PORT-AU-PRINCE, mardi 22 avril 2025 (RHINEWS)– Le Parquet près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince a intensifié ses démarches dans le cadre d’une enquête judiciaire d’envergure visant plusieurs personnalités influentes soupçonnées de collusion avec des groupes armés opérant dans la région métropolitaine. Selon des correspondances officielles consultées par RHINEWS, des convocations ont été adressées à des figures clés de la justice, de la sécurité publique et de l’administration haïtienne.
Dans une note datée du 21 avril 2025, le Commissaire du Gouvernement, Me Frantz Monclair, a une nouvelle fois requis l’Inspecteur Général en Chef de la Police Nationale d’Haïti, M. Frantz Thermilus, de mettre à disposition du Parquet l’Inspecteur Général Alain Auguste. Ce dernier, selon le document, « a fait l’objet de plusieurs convocations de la DCPJ restées sans suite ». Le Parquet exige sa comparution le jeudi 24 avril 2025 à 10 heures pour audition dans le cadre d’une enquête impliquant notamment Magalie Habitant, Prophane Victor, Eliinor Devallon et plusieurs autres.
Déjà, dans une correspondance en date du 14 avril, le Parquet avait exprimé la nécessité urgente d’entendre Alain Auguste, en précisant que cette convocation s’inscrivait dans le cadre de plusieurs dossiers judiciaires ouverts.
Dans une autre lettre officielle adressée le même jour au Président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), Me Jean Joseph Lebrun, le Commissaire signale une révélation troublante : le rapport de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, daté du 31 mars 2025, identifie le numéro de téléphone du magistrat Erick Dorsainvil, Juge de Paix suppléant à Delmas, comme ayant été en contact répété avec des chefs de gangs opérant dans la zone métropolitaine. Le Parquet demande au CSPJ de mettre le magistrat à sa disposition, également pour le jeudi 24 avril à 10 heures.
Le 15 avril 2025, dans deux convocations distinctes signifiées par voie d’huissier, Jean Ismaël Valestin a également été invité à comparaître devant le Parquet. Ces démarches judiciaires reflètent un durcissement notable face aux soupçons de collusion entre des cadres de l’État et des structures criminelles armées.
Des informations obtenues par la rédaction de RHINEWS révèlent un réseau de collusion structuré entre des personnalités politiques de haut rang et la coalition criminelle « Viv Ansanm » dirigée par Jimmy Chérizier, alias « Barbecue ». Ce système de soutien actif implique Magalie Habitant, ancienne directrice du SNGRS ; l’ancien député Prophane Victor ; et Eliinor Devallon, directeur de la Caisse d’assistance sociale (CAS). Des preuves matérielles, conversations WhatsApp, relevés d’appels, et documents saisis étayent l’existence d’un maillage criminel solidement implanté dans l’appareil d’État.
Arrêtée à Thomassin le 9 janvier 2025, Magalie Habitant se trouvait à bord d’un véhicule enregistré au nom de GMS Rent A Car, accompagnée de son chauffeur Lenès Jean Philippe, porteur de plusieurs téléphones utilisés pour des transactions Mon Cash en faveur de Chérizier et Kempès Sanon. Lors des premiers interrogatoires, elle a reconnu ses communications régulières avec plusieurs chefs de gangs, dont Chérizier, Sanon, Johnson André alias Izo, Claudy Célestin alias Chen Mechan, Ezéchiel Alexandre alias Ze An, et Jeff Larose alias Jeff Gwo Lwa.
Une note vocale retrouvée dans son téléphone révèle une demande de Kempès Sanon transmise à Prophane Victor :
« Kòm se batay nap batay, fòk nou jwenn 20 kès bal, kès la 3500 sa fè 70,000 dola… nap jwenn mayi. »
Victor aurait répondu ne pas pouvoir fournir la quantité demandée, justifiant cet échange par des menaces reçues d’un autre gang, Kraze Baryè.
Interpellé à Vivy Mitchell le 12 janvier, Prophane Victor détenait plusieurs véhicules, passeports, chèques, livrets bancaires et documents d’identité. Des collaborateurs proches ont été identifiés : Joseph Saget alias Djo, Claudel Victor, Eder Victor, Peterson Félix, Evens Monnier, Jensen Ghandi Victor et Jacquelin Glaude.
Un chèque de plus de deux millions de gourdes, émis par l’entreprise CELISE au nom du FDI, a été saisi, aux côtés d’autres documents bancaires. CELISE, entreprise appartenant à Prophane Victor, est suspectée d’avoir servi de façade logistique à ces opérations. Le chauffeur de Victor, Joseph Saget, a reconnu avoir été armé par son employeur et a confirmé ses liens avec les chefs de gang. Ses communications croisées lient également Magalie Habitant, Réginald Exil et le magistrat Dorsainvil.
Eliinor Devallon, arrêté à Turgeau le 30 janvier 2025 en compagnie de deux policiers détachés illégalement, est quant à lui accusé d’avoir financé « Viv Ansanm » à hauteur de 350 000 gourdes, comme révélé dans un échange vocal avec Magalie Habitant. Un message texte retrouvé dans son téléphone mentionne également l’émission d’un chèque de 4 millions de gourdes au profit d’une station de radio très populaire à Port-au-Prince, sans justification contractuelle. Devallon aurait reconnu avoir effectué d’autres transactions similaires au bénéfice d’organes médiatiques bien connus.
L’enquête révèle un cercle de personnalités interconnectées autour de Habitant, Victor et Devallon, dont :
– Chalè, impliqué dans la revente de véhicules volés ;
– Tipouchon, Celelou, Sonson et Kervens Louis, décrits comme des « camarades politiques » jouant le rôle de relais avec les gangs ;
– Guy Philippe, évoqué pour des relations politiques ;
– Alain Auguste, haut gradé de la PNH, soutenu dans sa promotion par le réseau ;
– Jeff Larose, présumé bénéficiaire d’un véhicule blindé offert par un homme d’affaires, impliqué dans des négociations avec les gangs.
Les renseignements disponibles indiquent que la coalition « Viv Ansanm » est responsable d’au moins dix assassinats ciblés de policiers entre février 2024 et février 2025, ainsi que de plusieurs enlèvements, incendies criminels, et attaques contre des convois diplomatiques. Magalie Habitant est citée comme instigatrice indirecte d’enlèvements et de séquestrations, notamment ceux de religieux sur la Route de Malpasse, ou d’élèves par le gang 400 Mawozo.
Les échanges analysés dévoilent des discussions sur l’achat d’armes, le transfert de fonds, l’acquisition de véhicules et l’organisation logistique à travers des entités administratives et bancaires. La tentative de positionner Alain Auguste à la tête de la PNH, avec l’appui de la coalition criminelle, illustre une stratégie de prise de contrôle institutionnelle au profit de réseaux armés.
Depuis plusieurs mois, la coalition « Viv Ansanm » a multiplié les attaques dans la capitale, l’Artibonite et le Plateau Central. En décembre 2024, les quartiers de Delmas 19, 30, Tabarre 25 et 27 ont été ravagés par des violences ayant fait de nombreuses victimes civiles. À Petite-Rivière de l’Artibonite, le gang Gran Grif a massacré au moins dix personnes.
Entre le 6 et le 11 décembre 2024, à Wharf Jérémie (Cité Soleil), le gang de Micanor Altès alias « Wa Mikanò » a tué au moins 207 personnes, selon un rapport du BINUH et du HCDH. Les victimes, pour la plupart âgées, ont été torturées, exécutées puis brûlées. En octobre, un massacre à Pont-Sondé a fait 115 morts, y compris des nourrissons, en représailles à la résistance locale.
Les violences généralisées ont provoqué plus d’un million de déplacés, selon l’OIM. Hôpitaux, écoles, universités, commissariats et médias ont été attaqués. En mars 2025, plusieurs stations de radio ont été incendiées. L’attaque de l’Hôpital Général en décembre 2024 a coûté la vie à deux journalistes et un policier.
Malgré quelques opérations ponctuelles, l’État haïtien peine à enrayer l’expansion des groupes armés. Le démantèlement des institutions, la destruction des infrastructures publiques et l’effondrement de l’autorité étatique plongent le pays dans une spirale d’instabilité sans précédent.