QUARTIER-MORIN (Nord), vendredi 3 janvier 2025– aHugues Célestin, sociologue et analyste politique haïtien, a récemment pris la parole pour analyser le phénomène de gangstérisation en Haïti, un fléau qui, selon lui, n’est pas uniquement le résultat d’un effondrement spontané des institutions de l’État, mais une stratégie délibérée pour maintenir un système d’oppression économique, politique et sociale. À travers son analyse, il expose les causes profondes, les mécanismes de fonctionnement, et les effets dévastateurs de ce phénomène, tout en proposant des pistes pour enrayer cette spirale destructrice.
Pour Hugues Célestin, la gangstérisation qui ravage Haïti trouve ses racines dans une société profondément inégalitaire, où les quartiers marginalisés ont été abandonnés par l’État. Les gangs armés, qui contrôlent aujourd’hui environ 80 % de la région métropolitaine de Port-au-Prince, exploitent ce vide étatique pour s’imposer comme des forces quasi-gouvernementales. Ces groupes ne se limitent plus aux activités criminelles classiques, comme les enlèvements ou le trafic de drogue. Ils participent activement à l’économie informelle, extorquant des taxes illégales aux commerçants locaux et contrôlant les marchés publics, les routes stratégiques et même certains ports.
Célestin note que ces gangs ne sont pas de simples acteurs criminels isolés. Ils sont organisés de manière quasi-militaire, avec des hiérarchies bien établies, des chaînes de commandement, et une répartition claire des rôles. Certains groupes comptent plusieurs centaines de membres, allant des recrues de base aux leaders stratégiques. Ils disposent également d’un arsenal sophistiqué, parfois plus puissant que celui des forces de l’ordre haïtiennes.
Selon Hugues Célestin, l’une des dynamiques les plus troublantes de cette gangstérisation est le recrutement massif de jeunes issus des zones pauvres. Ces jeunes, souvent privés d’éducation et de perspectives d’avenir, rejoignent ces groupes dans l’espoir d’obtenir une forme de revenu ou de statut social. Pourtant, ils deviennent rapidement des instruments d’un système qui les exploite et les maintient dans un cycle de violence et de précarité. Célestin souligne également que les femmes, bien qu’occupant des rôles subalternes dans ces groupes, sont particulièrement vulnérables, souvent soumises à des violences sexuelles et à des tâches dangereuses, comme le transport de munitions ou l’espionnage.
Hugues Célestin s’appuie sur des chiffres récents pour illustrer l’ampleur de la crise. Depuis le début de l’année 2024, des milliers de personnes ont été tuées ou blessées par des violences liées aux gangs, tandis que plus d’un million d’Haïtiens ont été déplacés, fuyant les combats et les exactions. Le sociologue rappelle que ces violences ne sont pas simplement des conséquences de l’absence d’un État fonctionnel : elles sont entretenues par des acteurs économiques et politiques, qui y voient une opportunité de renforcer leur pouvoir ou de maintenir leur contrôle sur des territoires stratégiques.
Selon lui, les gangs haïtiens ne sont pas seulement un problème local. Leur existence est également liée à des réseaux internationaux, notamment dans le trafic d’armes et de drogues. Célestin accuse certaines élites locales et internationales d’encourager, directement ou indirectement, cette situation, car elle leur permet de maintenir le pays dans un état de dépendance et de désorganisation.
Pour Hugues Célestin, la lutte contre les gangs ne peut se limiter à une approche militaire ou policière. Il affirme que de telles solutions, bien qu’importantes à court terme pour rétablir un semblant d’ordre, sont insuffisantes si elles ne s’accompagnent pas de réformes profondes. Ces réformes doivent cibler les causes sous-jacentes de la gangstérisation, notamment la pauvreté, le chômage, et l’exclusion sociale. Il appelle à des investissements massifs dans l’éducation, la santé, et les infrastructures, ainsi qu’à la création d’opportunités économiques pour les jeunes.
Célestin insiste également sur l’importance de la justice et de la lutte contre la corruption. Il souligne que tant que les institutions judiciaires resteront faibles et que les responsables de violences continueront d’agir en toute impunité, il sera impossible de reconstruire la confiance entre l’État et les citoyens.
Un autre point crucial de son analyse est la nécessité de programmes de désarmement et de réinsertion pour les membres des gangs. Hugues Célestin appelle à des initiatives visant à offrir à ces jeunes une alternative viable à la violence, à travers des formations professionnelles et des opportunités d’emploi. Il plaide également pour une révision de la coopération internationale, qu’il critique pour son inefficacité et sa tendance à favoriser des solutions à court terme plutôt qu’un soutien durable au renforcement des capacités nationales.
Hugues Célestin met en garde contre les dangers d’une inaction prolongée. Selon lui, la gangstérisation n’est pas seulement une menace pour la sécurité publique, mais un problème existentiel pour Haïti. Elle détruit le tissu social, affaiblit les institutions, et empêche toute tentative de développement durable. Pour sortir de cette crise, il appelle à une mobilisation nationale et internationale, combinant des actions immédiates pour restaurer la sécurité et des réformes de fond pour s’attaquer aux racines de cette gangstérisation. Seule une telle approche, selon Célestin, pourra permettre à Haïti de retrouver un semblant de stabilité et de reprendre le chemin de la reconstruction.
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