“Haïti en 2024 : une crise multidimensionnelle entre violence des gangs, pauvreté extrême et effondrement des institutions”, selon HRW…

PORT-AU-PRINCE, lundi 20 janvier 2025- En 2024, Haïti a connu une aggravation dramatique de sa crise multidimensionnelle, atteignant un niveau catastrophique. Les attaques coordonnées des groupes criminels de la coalition « Viv Ansanm » ont plongé le pays dans un chaos sans précédent, affectant la vie quotidienne de millions de citoyens. Ces attaques, concentrées principalement entre février et mai, puis depuis octobre, ont paralysé les services publics essentiels, aggravant une situation humanitaire déjà critique.

La violence des gangs, qui contrôlent environ 85 % de Port-au-Prince et de sa zone métropolitaine, selon les Nations Unies, s’est étendue aux départements de l’Ouest et de l’Artibonite, des zones historiquement plus sûres. Ces groupes criminels, qui entretiennent souvent des liens avec des officiers de police et des élites politiques, ont perturbé l’approvisionnement en électricité, en eau potable, et en services de santé, tout en limitant l’accès à l’éducation et aux transports. La moitié de la population haïtienne, soit près de 6 millions de personnes, a lutté quotidiennement contre la faim, Haïti ayant enregistré en 2024 l’un des taux d’insécurité alimentaire aiguë les plus élevés au monde.

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, les gangs ont tué au moins 5 601 personnes et en ont enlevé près de 1 500 en 2024. Les violences sexuelles se sont également généralisées, avec 5 400 cas signalés entre janvier et octobre, dont 72 % étaient des violences sexuelles commises principalement par des membres de gangs. Les survivantes ont un accès limité ou inexistant aux soins médicaux, exacerbant encore leur vulnérabilité.

Les enfants ont été particulièrement touchés par cette violence. Environ 500 000 enfants vivent sous l’influence directe des gangs, qui exploitent au moins 30 % d’enfants dans leurs rangs. La faim et la pauvreté extrême ont poussé des centaines, voire des milliers, de jeunes à rejoindre ces groupes, où ils sont souvent victimes d’abus, y compris d’exploitation sexuelle et de travail forcé.

En parallèle, les groupes dits « d’autodéfense », censés protéger les populations locales, se sont eux-mêmes livrés à des exactions, tuant plus de 260 individus soupçonnés d’être liés aux gangs, souvent en collusion avec la police.

Face à l’escalade de la violence, la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par l’ONU et dirigée par le Kenya, a entamé ses opérations en juin. Cependant, avec seulement 416 officiers déployés sur les 2 500 prévus, la mission reste largement sous-financée et confrontée à des défis logistiques majeurs. Lors de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre, Haïti a demandé la transformation de la MMAS en une opération de maintien de la paix pour garantir un soutien financier stable et renforcer ses capacités. Cette demande a été soutenue par les États-Unis, le Kenya et l’Organisation des États américains (OEA), mais aucune décision concrète n’a encore été prise.

Par ailleurs, les sanctions imposées par l’ONU, l’Union européenne, le Canada et les États-Unis contre d’anciens responsables haïtiens et les groupes criminels, ainsi que l’embargo sur les armes, n’ont pas permis de freiner le flux illégal d’armes, principalement en provenance de Floride.

Selon la Banque mondiale, 64 % des Haïtiens vivent avec moins de 3,65 dollars par jour. Environ 5,5 millions de personnes nécessitent une aide humanitaire, dont 5,4 millions confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Parmi elles, deux millions sont en situation d’urgence, et 6 000 personnes subissent une faim catastrophique.

Les infrastructures de base sont dans un état critique. Seulement 40 % des Haïtiens ont accès à l’électricité de manière intermittente, 45 % n’ont pas accès à l’eau potable, et 70 % manquent d’un système d’assainissement adéquat, contribuant à la résurgence du choléra. Depuis octobre 2022, plus de 87 000 cas suspects de choléra et 1 306 décès ont été signalés.

Le système de santé est également au bord de l’effondrement. Avec seulement 20 % des établissements de santé opérationnels, deux Haïtiens sur cinq n’ont pas accès aux soins médicaux dont ils ont besoin. En raison de la violence, 40 000 professionnels de santé ont quitté le pays.

L’appareil judiciaire haïtien est quasiment inopérant. Entre octobre 2023 et octobre 2024, seulement 241 procès pénaux ont été tenus dans tout le pays, selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). Les prisons, déjà surpeuplées, ont vu près de 5 000 détenus s’évader après des attaques de gangs. En octobre, les prisons fonctionnaient à près de trois fois leur capacité, avec 168 décès de détenus liés à des maladies et à la malnutrition.

En parallèle, l’impunité demeure pour les violations passées des droits humains, comme le massacre de La Saline en 2018 ou l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse.

Un nouveau gouvernement de transition, dirigé par un Premier ministre et un Conseil présidentiel, a été mis en place pour stabiliser le pays et préparer des élections prévues pour 2026. Cependant, l’instabilité politique persiste, plusieurs membres du Conseil ayant été accusés de corruption. Alix Didier Fils-Aimé, nommé Premier ministre en novembre après le limogeage de Garry Conille, fait face à des défis colossaux, notamment l’organisation d’un calendrier électoral dans un contexte d’insécurité généralisée.

La violence et la pauvreté ont poussé 703 000 Haïtiens à se déplacer à l’intérieur du pays, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). À l’international, près de 200 000 Haïtiens ont été expulsés en 2024, principalement par la République dominicaine.