Haïti, 200 ans après la rançon de l’indécence : une dette qui entrave encore l’avenir…

PARIS, 17 avril 2025 (RHINEWS)– Deux siècles après la signature du décret royal du 17 avril 1825, par lequel la France imposait à Haïti une indemnité colossale en échange de la reconnaissance de son indépendance, la mémoire de cette dette – qualifiée par nombre d’historiens et d’intellectuels de rançon de l’indécence – demeure vive, au cœur des revendications politiques et économiques haïtiennes.

Invité de France 24 à l’occasion de cette commémoration, le politologue Jacques Nési, enseignant à l’Université des Antilles et chercheur associé au Laboratoire Caribéen des Sciences Sociales, est revenu sur les effets structurels de cette dette sur le développement d’Haïti. Pour lui, l’histoire haïtienne contemporaine ne peut se comprendre sans reconnaître ce moment fondateur de dépossession : « Cette indemnité imposée par le roi Charles X au président Boyer, signée le 17 avril 1825, représente une double injustice. Les anciens esclaves, affranchis au prix du sang, ont été contraints d’indemniser ceux qui les avaient asservis. »

Selon les archives, près de 7 000 anciens colons français ont été indemnisés pour leur perte économique, en vertu de ce décret. La somme initiale de 150 millions de francs or, ramenée par la suite à 90 millions, fut financée par une série d’emprunts à des taux usuraires contractés auprès de banques françaises, notamment la Caisse des Dépôts et Consignations et la banque Hope & Co.

« Ce mécanisme d’endettement, couplé aux intérêts accumulés, a obéré pendant plus d’un siècle les potentialités économiques de la jeune République haïtienne », souligne Jacques Nési. Le pays n’a terminé le remboursement de cette dette qu’au milieu du XXe siècle, selon certaines estimations. Aujourd’hui, son équivalent actualisé est évalué entre 30 et 150 milliards d’euros, selon plusieurs travaux universitaires.

Une large frange de la population haïtienne, relayée par des voix politiques et intellectuelles, demande non seulement la reconnaissance officielle de cette dette comme une injustice historique, mais aussi une restitution de la somme perçue. « C’est ce que réclame la grande majorité des Haïtiens », affirme Nési. Il appelle de ses vœux un geste fort de la part du président Emmanuel Macron à l’occasion de cette date symbolique.

Mais au-delà de la mémoire historique, Jacques Nési insiste sur l’impact structurel de cette dette dans le présent : « L’incapacité des élites haïtiennes à s’accorder sur un projet commun, à construire un contrat social, est en partie le fruit de cette longue spirale de dépendance et de captation des ressources. » Il pointe du doigt les interférences répétées de la communauté internationale, notamment les États-Unis, qui auraient contribué à fragmenter les élites locales et à affaiblir durablement l’État.

Ce vide institutionnel, selon lui, a permis à des groupes criminels de s’emparer d’espaces autrefois contrôlés par l’État. « L’État haïtien s’est affaissé, il a cédé la place à une économie criminelle organisée, transnationale, où se mêlent trafic de drogue, d’armes, d’êtres humains et même d’organes. »

Interrogé sur les solutions à la crise actuelle, marquée par la guerre des gangs et l’impuissance du Conseil Présidentiel de Transition, Jacques Nési plaide pour une refondation nationale : « Il faut de nouvelles élites patriotes, compétentes et vertueuses. Il faut reconstruire un projet collectif, une communauté de semblables, pour reprendre le titre de mon ouvrage. »

Il élargit enfin la perspective en rappelant que la question de la dette n’est pas propre à Haïti. Le système économique mondial reste profondément inégalitaire : « Les pays en développement sont encore confrontés à des logiques d’endettement injustes, renforcées par les politiques néolibérales imposées par les institutions financières internationales. »

Sur les relations actuelles entre Haïti et la France, Jacques Nési reste prudent. Il évoque une relation diplomatique « normale », mais souligne que « la plaie n’est pas refermée ». Pour lui, la France doit reconnaître cette part sombre de son passé et envisager une réparation symbolique et matérielle.

Nésil rappelle que le rêve de Toussaint Louverture et de Jean-Jacques Dessalines reste inachevé : « Le projet de souveraineté pleine et entière vit encore dans la mémoire collective haïtienne. Deux cents ans après, il attend toujours d’être accompli. »