PORT-AU-PRINCE, jeudi 26 octobre 2023– Le groupe d’experts des Nations-Unies qui a enquêté sur la criminalité en Haïti estime que le système judiciaire haïtien, a délibérément été saboté par les gouvernements successifs, souffre depuis longtemps de la politisation et de la corruption endémique.
Selon le rapport transmis au conseil de sécurité de l’ONU par les experts, le système judiciaire haitien est à peine opérationnel aujourd’hui.
Compte tenu des très faibles taux de poursuites et de condamnations, indique le rapport, ‘‘les conditions de vie sont désastreuses dans des prisons surpeuplées, qui affichent un taux d’occupation des cellules de 332 %. En août 2023, sur 11 816 personnes détenues, seules 1 892 avaient été reconnues coupables d’une infraction.’’
Les procureurs (Commissaires du gouvernement) sont nommés par le pouvoir exécutif et peuvent être révoqués à tout moment, d’où souvent un manque d’indépendance et la mainmise des acteurs politiques et économiques sur le système. ‘‘Des criminels présumés sont régulièrement libérés sans procès ou des enquêtes bloquées, du fait de pots-de-vin, de menaces ou d’intimidations lancées ou de trafics d’influence, ce qui renforce encore davantage le sentiment d’impunité.’’
Ces faits sont souvent dénoncés par les organisations locales de défense des droits humains.
Le rapport indique que les bâtiments et les acteurs du système judiciaire sont régulièrement la cible d’acteurs puissants, dont l’objectif est de saper l’état de droit.
‘‘Avec l’aide des gangs et à la faveur des manifestations, plusieurs bâtiments clés ont été pris d’assaut, occupés, saccagés ou détruits, contrariant profondément la procédure judiciaire et entraînant la destruction ou le vol de dossiers et d’éléments de preuve essentiels. Le tribunal de première instance de Port-au-Prince a été saccagé en 2022 et se trouve actuellement sous le contrôle du gang « 5 Segond ». De même, le palais de justice des Gonaïves a été incendié en octobre 2022’’, soutient le rapport.
Le document souligne également que depuis leur création au début des années 2000, deux unités gouvernementales de lutte contre la corruption – l’Unité centrale de renseignements financiers et l’Unité de lutte contre la corruption – ont renvoyé plus de 140 affaires devant les tribunaux. À ce jour, une seule personne a été condamnée. En juin 2023, à la suite d’enquêtes, un juge a déféré Youri Latortue, un ancien sénateur, au tribunal criminel pour y être jugé pour détournement de fonds publics.
L’avocat de Youri Latortue a interjeté appelle de l’ordonnance du juge d’instruction.
S’agissant de la violence sexuelle et fondée sur le genre, malgré le nombre élevé de victimes, aucune poursuite n’a eu lieu ni aucune condamnation prononcée ces deux dernières années, précise le document des experts onusiens.
L’insécurité et les menaces empêchent de nombreux juges à travers tout le pays de travailler, en particulier ceux qui traitent de grandes affaires concernant des acteurs politiques et économiques puissants.
En mai 2023, le véhicule d’un juge travaillant sur des affaires de corruption (Jean Wilner Morin) a fait l’objet de tirs nourris (le juge n’a pas été blessé). L’environnement extrêmement risqué et le manque de protection physique des juges empêchent les acteurs du système judiciaire de faire leur travail et de faire pression pour que les dossiers sensibles donnent lieu à des poursuites.
Deux ans après l’assassinat de l’ancien Président Moïse, et malgré l’arrestation de plus de 40 suspects, dont plusieurs ont été condamnés aux États-Unis, l’enquête en Haïti ne semble pas avoir progressé, selon le rapport.
Les experts estiment qu’un système judiciaire opérationnel est essentiel pour lutter contre la violence des gangs et rétablir l’état de droit. « Cela permettrait, notamment, de mettre un frein aux activités des personnes qui menacent la stabilité d’Haïti parce qu’elles financent des gangs, fomentent des troubles et des barricades ou détournent des fonds publics. De plus, le moral d’autres acteurs du système haïtien, comme la police, est fortement affecté, de nombreux agents étant découragés par l’absence de véritables poursuites », déclarent-ils.
Après la démission, en novembre 2022, de l’ancien Ministre de la justice faisant l’objet de sanctions imposées par un État Membre, des mesures ont été prises afin de renforcer l’intégrité et de mettre en place un système de contrôle de la performance du personnel judiciaire.
Entre janvier et juillet 2023, rappelle le groupe d’experts, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a examiné le cas de 91 juges, dont 32 n’ont pas été certifiés, au motif essentiellement que leur intégrité laissait à désirer ou qu’ils auraient menacé ou rançonné des parties litigantes.
‘‘À la lumière de ces événements, plusieurs cas très médiatisés de participation présumée à des actes de corruption ou à des activités criminelles – comme le trafic d’armes – font actuellement l’objet d’enquêtes plus approfondies’’, soulignent les experts de l’ONU.