PORT-AU-PRINCE, mercredi 16 août 2023- Me Samuel Madistin estime que l’impact de la corruption sur le développement économique et sociale d’Haïti est considérable.
Dans une interview à RHINEWS, l’avocat évoque au moins quatre éléments pour illustrer l’impact de la corruption sur le développement économique et social d’Haïti.
Il cite notamment la gestion opaque du fonds de Reconstruction d’Haiti (FRH) mis en place après le tremblement de terre de 2010, fonds géré par la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)
Madistin rappelle qu’après le tremblement de terre de 2010, les objectifs qui étaient fixés, c’étaient la reconstruction d’Haïti avec de grands axes routiers, des constructions parasismiques modernes et des constructions de villa pour le relogement des sinistrés.
‘‘A cette fin, souligne l’avocat, il a été créé la CIRH coprésidé par le premier ministre haïtien Jean Max Bellerive et l’ancien président américains William (Bill) Jefferson Clinton. Près de dix milliards de dollars américains ont été promis à Haïti sur trois ans au cours de la réunion des donateurs de New-York du 31 mars 2010.’’
Il souligne qu’à l’accession de Michel Martelly au pouvoir en 2011, cette commission a été remplacée par le Ministère de la Planification. ‘‘Plus de la moitié des fonds promis à la conférence des bailleurs de New-York, aurait été décaissée’’, indique-t-il.
‘‘Quel est le bilan aujourd’hui ? L’initiative a été prise sur trois ans, mais treize ans plus tard Haïti est-elle moins vulnérable aux catastrophes naturelles qu’en 2010 ?’’ A quoi a servi la CIRH ? s’interroge l’homme de loi.
« C’est comme la mission pour la stabilisation d’Haïti des Nations-Unies qui est restée pendant près de quinze ans en Haïti et elle nous a laissés avec un pays plus instable qu’avant, une force de police faible, incapable de se protéger et de protéger la population. Aucune action durable n’a été posée durant ces quinze ans. La CIRH a été une farce, mais des milliards de dollars américains sont volatilisés », déclare Madistin.
Poursuivant son analyse, il se réfère au scandale de corruption des fonds du programme Petrocaribe.
« Comme la CIRH, dit-il, le pays a raté le train du fonds Petrocaribe en raison de la corruption. Les sommes dépensées ne correspondent pas aux résultats obtenus. Les rapports de la commission sénatoriale d’enquête et de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCA) ont établi de manière éclatante que la gestion du fonds Petrocaribe a été une vaste escroquerie, une opération marquée par l’enrichissement illicite de fonctionnaires de l’État, la passation illégale de marchés publics, des abus de fonction, le favoritisme, le népotisme et autres actes de corruption. Le pays n’a pas une nouvelle fois bénéficié des opportunités offertes par le fonds Petrocaribe. »
‘‘A part la CIRH et le fonds Petrocaribe, poursuit Madistin, le trésor public dépense près de deux Milliards de dollars américains à travers le budget annuel du pays. Les dépenses liées à la gestion du budget de l’État sont aussi caractérisées par des actes de corruption en privant le pays de ressources nécessaires à son développement et en gaspillant les ressources disponibles, L’État perd des millions de dollars annuellement à travers la contrebande.’’
Selon lui, « Haïti est le seul pays où un fonctionnaire de l’État entre dans l’administration publique pauvre comme Job et en sort riche comme crésus sans avoir à s’expliquer sur l’origine licite de ses biens. L’individu qui n’a jamais travaillé dans sa vie accède à la fonction de député peut devenir millionnaire en quatre ans en dehors de ses revenus légitimes. Ceci peut être observé au niveau de toute l’administration publique où les fonctionnaires de l’Etat affichent un train de vie qui ne cadrent pas à leurs revenus légitimes. .Chaque ingénieur travaillant au Ministère des travaux publics ou presque est une firme de construction pour la réalisation de travaux qu’il supervise pour l’État. C’est pareil dans les autres ministères, au palais national, la primature où les marchés publics sont passés en violation des règles de la libre concurrence », soutient M. Madistin.
Parallèlement, il fait remarquer qu’il y a corrélation entre corruption et criminalité. Selon lui, ‘‘il suffit de voir la corruption qui caractérise la gestion des fonds alloués pour les services de renseignement et la relation de cette gestion chaotique sur la situation sécuritaire du pays pour mesurer l’impact de la corruption sur la stabilité du pays, base de son développement économique et social.’’
‘‘ Si les services de renseignement de la police étaient efficaces, on n’aurait jamais eu le cas des policiers assassinés à village de dieu. Jamais ! La multiplication des zones de non-droit, le développement du phénomène du kidnapping sont dû aux effets pervers des actes de corruption, déclare-t-il.
Selon M. Madistin, plusieurs raisons expliquent pourquoi il n’y a jamais eu de grands procès contre la corruption en Haïti à part le procès de la consolidation où le procès des timbres.
Il note une absence de volonté politique. L’avocat affirme ‘‘qu’il est impossible de réaliser de grands procès contre la corruption sans une réelle volonté politique. La mafia a le bras long. Les corrompus sont capables d’occuper toutes les sphères du pouvoir politique et des forces de sécurité. Cette volonté politique est généralement absente en Haïti parce que la corruption généralement les tenants du pouvoir ou leurs proches.’’
Il évoque la faiblesse normative et institutionnelle en Haïti, ajoutant que lutter efficacement contre la corruption nécessite un cadre normatif approprié et des institutions fortes.
« En Haïti nos codes sont désuets, dit-il. Ils datent de 1835. Ils ne cadrent plus aux moyens à développer pour faire face aux nouvelles menaces liées à la corruption. Les décrets et quelques rares lois pris pour lutter contre la corruption sont loin de constituer un arsenal juridique suffisant pour lutter efficacement contre la corruption. De plus, les institutions de lutte contre la corruption sont trop faibles ».
Madistin rappelle que dans le cadre de la revendication du peuple haïtien cristallisé par la campagne : « KOTE KÒB PETROKARIBE A » la CSCCA a produit trois rapports d’audit de gestion des ordonnateurs et comptables de deniers publics concernés par la gestion de ce fonds. Toutes les institutions publiques sont concernées par ces rapports y compris des institutions de contrôle comme la chambre des députés, le Sénat de la République et la Cour supérieure des Comptes elle-même à travers son président.’’
Il souligne que pour juger les comptes de ces ordonnateurs et comptables publics la Cour se devait de réaliser des audits complémentaires pour chacun des ordonnateurs et comptables publics concernés par la gestion de ce fonds avant de prononcer éventuellement des arrêts de débet contre les gestionnaires malveillants.
‘‘Cela suppose donc au moins une centaine de rapports complémentaires. Aucun rapport complémentaire n’a été réalisé par la cour en cinq ans, aucun ! Et il y a à parier qu’il n’en aura pas dans vingt ans qui est le délai de prescription pour poursuivre les ordonnateurs et comptable publics pour des fautes de gestion. Passé ce délai aucune poursuite ne peut être engagée’’, déplore-t-il.
IL affirme qu’il y a des infractions de corruption qui peuvent être jugées sans ces rapports de la CSCCA, sans arrêt de débet telles le délit d’initié, l’abus de fonction, la surfacturation, la passation illégale de marché public, l’enrichissement illicite, le favoritisme, le népotisme, mais le juge qui était en charge du dossier, pour ses intérêts personnels, a décidé de surseoir à l’instruction jusqu’aux arrêts de débet de la CSCCA. ‘‘Ce magistrat a été depuis renvoyé du système par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) pour absence d’intégrité morale (pour des faits de corruption donc), mais le dossier n’a jamais été confié à un autre magistrat pour la reprise de l’instruction.’’
Madistin parle aussi de la faiblesse du système judicaire.
Selon lui, il faut un système judiciaire fort et indépendant pour réaliser de grands procès contre la corruption. « Les procès qu’i nous faut contre la corruption doivent être des procès équitables. Cela veut dire qu’il faut des Magistrats compétents, indépendants et impartiaux. Nous avons ces derniers temps des Magistrats qui ne maitrisent pas les crimes financiers d’un côté et de l’autre il y en a des Magistrats qui font du populisme pénal, c’est-à-dire qu’ils posent des actes en violation de la loi et des règles de procédure dans le but de rechercher la sympathie de l’opinion publique afin que ceux qui applaudissent aujourd’hui puissent être des électeurs de demain », déclare l’avocat et militant des droits humains.
‘‘On a vu ces dernières années combien d’anciens Magistrats ont été élus à la chambre des députés ou au Sénat de la République parce qu’ils ont posé un acte spectaculaire dans l’exercice de leur fonction. Cette tendance (le développement du populisme pénal) tue la justice et ne favorise pas l’organisation de bons procès, car bien souvent ces décisions sont reformées en appel ou cassées par la Cour de Cassation de la République’’, soutient-il.
Selon lui, ‘‘un système judiciaire fort suppose aussi des commissaires du Gouvernement compétents pour soutenir les accusations et des avocats de la défense également compétents. Les procès doivent être réalisés de manière que les verdicts soient justes et équitables pour qu’ils soient acceptés par les acteurs et par le public. Les procès bâclés ne servent pas la cause de la justice.’’
Il se dit suis favorable à un audit général des Comptes de l’État. ‘‘Mais cela ne sert à rien si la CSCCA reste dans cet état et si le système judicaire haïtien n’est pas renforcé tout comme les institutions de lutte contre la corruption’’, déclare-t-il.
‘‘Quelle doit-être la finalité de cet audit général ? se demande-il. ‘‘C’est identifier les actes de corruption, renforcer les structures pour éviter la réplétion de ces actes, permettre à l’État de rentrer de l’argent et sanctionner les coupables.’’
Cependant, il affirme qu’un audit général des comptes du pays mobiliserait beaucoup de moyens.
‘‘La CSCCA, dans l’état actuel, ne peut pas. Il faudra la renforcer. Il faudra, à mon sens une coopération étrangère bien pensée. Cela passe aussi par la réforme du droit et de la justice. Le premier objectif de la lutte contre la corruption c’est de permettre à l’État de récupérer les ressources dont il a besoin pour répondre aux revendications de la population en matière de santé, de sécurité, d’éducation. Ce n’est pas la prison. Or, aujourd’hui encore il n’y a pas hélas de peine alternative à la prison en Haïti, il n’y a pas de médiation pénale, pas de “plea bargain”.
Selon Madistin, ce sont des réformes indispensables à envisager pour lutter efficacement contre la corruption.
« Il nous faut un nouveau code de procédure pénale, un nouveau code pénal. Il nous faut repenser l’organisation de la justice, revoir les missions confiées aux représentants du Ministère public, aux juges d’instruction. Vous avez des dossiers qui durent trois ans au cabinet d’instruction et au final le juge n’a fait qu’auditionner des témoins et interroger des prévenus comme seuls actes d’instruction pendant trois ans. On n’a pas besoin d’auditer les comptes de l’État si cela doit continuer ainsi ».
Il affirme qu’au niveau de la Fondasyon Je Klere (FJKL) nous pensons que le premier pas à faire dans le cadre de la lutte contre la corruption est la sensibilisation. Il faut porter le maximum de citoyens et de citoyennes possibles à prendre conscience du désastre de la corruption afin d’atteindre l’objectif : Tous unis contre la corruption.