NEW-YORK, samedi 7 octobre 2023– De l’avis de Keith Mines, ‘‘United States Institute for Peace’’ (USIP), « même si la mission approuvée par l’ONU contribuera à étouffer la violence des gangs, la crise humanitaire en Haïti nécessite une réinitialisation complète de la gouvernance. »
Analysant la crise haïtienne, Mines affirme : « Bien qu’il n’y ait pas encore de calendrier officiel pour son déploiement, la force dirigée par le Kenya sera confrontée à un environnement de sécurité complexe, rendu encore plus intimidant par les troubles politiques actuels en Haïti. Le succès de la mission dépendra non seulement de la capacité de la force déployée à établir rapidement la paix, mais également de sa capacité à ouvrir la voie à une réinitialisation significative et démocratique du gouvernement dans ce pays historiquement tumultueux. »
Keith Mines explique la décision de l’ONU d’autoriser la mission, les défis auxquels elle sera confrontée une fois sur le terrain en Haïti et comment les États-Unis peuvent faciliter un dialogue politique simultané pour donner à Haïti une chance de rétablir une gouvernance sûre et stable.
Il souligne que plusieurs autres pays , dont les Bahamas, la Jamaïque, l’Italie, l’Espagne, la Mongolie, le Sénégal, le Rwanda, le Belize, le Suriname, le Guatemala, Antigua-et-Barbuda et le Pérou – ont également annoncé des promesses de soutien. Les États-Unis ont offert 100 millions de dollars de soutien financier à la force et 100 millions de dollars supplémentaires pour permettre les opérations de renseignement, d’équipement et de logistique.
Quant au Kenya qui dirigera la force, il enverra un contingent de 1 000 membres de sa police des frontières, qui possède une vaste expérience des opérations de maintien de la paix, et assurera la direction de l’ensemble de la mission.
Le Kenya a exprimé non seulement sa volonté de diriger la force, mais aussi sa ferme détermination à faire en sorte que la mission réussisse.
‘‘De telles coalitions ont connu du succès dans le passé, notamment au Timor oriental de 1999 à 2000, lorsque l’Australie a dirigé une force multinationale mandatée par l’ONU (mais non-ONU) pour faire face à la crise humanitaire et assurer la sécurité jusqu’à l’arrivée d’une force de l’ONU’’, selon Keith Mines.
Il souligne également que d’autres missions de sécurité internationales mandatées par l’ONU et menées en dehors de l’appareil conventionnel de maintien de la paix de l’ONU ont été dirigées par les États-Unis et l’OTAN, notamment deux missions précédentes en Haïti.
Cependant, dit-il, cette dernière force dirigée par le Kenya devra faire face à un certain nombre de défis pour s’établir en Haïti.
Selon lui, certains Haïtiens résisteront à l’idée d’avoir encore une autre force de sécurité internationale dans leur pays – surtout compte tenu de l’héritage des forces passées, qui dans un cas ont déclenché une épidémie de choléra qui a tué 10 000 personnes et dans un autre cas ont été impliquées dans des prédations sexuelles.
Il rappelle également que les forces du passé sont arrivées en Haïti avec une taille et une force immenses : la force de 1994 comprenait 20 000 hommes et la force de 2004 était composée de 6 400 soldats et d’environ 1 700 policiers.
« Dotées de composantes militaires, d’un soutien aérien pleinement opérationnel, d’éléments de mobilité et de réaction rapide, ces missions ont créé une présence intimidante pour soutenir la police haïtienne locale. En conséquence, la résistance violente était minime et les anciens militaires, les gangs et autres acteurs violents étaient souvent prompts à déposer les armes, déclare Mines.
Cette nouvelle force sera plus réduite et, comme prévu, ne comportera pas de composantes militaires. En attendant, ils affronteront des gangs mieux armés et potentiellement plus résistants que par le passé.
Il croit que cette nouvelle force n’aura pas de lien naturel avec les communautés dans lesquelles elle travaillera.
D’après Keith Mines, le Kenya possède une vaste expérience de ce type d’opérations en zone grise et son personnel saura rapidement ce qui est nécessaire pour réussir. Mais, précise-t-il, il y aura toujours des barrières linguistiques, des conflits culturels et des pertes civiles inévitables qui nécessiteront un engagement constant pour être surmontés.’’
‘‘ La capacité de la force à établir rapidement un dialogue avec la société civile sur les questions de sécurité sera importante. Ils devront également établir des liens avec des gangs qui pourraient être disposés à désarmer et à permettre une voie pacifique, par opposition aux gangs qui devront être engagés par la force’’, souligne-t-il.
« Mais le défi le plus important, et le véritable centre de gravité du succès ou de l’échec, est l’environnement politique à l’intérieur d’Haïti. Beaucoup craignent que dans le contexte actuel, la force ne fasse que soutenir un gouvernement non élu et impopulaire qui ne fournira pas le soutien nécessaire pour construire une nouvelle force de police et associer les efforts de la force internationale à une gouvernance efficace », ajoute-il.
Mines estime qu’en plus d’offrir un soutien financier et capacitaire total à l’effort multinational, les États-Unis seront l’acteur clé dans tout effort visant à réinitialiser le gouvernement de transition en Haïti. ‘‘Pour beaucoup, le soutien des États-Unis au gouvernement actuel est la seule raison pour laquelle il peut conserver le pouvoir’’, il indique-t-il.
« Une réinitialisation du gouvernement comporte de nombreux défis, mais il existe également un certain nombre de bonnes propositions sur la manière d’y parvenir. À ce jour, les efforts ont été techniquement solides et ont attiré une multitude d’acteurs différents, y compris les efforts en cours du groupe Eminence de la Communauté des Caraïbes. Mais jusqu’à présent, ils n’ont pas tous réussi, car aucun n’a l’influence nécessaire pour contraindre toutes les parties à faire les concessions nécessaires à la mise en place d’un organe directeur efficace », déclare Mines.
Il pense qu’il faudrait convoquer une conférence de réconciliation nationale qui permettrait de mettre en place un gouvernement collégial.
Selon lui, ‘‘il faudrait qu’une douzaine de mouvements politiques clés soient présents, ainsi que la société civile, le monde des affaires, les acteurs religieux et le gouvernement actuel. Étant donné le travail déjà considérable de l’Accord de Montana pour construire une coalition à large base, ils constitueraient un élément représentatif clé pour une telle réunion. Le nombre de sièges à la table varierait probablement entre 20 et 30, avec une trentaine de plus à une deuxième table ou participant à des consultations’’.
Même si une telle réunion pourrait avoir lieu dans un pays des Caraïbes, nombreux sont ceux qui affirment que, par souci de symbolisme, il serait préférable de la tenir dans la région nord relativement sûre d’Haïti, peut-être au Cap-Haïtien, avec sa riche histoire et son statut dans la lutte pour l’indépendance du pays.
Il suggère que ‘‘les billets pour le rassemblement devraient être à sens unique. Il devrait être mené dans une structure ouverte, avec l’idée qu’il ne se terminerait pas tant qu’il n’y aurait pas d’accord (auquel cas, bien sûr, il y aurait un billet de retour). Les personnes non-participants pourraient se joindre aux débats, les champions internationaux et haïtiens ayant le temps d’inciter tous à se joindre et d’obtenir un plein accord sur les conclusions. Toutes les options de formation d’un gouvernement devraient être sur la table, et tous les acteurs devraient être prêts à se retirer pour adhérer à la volonté des participants.’’
Il estime qu’alors que de nombreux autres pays auraient besoin d’aider à ce stade, en particulier les amis d’Haïti dans les Caraïbes et dans les Amériques, seuls les États-Unis seraient en mesure de fournir les incitations essentielles nécessaires pour garantir que toutes les parties clés soient disposées à respecter les décisions de la conférence. Mais il faudrait que cela fonctionne bien en arrière-plan’’, souligne-t-il.
Selon Keith Mines, « Si un gouvernement de transition nouvellement formé pouvait prendre ses fonctions avant la fin de l’année, il serait en mesure de soutenir la nouvelle force dans le long travail de rétablissement de la sécurité et, ensemble, il pourrait réussir à donner à Haïti une nouvelle chance de sécurité et de stabilité. »