‘‘Haïti classée au 3e rang mondial des pays où l’impunité est la plus grande pour les crimes contre les journalistes’’-CPJ

Jean Leopold Dominique

PORT-AU-PRINCE, samedi 23 décembre 2023 – Le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) a publié son Indice mondial de l’impunité 2023, plaçant Haïti au troisième rang mondial des pays où l’impunité pour les crimes contre les journalistes est la plus élevée. Cette triste distinction découle d’une année 2023 marquée par une augmentation alarmante des enlèvements de journalistes en Haïti, exacerbée par l’escalade de la violence et de l’insécurité criminelle.

Entre janvier et le 15 décembre 2023, au moins sept journalistes ont été enlevés et libérés contre rançon en Haïti. Les gangs ont renforcé leur emprise sur le pays depuis l’accession au pouvoir du Dr. Ariel Henry, consécutivement à l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Ces groupes armés contrôlent plus de 80% du territoire de la capitale haïtienne, formant des alliances et instaurant un climat de terreur impunie parmi la population.

Malgré une diminution du nombre d’assassinats de journalistes par rapport à 2022, au moins un journaliste, Garry Tesse, a perdu la vie en 2023. Parallèlement, plusieurs reporters ont été contraints de fuir leur domicile, voire le pays, pour échapper aux menaces et aux attaques. Ces enlèvements semblent motivés par le travail des journalistes, bien que l’argent et la visibilité aient également joué un rôle. Dans chaque cas, une rançon a été versée pour assurer la libération des victimes, mais les montants restent confidentiels.

Le champ d’action des reporters en Haïti est devenu extrêmement restreint, car ils ne peuvent plus se déplacer dans les zones contrôlées par les bandits pour effectuer des reportages. Plusieurs incidents emblématiques ont marqué cette année, dont le kidnapping du journaliste Jean Thony Lorthé le 3 février et celui de Lebrun Saint-Hubert, propriétaire de la station de radio RCH 2000, le 17 mars.

Robert Denis, propriétaire de 75 ans de la chaîne de télévision Canal Bleu et président de l’Association Nationale des Médias Haïtiens, a été retenu en captivité du 10 au 21 avril jusqu’à ce qu’il paie une rançon.

Le président de la chaîne privée Télé Pluriel 44, Pierre-Louis Opont, a été kidnappé le 20 juin, une semaine après l’enlèvement bref de sa femme, Marie Lucie Bonhomme, journaliste de Radio Vision 2000. Blondine Tanis, animatrice sur Radio Rénovation FM, a également été kidnappée le 21 juillet, libérée le 30 juillet après le paiement d’une rançon. Plus récemment, Banatte Daniel de Radio Regard FM est porté disparu depuis le 16 décembre 2023.

Haïti rejoint ainsi la liste des pays où les meurtriers de journalistes ont le plus de chances de rester impunis, selon le CPJ. L’organisation souligne que l’absence persistante de justice pour les journalistes assassinés représente une menace majeure pour la liberté de la presse.

L’Indice mondial de l’impunité 2023 révèle une combinaison dévastatrice de violence des gangs, de pauvreté chronique, d’instabilité politique et d’un système judiciaire dysfonctionnel, plaçant Haïti au troisième rang mondial derrière la Syrie et la Somalie.

‘‘Les conflits, la corruption, l’insurrection, la mauvaise application de la loi et le manque d’intérêt politique contribuent à cette impunité persistante, mettant en péril le journalisme indépendant et la sécurité des journalistes en Haïti’’, selon le CPJ.

L’Indice de cette année révèle que sur les 261 journalistes assassinés dans le cadre de leur travail entre le 1er septembre 2013 et le 31 août 2023, 204 cas, soit plus de 78%, n’ont toujours pas été élucidés. Ces chiffres soulignent l’urgence de prendre des mesures significatives pour protéger la liberté de la presse et lutter contre l’impunité des crimes contre les journalistes.

En Haïti, l’enquête se poursuit depuis années sur le cas de nombreux journalistes qui ont été assassinés, dont le célèbre Jean-Leopold Dominique, PDG de Radio Haïti Inter, le 3 avril 2000.