“Gangstérisation en Haïti : outil de contrôle politique, économique et sphère d’influence internationale, selon Hugues Célestin”…

Hugues Celestin, coordonnateur de IPAM, departement du Nord...

QUARTIER-MORIN,(Nord), vendredi 13 décembre 2024– Dans une analyse de la conjoncture actuelle, Hugues Célestin, sociologue et ex-député de Quartier-Morin (Nord), met en évidence le phénomène de gangstérisation en Haïti comme un outil complexe de contrôle politique, économique et d’influence internationale. Selon lui, ce fléau dépasse de loin la simple criminalité pour devenir un système structurel qui fragilise l’État, compromet la souveraineté nationale et exacerbe les inégalités sociales.

Selon Hugues Célestin, la gangstérisation d’Haïti trouve ses racines dans les soubresauts politiques et sociaux qui ont suivi la chute de la dictature de Jean-Claude Duvalier en 1986. Michel-Rolph Trouillot souligne que cette période a vu une succession de gouvernements provisoires marqués par des luttes entre forces réformistes et conservatrices, un climat qui a accentué l’instabilité. Le sociologue rappelle que l’effondrement de l’économie nationale, conjugué à une dépendance accrue aux importations, a entraîné une précarité sociale généralisée.

Dans ce contexte, un vide sécuritaire s’est installé, aggravé par l’affaiblissement des institutions étatiques, notamment celles chargées de la sécurité publique. Ce vide a permis l’émergence de groupes armés dans les quartiers populaires, initialement perçus comme des protecteurs communautaires. Mais, selon Hugues Célestin, ces groupes se sont transformés en entités criminelles structurées, exploitant l’absence de réformes sociales et économiques pour renforcer leur emprise.

La décision du président Jean-Bertrand Aristide de dissoudre l’armée en 1995, bien qu’elle visait à limiter les coups d’État et à renforcer la démocratie, a, selon Bernardin Alphonse, contribué à un vide sécuritaire qui a favorisé la prolifération des gangs. Ces derniers se sont progressivement structurés pour devenir des acteurs influents. Le sociologue précise que les premiers gangs armés sont apparus dans des quartiers comme Cité Soleil, Bel-Air et Martissant. De simples groupes de protection locale, ils sont devenus des organisations criminelles ayant une portée politique et économique. Sous la présidence de Michel Martelly (2011-2016), leur influence a atteint un niveau critique, marquant ce que Célestin qualifie de « normalisation du banditisme » dans le pays.

Aujourd’hui, les gangs contrôlent plus de 80 % du territoire haïtien, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et des zones stratégiques du département de l’Artibonite, comme Petite Rivière, Estère et Marchand Dessalines. Ces territoires, autrefois administrés par l’État, sont désormais des zones de non-droit.

Hugues Célestin insiste sur le rôle instrumental des gangs dans le contrôle des populations à des fins politiques et économiques. Selon lui, des personnalités influentes, notamment des politiciens et des hommes d’affaires, utilisent ces groupes armés pour réprimer leurs opposants et manipuler les élections. Louis Ilionor, dans son ouvrage Gouvernance et ingérence : Haïti face à l’occupation humanitaire, évoque une collusion entre ces groupes et des élites économiques qui trouvent dans cette dynamique une opportunité de préserver leurs intérêts.

Les gangs ont également infiltré l’économie haïtienne. En imposant des taxes (rackets) aux commerçants, ils perturbent les chaînes d’approvisionnement et augmentent les coûts pour la population. Célestin souligne que le contrôle des routes stratégiques par ces groupes entrave gravement le commerce national et international, accentuant l’inflation et l’insécurité alimentaire.

L’analyste met en exergue le rôle de la pauvreté et du manque de perspectives éducatives et professionnelles dans la prolifération des gangs. Les jeunes, privés d’une éducation de qualité et d’emplois décents, sont des recrues idéales pour ces organisations. En outre, dans les zones abandonnées par l’État, les gangs fournissent des services sociaux tels que la sécurité et des « emplois », consolidant leur légitimité auprès des communautés locales.

Pour Célestin, la gangstérisation en Haïti est également alimentée par des intérêts internationaux. Les puissances étrangères, en intervenant directement ou indirectement dans la politique haïtienne, exacerbent les tensions et exploitent l’instabilité pour servir leurs propres intérêts géopolitiques. Il évoque aussi l’incapacité des missions internationales, comme celles de l’ONU, à réduire durablement l’influence des gangs. Selon lui, ces missions, souvent perçues comme paternalistes, manquent de comprendre les réalités locales et renforcent la dépendance du pays à l’aide extérieure, sans s’attaquer aux racines du problème.

La gangstérisation a des conséquences désastreuses sur la souveraineté nationale et la cohésion sociale. Selon Hugues Célestin, le phénomène transforme Haïti en un « État captif », où les citoyens sont pris en otage par un système criminel institutionnalisé. Les pertes humaines, l’exode des populations et l’effondrement des services publics reflètent l’ampleur de cette crise.

Hugues Célestin conclut que la gangstérisation n’est pas une fatalité. Elle résulte de choix politiques, d’un manque de volonté de réforme et de l’impunité généralisée. Pour y remédier, il prône une refondation des institutions, accompagnée d’une lutte sans merci contre la corruption et les complicités politiques. Il insiste également sur la nécessité d’une mobilisation populaire et d’une prise de responsabilité souveraine pour reconstruire l’État sur des bases solides, en privilégiant la justice sociale et l’équité. Toute solution durable passera par une réappropriation nationale des leviers de pouvoir et une réforme en profondeur des systèmes économique et sécuritaire, afin d’offrir aux jeunes des opportunités qui les détournent des gangs.

Dans ce contexte de crise multidimensionnelle, Hugues Célestin rappelle que seule une transformation structurelle pourra redonner à Haïti son indépendance réelle et sa capacité à se relever des défis complexes qu’elle traverse.

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Gangtérisation en Haïti