités à récupérer les infrastructures judiciaires des zones contrôlées par des gangs et à réaménager celles qui ont été endommagées. Enfin, le RNDDH appelle à une réforme des conditions de détention, en fournissant aux responsables des prisons les moyens de garantir des conditions respectueuses de la dignité humaine.

Le bilan du RNDDH sur l’année judiciaire 2023-2024 met en lumière les profondes failles du système judiciaire haïtien, exacerbées par un contexte d’insécurité et de crise institutionnelle. Le rapport appelle à une réforme structurelle et à une mobilisation des autorités pour rétablir l’État de droit et restaurer la confiance de la population dans ses institutions.