Haïti : 15 ans après le séisme du 12 janvier 2010, une reconstruction fragile face à une crise multidimensionnelle…

PORT-AU-PRINCE, dimanche 12 janvier 2025– Le 12 janvier 2010, un séisme dévastateur frappait Haïti, causant des centaines de milliers de morts, des millions de déplacés, et mettant à genoux un pays déjà vulnérable. Quinze ans après, Jean-Marc Biquet, chef de mission de Médecins Sans Frontières (MSF) en Haïti, livre sin analyse dans une interview sur Radio France Internationale (RFI) sur les défis qui persistent dans ce pays où les stigmates du tremblement de terre se mêlent désormais à une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent.

En arrivant à Port-au-Prince il y a deux ans et demi, Jean-Marc Biquet s’attendait à observer des traces évidentes du séisme. Pourtant, il constate que la reconstruction, bien que partielle, a été réalisée sans planification adéquate. « Si un autre séisme devait survenir, ce serait de nouveau la catastrophe totale », déclare-t-il. Les promesses faites après le séisme, notamment celles visant à reconstruire de manière plus résiliente, n’ont pas été concrétisées. Bien que la vie ait repris son cours, les habitations reconstruites de façon anarchique restent extrêmement vulnérables à de nouveaux chocs sismiques.

Dans les semaines qui ont suivi le séisme, MSF a déployé la plus grande opération de son histoire. Des centaines de personnels internationaux se sont mobilisés pour effectuer des milliers d’interventions chirurgicales et offrir des soins dans un système médical complètement paralysé par la catastrophe. « Tout le système médical était par terre à cause du séisme », rappelle Jean-Marc Biquet, mettant en évidence l’ampleur des efforts déployés à l’époque pour répondre à l’urgence.

Cependant, le traumatisme collectif reste profondément ancré dans la mémoire des Haïtiens. « Tout le monde connaît quelqu’un qui est mort ou a été blessé durant le séisme », souligne-t-il. Pourtant, l’attention portée à cette tragédie est aujourd’hui supplantée par une crise sécuritaire et politique d’une intensité inédite.

Haïti fait face à une crise multiforme mêlant effondrement économique, instabilité politique et insécurité généralisée. À Port-au-Prince, les affrontements entre gangs armés et forces de l’ordre paralysent la ville et contraignent des centaines de personnes à fuir chaque jour. « Haïti est le théâtre d’une guerre entre les gangs et les groupes armés », explique Jean-Marc Biquet, ajoutant que cette violence rend une grande partie de la capitale inaccessible.

Dans ce contexte, MSF continue de jouer un rôle crucial, car « il n’y a plus qu’environ 20 % des structures hospitalières qui fonctionnent ». Mais même les opérations de MSF ne sont pas à l’abri de la violence. Le personnel médical a récemment dû suspendre ses activités en raison de menaces directes. « Nous avons reçu des menaces parce que nous soignons des blessés, certains considérés comme des bandits devant être exécutés immédiatement », révèle-t-il.

Ces pressions ont obligé MSF à obtenir des garanties minimales des autorités pour pouvoir reprendre ses activités. La neutralité médicale, pilier de l’organisation, est remise en question dans ce contexte de méfiance et de violence exacerbée.

Depuis le séisme, Haïti a été surnommée la « République des ONG ». De nombreuses voix critiquent la présence massive des organisations humanitaires, perçues comme un substitut au rôle d’un État jugé corrompu et inefficace. Jean-Marc Biquet comprend cette frustration : « À l’époque, les bailleurs de fonds principaux passaient par les ONG plutôt que par le gouvernement, car ce dernier était incapable de gérer l’argent reçu. » Cette dépendance à l’aide internationale illustre un paradoxe : elle est indispensable pour répondre aux besoins immédiats, mais elle renforce la marginalisation des institutions locales.

Quinze ans après le tremblement de terre, Haïti reste engluée dans une crise qui dépasse largement les conséquences du séisme. La reconstruction mal planifiée, l’effondrement du système de santé et l’insécurité généralisée témoignent d’une situation structurelle alarmante. Malgré cela, Jean-Marc Biquet insiste sur la nécessité de poursuivre le travail humanitaire, tout en appelant à des solutions durables pour garantir un avenir meilleur à ce pays meurtri.

Les promesses formulées au lendemain du séisme de 2010 restent en grande partie lettre morte, et la population haïtienne, épuisée par une succession de crises, attend toujours une véritable renaissance.