PORT-AU-PRINCE, vendredi 28 février 2025– Le rapport annuel de la Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) dresse un état des lieux alarmant de la situation des droits fondamentaux en Haïti en 2024. Dans un pays livré à la violence, où l’État peine à assurer la protection de ses citoyens, la montée en puissance des gangs armés, la déliquescence des institutions publiques et une crise humanitaire sans précédent ont marqué cette année comme l’une des plus sombres de l’histoire récente du pays.
L’année 2024 a été marquée par un contexte politique chaotique et une instabilité gouvernementale persistante. Haïti a connu une instabilité sans précédent, où trois Premiers ministres et neuf personnalités se sont succédé à la tête de l’État en l’espace d’un an. Cette instabilité a été exacerbée par le départ d’Ariel Henry en février 2024, qui a laissé un pays en proie à l’anarchie. La crise a atteint son paroxysme lorsque la coalition terroriste “Viv Ansanm” a intensifié ses attaques, plongeant le pays dans une spirale de violence incontrôlable. Sous l’égide de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a été installé le 25 avril 2024 avec pour mission de restaurer la sécurité, entreprendre des réformes constitutionnelles et organiser des élections pour février 2026. Cependant, ce conseil, composé de neuf membres, s’est avéré inefficace, gangrené par la corruption et l’incapacité à répondre aux attentes de la population.
Le bilan humain de cette année est désastreux avec des massacres, des déplacements forcés et une violence exacerbée. Les attaques des gangs armés ont atteint un niveau inégalé, causant entre 4 000 et 5 000 morts. Neuf massacres de grande ampleur ont été recensés, chacun illustrant la cruauté et l’impunité dont bénéficient ces criminels. À Pont Sondé, entre le 2 et le 3 octobre 2024, le groupe criminel Gran Grif a assassiné environ 115 personnes, incendié des maisons et provoqué un déplacement massif des habitants. À Pétion-Ville, le 18 mars 2024, 15 corps sans vie ont été retrouvés après une nuit de terreur. À Carrefour et Gressier, entre avril et mai 2024, environ 70 personnes ont été massacrées et des dizaines de femmes ont subi des violences sexuelles. Le 6 décembre 2024, à Cité Soleil, dans la zone de Wharf Jérémie, un massacre ordonné par le chef de gang Micanord a causé la mort de 150 à 200 personnes, dont une majorité de personnes âgées.
L’année 2024 a également vu une explosion du nombre de déplacés internes, un phénomène qui atteint des proportions inédites. À la fin de l’année, on comptait plus de 700 000 déplacés internes, contre 300 000 à la fin de 2023. Environ 150 000 d’entre eux sont aujourd’hui répartis dans 117 camps de fortune où les conditions de vie sont inhumaines. Ces camps, installés dans des bâtiments désaffectés, des écoles et des espaces publics, manquent des infrastructures de base nécessaires à la survie. Les déplacés vivent dans une précarité extrême, sans accès à une alimentation adéquate, à des soins médicaux ou à des conditions sanitaires minimales. La violence basée sur le genre y est omniprésente, les femmes et les filles étant particulièrement vulnérables aux agressions et à l’exploitation.
L’éducation et la santé ont été les secteurs les plus affectés par cette crise. Plus de 1 500 écoles ont fermé leurs portes, dont certaines n’ont pas rouvert pour l’année académique 2024-2025. Les établissements publics ont été les plus durement touchés. Certains ont été envahis par des gangs, d’autres transformés en camps de déplacés, privant ainsi des milliers d’enfants de leur droit fondamental à l’éducation. Le lycée Toussaint Louverture, par exemple, a été contraint de déménager à plusieurs reprises après avoir été pillé. Le lycée Daniel Fignolé, situé à Delmas 6, a été relocalisé dans quatre établissements différents en raison de l’insécurité. L’école nationale Darius Denis a dû fonctionner simultanément dans trois espaces distincts. L’État, déjà en difficulté financière, n’a pas su mettre en place des mesures pour garantir la continuité éducative, laissant des milliers d’enfants sans accès à l’instruction.
Le secteur de la santé a également été ravagé par l’insécurité. Plus de 34 établissements de santé ont fermé, soit parce qu’ils ont été attaqués par des gangs, soit parce que le personnel soignant a fui par crainte pour sa vie. L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), le plus grand centre hospitalier public du pays, a été pillé et fermé pendant plusieurs mois. L’Hôpital Bernard Mevs, une institution spécialisée dans la prise en charge des traumatismes, a été attaqué par des gangs et a dû fermer ses portes. L’Hôpital La Paix est le seul établissement public encore fonctionnel dans la capitale, mais il est totalement submergé par l’afflux de patients, notamment des blessés par balle.
La crise migratoire et les déportations massives ont ajouté une dimension supplémentaire à la catastrophe humanitaire que traverse Haïti. En 2024, 230 974 Haïtiens ont quitté le pays dans des conditions souvent périlleuses. Plus de 110 000 se sont installés au Mexique, tandis que 31 000 ont transité par le Nicaragua pour tenter de rejoindre les États-Unis. Parallèlement, la République Dominicaine a intensifié ses expulsions de migrants haïtiens, avec 297 000 personnes renvoyées en Haïti en 2024, dont 94 000 femmes et enfants. Ces déportations, souvent brutales, sont réalisées dans des conditions inhumaines. Les migrants haïtiens sont arrêtés violemment, battus, enfermés dans des centres de détention insalubres avant d’être transportés à la frontière sans leurs effets personnels.
L’effondrement de l’État haïtien s’est poursuivi en 2024, miné par la corruption et le dysfonctionnement des institutions publiques. La POHDH note que 47 rapports d’enquête de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) ont été transmis à la justice sans qu’aucun procès n’ait eu lieu. Le Conseil Présidentiel de Transition est lui-même impliqué dans plusieurs scandales de corruption. Trois de ses membres, Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertillaire, sont accusés d’avoir exigé des pots-de-vin pour maintenir en poste un haut fonctionnaire. Pendant ce temps, l’économie haïtienne s’effondre. L’inflation a atteint 23 %, aggravée par l’insécurité qui paralyse l’activité économique. De nombreuses entreprises ont fermé, le chômage a explosé et le coût de la vie est devenu insoutenable pour des millions de citoyens.
Face à cette situation catastrophique, la POHDH formule plusieurs recommandations. Elle demande l’exclusion des membres corrompus du Conseil Présidentiel de Transition afin de restaurer un minimum de crédibilité à cette instance. Elle appelle à une intervention d’urgence pour aider les déplacés internes, notamment ceux vivant dans des camps insalubres. Elle exhorte l’État à renforcer le système éducatif et à sécuriser les établissements scolaires. Elle demande également une réforme profonde du secteur de la santé pour garantir un accès aux soins à la population. Enfin, elle plaide pour une défense plus ferme des droits des migrants haïtiens à l’étranger et une amélioration des infrastructures économiques du pays pour freiner l’exode massif des compétences.
Haïti traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire récente. L’année 2024 a été marquée par une détérioration généralisée des droits humains, où la violence, criminelle alimentée par l’organisation terroriste Viv Ansanm, la corruption et l’impunité ont pris le dessus sur l’État de droit.
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