Haïti/Corruption : « Les pires détournements des fonds du programme Petrocaribe ont eu lieu pendant le mandat présidentiel de Michel Martelly », selon rapport d’experts de l’ONU…

Michel Martelly, ex-president d'Haiti et Laurent Lamothe, ancien premier ministre haitien...

NEW-YORK, samedi 21 octobre 2023– Selon le rapport d’enquête groupe d’experts des Nations-Unies, le détournement des fonds du programme Petrocaribe a perpétué la pauvreté et l’instabilité sociale en Haïti.

Les experts onusiens qui ont analysé plusieurs rapports produits par diverses entités sur l’utilisation des fonds du programme Petrocaribe, affirment que « Les pires détournements ont eu lieu pendant le mandat présidentiel de M. Martelly, de 2011 à 2016, qui a coïncidé avec le mandat de Laurent Lamothe en tant que Ministre de la planification et de la coopération extérieure et Premier Ministre, de 2012 à 2014. »

Ils soulignent que M. Lamothe, qui était l’ordonnateur principal pour le décaissement des fonds, a délivré des autorisations pour un montant total de 668,8 millions de dollars pour 149 projets.

‘‘Martelly et Lamothe ont été contraints de démissionner, mais pas en même temps, en raison des manifestations publiques nationales contre la corruption’’, soutiennent les experts.

Ils rappellent qu’en 2022 et 2023, M. Lamothe a fait l’objet de sanctions par deux États Membres, et M. Martelly, par un État Membre.

Les experts font remarquer que les rapports d’enquête officiels haïtiens ont conclu que, ‘‘sur le montant total de 1 738 691 909 dollars alloué aux projets, environ 92 % avaient été dépensés sur la base d’autorisations douteuses et que pratiquement aucun projet n’avait été réalisé.’’

Selon eux, « le pays s’est retrouvé dans l’impossibilité de régler ses problèmes économiques et sociaux et, en août 2023, consacrait encore 10 millions de dollars par mois au remboursement du prêt, alors qu’il voyait à peine les retombées des projets eux-mêmes. »

Le Groupe d’experts affirme avoir contacté M. Lamothe, qui a nié avoir jamais détourné ces fonds Petrocaribe.

Les experts indique Lamothe a répondu qu’il avait été blanchi de ces accusations et qu’à aucun moment il n’avait été l’ordonnateur du fonds. Il a également déclaré que « le fonds était géré par le Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement, sous la supervision du Ministre des finances, en toute autonomie. Les fonds ont été alloués aux projets sous la direction du Président, qui préside le Conseil des ministres ».

Les experts soulignent dans leur rapport que le prêt concessionnel Petrocaribe accordé en 2005 par la République bolivarienne du Venezuela – sous forme de pétrole et non d’argent liquide – d’un montant de plus de 4 milliards de dollars était destiné au développement économique et social, notamment à la lutte contre la pauvreté et aux systèmes de santé et d’éducation.

Ils notent que ‘’les fonds ont été en grande partie détournés alors qu’Haïti venait de connaître sa pire crise humanitaire : le tremblement de terre de 2010, qui a fait plus de 250 000 morts, plus de 300 000 blessés et 1,5 million de sans-abri, en plus de détruire une grande partie des infrastructures du pays. L’ouragan Sandy et une épidémie de choléra ont suivi’’, renchérissent-ils.

A part les fonds du programme Petrocaribe, les experts onusiens s’intéressent également au détournement des recettes douanières.

Dans leur rapport, ils soulignent que Romel Bell, ex-directeur general de l’administration générale des douanes (AGD), avait fait une fausse déclaration de son patrimoine personnel car il avait dissimulé des informations et n’avait pas justifié les montants reçus sur ses comptes bancaires, qui étaient supérieurs à son salaire.

« Il s’est également rendu coupable de fraude fiscale et de détournement de recettes douanières et a encouragé des activités criminelles aux services des douanes » affirment les experts.

Ils indiquent qu’entre 2012, date à laquelle il a été affecté à l’aéroport, et 2018, date à laquelle il est devenu directeur général des douanes, M. Bell a touché un salaire brut annuel, avantages compris, qui était entre 1 241 160 gourdes (29 813 dollars) et 1 327 140 gourdes (14 695 dollars).

Cependant, poursuivent les experts, « pendant cette période, il a amassé une fortune qui dépasse son salaire et ses avantages et qu’il ne peut pas justifier139. Par exemple, à des dates successives, M. Bell a transféré à une école située dans un pays étranger 28 050,00 dollars, 21 750,00 dollars, 8 229,25 dollars et 15 000 dollars, sommes dont il n’a pas confirmé la provenance. Il n’a pas non plus déclaré plusieurs biens immobiliers qu’il possède, ainsi que des intérêts dans une société qu’il dirigeait », souligne le rapport.

Le rapport traite aussi du détournement de l’aide bilatérale.

Dans leur enquête, les experts onusiens analysent le cas du bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD), qui est chargé de la monétisation, de la passation des marchés publics et de l’importation des produits pétroliers.

Le rapport indique que Patrick Noramé, ancien Directeur général du Bureau de monétisation a détourné plus de 124 millions de gourdes (environ 2 millions de dollars) provenant de ventes illégales de riz donné par la Japan International Cooperation Services en 2016 dans le cadre de l’aide à Haïti.

« Les recettes provenant de la vente du riz devaient permettre de réduire le déficit en riz sur le marché142 (voir annexe 47). En mars 2023, le parquet de Port-au-Prince a lancé un mandat d’arrêt international contre M. Noramé pour blanchiment d’argent et détournement de fonds publics », souligne le rapport.

Selon le Japon a informé le Groupe d’experts qu’il avait suspendu toute aide bilatérale à Haïti, à l’exception de l’aide humanitaire d’urgence, jusqu’à ce que le Gouvernement haïtien prenne les mesures qui s’imposent.

Selon le groupe d’experts des Nations-Unies, « le détournement de fonds publics et la malversation ne sont pas des crimes sans victime. Ils entraînent une pauvreté généralisée et ont des répercussions sur l’emploi, les soins de santé et l’éducation. Le droit à l’alimentation dans un pays où près de la moitié de la population (4,9 millions de personnes) connaît des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë ne peut se réaliser du fait du détournement de fonds publics qui auraient contribué à sauver des vies, à créer des débouchés économiques et à fournir d’autres moyens de survie économique que l’appartenance à un gang. »

D’après le groupe d’experts de l’ONU, en Haïti, le détournement systématique des fonds publics, l’un des principaux moteurs de la violence, est une menace pour la paix, la sécurité et la stabilité.

Ils notent que le détournement de fonds publics a freiné l’emploi formel dans un pays où l’économie informelle représente environ 55,1 % du PIB.

‘‘La plupart des transactions se font donc en espèces, ce qui pose un problème pour l’application des réglementations en matière de criminalité financière. Ces quatre dernières années, l’économie s’est contractée de 1,7 % en 2019, de 3,3 % en 2020, de 1,8 % en 2021 et de 1,7 % en 2022, d’où la difficulté de répondre aux besoins socioéconomiques actuels’’, soutient le rapport.

Le Groupe d’experts affirme avoir reçu des informations sur plusieurs cas de flux financiers illicites concernant des personnes quittant Haïti avec de grosses sommes en espèces, principalement par avion.

A titre d’exemple, ils soulignent qu’entre janvier et mai 2023, les autorités américaines ont fait plusieurs saisies pour un montant total de 413 581 dollars en espèces, sur des personnes venant d’Haïti et allant aux États-Unis ou vice versa.

« On voit ainsi l’un des canaux par lequel l’argent illicite destiné à des activités illicites, telles que l’achat d’armes et de munitions ou le trafic de stupéfiants, sort du pays. Entre 2018 et août 2023, selon les informations données au Groupe d’experts, 1 141 882 dollars en espèces ont été saisis à l’entrée ou à la sortie d’Haïti », lit-on dans le rapport du groupe d’experts de l’ONU.