Haïti/Droits humains : Un adolescent haïtien détenu pendant trois ans sur une fausse accusation de vol

Un detenu dans une prison haitienne/image d'illustration...

Cayes, mercredi 9 février 2022– À 15 ans, Renel a été détenu sans jugement pendant trois ans après avoir été accusé à tort d’avoir volé deux canards à un commerçant local.

Ce jeune homme a passé son enfance dans la ville côtière des Cayes, dans le sud d’Haïti, entouré d’amis, en jouant à cache-cache et aux billes, en nageant dans la rivière qui coule près de la maison de sa mère ou en faisant des courses avec ses amis depuis l’épicerie aux murs jaunes qui se trouve au coin de sa rue.

Sa vie a basculé lorsqu’il a été accusé de vol et incarcéré à la prison des Cayes.

« Un jour, quand j’avais 15 ans, j’ai décidé d’assister à un festival dans ma ville après l’école pour m’amuser avec mes amis. Une fois là-bas, un commerçant local que je connaissais de vue est soudainement arrivé et il a commencé à me crier dessus très en colère », raconte Renel. « Quelqu’un lui avait volé deux canards et il pensait que c’était moi. J’ai essayé de lui expliquer qu’il s’agissait d’un malentendu, mais il m’a soudainement giflé au visage, me laissant complètement abasourdi. Par la suite, tout ce dont je me souviens c’est qu’il m’a traîné par le poignet jusqu’au commissariat des Cayes ».

Après avoir entendu les accusations de vol contre Renel, un policier a violemment battu l’adolescent et l’a fait attendre tout seul dans une salle pendant des heures sans autre explication. Renel a ensuite été transféré dans une cellule.

« La porte s’est refermée derrière moi. Cela m’a rempli de terreur. Ils m’ont mis derrière les barreaux dans une cellule pleine d’hommes », raconte Renel.

C’était le début d’un séjour en prison qui a duré trois ans sans aucun jugement.

Renel est victime de ce que les Nations Unies dénomment « détention préventive excessive et arbitraire ». Cette pratique est considérée comme une forme souvent négligée de violation des droits de l’homme et elle affecte des millions de personnes dans le monde. Elle cause et aggrave la pauvreté, entrave le développement économique et entrave l’Etat de droit.

La détention provisoire constitue aujourd’hui un énorme défi pour les systèmes pénitentiaires du monde entier, en plus d’être l’une des principales causes de congestion et de surpopulation.

En Haïti, la détention préventive prolongée est une pratique courante. Selon un rapport du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) de juin 2021, 82% des quelque 11.000 personnes, dont des enfants, détenues dans le pays des Caraïbes appartenaient à cette catégorie. L’accès à la justice est particulièrement difficile pour les populations vulnérables.

Après avoir passé trois ans en détention sans jugement, le cas de Renel a été pris par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

« C’était facile de voir la gravité du cas de Renel. Il avait été emprisonné pour un délit mineur alors qu’il était encore enfant. Il s’apprêtait à passer sa jeunesse derrière les barreaux d’une cellule sans que personne ne s’occupe de sa défense légale », a déclaré Wegbert Chery, responsable d’évaluation au PNUD.

« Je savais par expérience que la détention provisoire prolongée existait en Haïti, mais cet enfant était si incroyablement vulnérable aux failles du système que j’ai décidé de porter immédiatement l’affaire à l’attention du Bureau d’assistance légale ».

Le Bureau d’assistance légale (connu sous le nom de BAL) est une initiative du PNUD, du BINUH et du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique d’Haïti. Lancé en mai 2021, il vise à améliorer l’accès à la justice pour les personnes en situation de vulnérabilité et aux ressources limitées.

Mis en œuvre par le PNUD, ONU Femmes et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le BAL se focalise sur la réduction de la durée de la détention des suspects dans les commissariats et dans les centres de détention, ainsi que sur la décongestion des tribunaux et la protection et la préservation des droits des victimes et des témoins.

Le BAL vise notamment à limiter le recours excessif aux mesures privatives de liberté.

En 2021, le PNUD, de concert avec le BAL aux Cayes a travaillé sur les cas de 121 personnes (112 hommes et 9 femmes) ; 67 ont retrouvé leur liberté.

Renel était l’une de ces personnes ; il a été libéré plusieurs mois après l’intervention du PNUD et lutte maintenant pour se réadapter à son ancienne vie. « Après trois ans de prison, j’ai réalisé que j’avais oublié le chemin qui menait jusqu’à la maison de ma mère », raconte-t-il. « Les enfants devraient être à l’école, pas en prison ».

Sa vie est meilleure maintenant, même s’il continue à faire face à l’ostracisme social causé par la stigmatisation d’avoir été en prison, indépendamment du fait qu’aucun tribunal ne l’ait jamais reconnu coupable d’un crime.