Par Jude Martinez Claircidor
PORT-AU-PRINCE, jeudi 16 mai 2024– Depuis son entrée en fonction le jeudi 24 avril 2024, le Conseil Présidentiel de Transition (CP) est confronté à un défi de taille, disposant de seulement 720 jours pour surmonter des obstacles monumentaux que les gouvernements précédents n’ont pas réussi à résoudre. Parmi les priorités du CP figurent la mise en place d’un nouveau gouvernement, sous la direction d’un nouveau Premier Ministre, le rétablissement de la sécurité, l’organisation d’élections à différents niveaux, ainsi que la relance des activités socio-économiques et culturelles du pays.
Lors de sa mise en place, le Conseil Présidentiel de Transition (CP) avait promis de surmonter les échecs des conseils précédents de l’histoire d’Haïti en priorisant l’intérêt collectif plutôt que les intérêts partisans. Bien que ce conseil ait initialement bénéficié du soutien populaire, son efficacité dans la mise en œuvre de ses premières actions reste incertaine. Des dissensions internes sont déjà apparues, notamment autour de la nomination d’Edgard Leblanc Fils à la présidence, entraînant l’adoption d’une présidence tournante au sein du conseil, une mesure non prévue dans l’accord initial entre les parties prenantes. Cette question suscite toujours des débats au sein de la classe politique, certains regroupements de partis soutenant que Edgard Leblanc Fils devrait occuper la présidence pendant deux ans. Logiquement, cette question de la présidence tournante devrait faire l’objet d’un amendement au décret établissant le Conseil Présidentiel de Transition, ce qui nécessiterait une urgence, malheureusement non observée jusqu’à présent. Une autre préoccupation concerne le délai pris par le conseil pour publier l’arrêté officialisant Edgard Leblanc Fils en tant que président du Conseil Présidentiel de Transition. Plusieurs personnes se demandent ce qui se passe réellement au sein du Conseil.
Il est bien connu que la première responsabilité des membres du Conseil est de choisir ou de faciliter la nomination d’un Premier Ministre. À cette fin, le Conseil a lancé un appel public aux candidats intéressés pour déposer leurs candidatures à la Primature, contrairement à ce que suggérait une note du Secrétariat du Palais National qui laissait entendre que les candidatures devraient être soumises aux fédérations des barreaux. Cette confusion apparente révèle un déficit de communication ou de coordination entre le Conseil Présidentiel de Transition et le Secrétariat de la Présidence. Malgré cela, en réponse à l’appel du Conseil, un grand nombre de candidats se sont manifestés. Selon certaines sources, plus d’une centaine de postulants sont en lice. La plupart ont soumis leur candidature par courriel, tandis que d’autres ont préféré se présenter en personne à la villa d’Accueil.
La sélection du Premier Ministre est attendue avec impatience,la date limite pour la soumission des candidatures est fixée au 17 mai 2024. Les critères d’éligibilité sont stricts, comprenant la citoyenneté haïtienne, l’absence de condamnation pour des crimes graves ou financiers, ainsi que le respect des obligations fiscales spécifiques. Cependant, le grand public est actuellement privé d’un calendrier clair pour les prochaines étapes du processus, telles que la présélection des candidats ou la formation du gouvernement. Dans ces circonstances, il est légitime de se demander combien de temps le pays devra attendre avant d’avoir un Premier Ministre en place – un mois, deux mois, voire trois mois? De plus, ce Conseil parviendra-t-il à trouver un consensus minimal pour former un gouvernement d’ouverture, ou bien assisterons-nous à une bataille sans fin pour la conquête des ministères régaliens?
Pendant ce temps, les priorités essentielles sont en attente alors que les bandits continuent de semer le trouble dans plusieurs quartiers de la capitale. Ils contrôlent jusqu’à 85 % des quartiers de la capitale ainsi que certaines zones urbaines et routes nationales, commettant des milliers d’assassinats et enlevant des centaines de personnes ces derniers mois. L’installation des membres du Conseil a été une épreuve pour la Police Nationale et les Forces Armées d’Haïti, malgré les tentatives des gangs armés de perturber la cérémonie. Des détonations ont été entendues, mais la protection efficace de la PNH et des FADH a assuré le déroulement sous haute pression. Il est crucial que cette détermination persiste pour éradiquer le fléau des gangs et rétablir la sécurité. Avec le déploiement imminent d’une force multinationale, les attentes sont élevées pour une action décisive contre les bandits et la corruption, afin de restaurer la stabilité.
Un autre défi de taille pour le Conseil Présidentiel de Transition: établir rapidement une machine électorale crédible en collaboration avec le nouveau gouvernement. Cette tâche implique d’inspirer confiance, de mobiliser les partis politiques, de sécuriser les fonds nécessaires et de promouvoir la participation populaire aux futures élections présidentielles, parlementaires, municipales et locales. En effet, les élections en Haïti n’ont pas été organisées depuis 2016 et ont été marquées par des troubles, laissant des divisions au sein des communautés. La question se pose donc : le Conseil aura-t-il le temps de parvenir à un consensus minimal pour former un un conseil électoral provisoire crédible ? De plus, la population haïtienne, qui a perdu confiance dans le processus électoral, sera-t-elle motivée à voter pour un candidat ?
Outre la question électorale, un autre défi crucial se profile : celui de l’économie haïtienne, plongée dans la ruine. De nombreuses familles ont sombré dans l’extrême pauvreté, et des entreprises ont fait faillite, entraînant des milliers de pertes d’emplois. Les entrepreneurs les plus influents, principalement actifs dans l’importation de produits étrangers, semblent résister à cette crise, négligeant ainsi la production nationale. Certains estiment qu’ils exercent un contrôle quasi-monopolistique sur l’appareil d’État, dominant le marché des biens et services. Le Conseil parviendra-t-il à restaurer l’ordre économique et à promouvoir la libre concurrence ? Il devra affronter des luttes acharnées, notamment celles des entrepreneurs d’origine syro-libanaise qui cherchent à monopoliser le commerce en Haïti. Ces acteurs sont souvent critiqués et qualifiés de bourgeois anti-nationaux. Parviendra-t-il à jouer un rôle de régulateur du marché haïtien malgré la résistance farouche de ces acteurs du secteur privé, déterminés à maintenir le statu quo à tout prix ou à grands frais ?
Le Conseil Présidentiel risque-t-il de se retrouver dans une situation similaire à celle de l’acteur américain Tom Cruise dans le rôle de Mission Impossible, en raison du temps limité alloué pour accomplir sa mission et des forces majeures susceptibles de se produire ? Les dispositions du décret instaurant ce Conseil sont claires : aucune prolongation de mandat n’est envisageable. Toutefois, face à la complexité des défis majeurs qui attendent le CP et à d’autres facteurs imprévus tels que les catastrophes naturelles, les tensions sociales et les conflits politiques, une question pertinente se pose : sommes-nous pris dans un cercle vicieux ?