WASHINGTON, mardi 25 mars 2025- Un nouvel épisode troublant de gestion des informations sensibles sous l’administration Trump a éclaté après la révélation que des hauts responsables de la sécurité nationale avaient discuté de plans militaires sur une application de messagerie sécurisée, incluant par inadvertance un journaliste. La conversation, qui portait sur des frappes imminentes contre les Houthis au Yémen, comprenait des détails opérationnels sensibles, tels que les cibles et les armes utilisées. Cette fuite soulève de graves inquiétudes en matière de sécurité nationale, d’autant plus qu’un des participants se trouvait en Russie au moment des échanges.
Lundi soir, The Atlantic a révélé que Jeffrey Goldberg, son rédacteur en chef, avait reçu des messages contenant ces informations militaires après avoir été ajouté par erreur à un groupe de discussion sur l’application Signal. Parmi les membres du groupe figuraient Pete Hegseth, secrétaire à la Défense, JD Vance, vice-président, Marco Rubio, secrétaire d’État, et Tulsi Gabbard, directrice du renseignement national. L’origine de cette fuite reste floue, mais une enquête a été lancée pour déterminer comment un journaliste a pu être inclus dans une discussion de cette importance.
Le président Donald Trump a rapidement réagi à la publication de The Atlantic, déclarant dans un premier temps ne rien savoir de cette fuite avant de minimiser l’affaire, la qualifiant de « seul couac en deux mois » et assurant qu’elle « n’a pas été grave ». Il a également défendu son conseiller Mike Waltz, qui aurait ajouté Goldberg au groupe, affirmant que celui-ci avait « appris une leçon » mais restait « un homme bien ».
Lors d’une interview avec NBC News, Trump a ironisé sur la situation en partageant une publication d’Elon Musk qui tournait en dérision la fuite : « Échec stratégique : Trump divulgue des plans de guerre à The Atlantic, où personne ne les verra jamais. »
Pete Hegseth, quant à lui, a attaqué Goldberg, le qualifiant de « journaliste discrédité » sans expliquer pourquoi des discussions aussi sensibles avaient lieu sur une plateforme non classifiée. Il a nié que des plans de guerre aient été envoyés par message, mais n’a pas précisé la nature exacte des informations partagées.
L’affaire a pris une tournure encore plus inquiétante lorsqu’il a été révélé que Steve Witkoff, envoyé du président Trump pour l’Ukraine et le Moyen-Orient, était à Moscou lorsqu’il a été ajouté au groupe Signal. Selon des analyses de CBS News basées sur des données de vol et des rapports des médias russes, Witkoff a atterri en Russie le 13 mars et a rencontré Vladimir Poutine au Kremlin. L’enquête tente désormais de déterminer si son téléphone, qui contenait potentiellement des échanges confidentiels sur l’opération militaire, était avec lui durant cette rencontre.
Le Kremlin n’a pas confirmé officiellement la tenue de cette réunion, mais des sources russes ont rapporté que Witkoff et Poutine étaient ensemble jusqu’à 1h30 du matin, heure de Moscou, soit quelques heures après l’ajout de Witkoff au groupe Signal. Cette situation soulève de sérieuses questions sur la possibilité d’un accès non autorisé à ces informations par des acteurs étrangers.
L’opposition démocrate a vivement dénoncé cette fuite d’informations militaires. Chuck Schumer, chef de la majorité au Sénat, a demandé une enquête approfondie, qualifiant l’incident de « l’une des violations de renseignement militaire les plus graves de ces dernières années ». Jack Reed, président de la commission des forces armées du Sénat, a souligné que des vies américaines étaient potentiellement mises en danger.
Jim Himes, chef de la commission du renseignement à la Chambre des représentants, s’est dit « horrifié », expliquant que « tout fonctionnaire de rang inférieur ayant commis une telle erreur aurait perdu son accréditation et risqué des poursuites pénales ».
Même certains républicains ont exprimé leur malaise face à l’affaire. Roger Wicker, président de la commission des forces armées du Sénat, a affirmé que l’incident ferait l’objet d’une enquête bipartisane. En revanche, le président républicain de la Chambre, Mike Johnson, a défendu les responsables impliqués, estimant qu’ils avaient agi « de leur mieux » et que l’opération militaire avait été menée avec succès.
Signal est une application de messagerie connue pour son chiffrement de bout en bout, ce qui la rend plus sécurisée que les SMS classiques. Cependant, elle n’est pas classifiée et peut être piratée, en particulier par des acteurs étatiques. Le Google Threat Intelligence Group a récemment mis en garde contre des tentatives de compromission des comptes Signal par des services de renseignement russes.
Selon des experts en cybersécurité, le problème n’est pas seulement la plateforme utilisée, mais le fait que des discussions aussi sensibles aient eu lieu en dehors des canaux de communication gouvernementaux sécurisés. Certains rappellent que l’administration Biden a interdit l’usage de Signal pour des échanges opérationnels, justement pour éviter ce type de risque.
Neil Ashdown, consultant en cybersécurité, souligne que « plus la sécurité est essentielle, plus cela implique des contraintes », mais que « si ces contraintes sont contournées au profit de la commodité, alors le risque devient majeur ».
Au-delà de la fuite elle-même, les échanges sur Signal révèlent des tensions au sein de l’administration Trump concernant l’opération militaire contre les Houthis. JD Vance s’inquiétait des conséquences économiques d’une frappe, notamment sur la hausse des prix du pétrole. Il écrivait dans le groupe : « Il y a un fort argument pour attendre un mois, faire un travail de communication et voir où en est l’économie. »
Pete Hegseth, en revanche, a rejeté ces préoccupations en des termes virulents : « Je partage totalement ton mépris pour les profiteurs européens. C’est PATHÉTIQUE. Il faut y aller. »
Un porte-parole de Vance a depuis affirmé que le vice-président « soutient sans équivoque la politique étrangère de cette administration », tout en admettant qu’il avait soulevé des interrogations légitimes.
Alors que l’administration Trump tente d’étouffer la controverse, les critiques se multiplient sur la gestion de la sécurité des communications gouvernementales. L’enquête en cours devra établir comment un journaliste s’est retrouvé dans une discussion aussi confidentielle, si des informations ont pu être compromises et quelles sanctions pourraient être envisagées.
L’affaire rappelle l’enquête sur l’utilisation d’un serveur privé par Hillary Clinton en 2015-2016, qui avait valu des critiques acerbes de la part des républicains. Cette fois, c’est leur propre administration qui se retrouve sous le feu des projecteurs pour une fuite potentiellement bien plus dangereuse.
Alors que la tempête politique grandit, une question demeure : comment une administration qui se targue de sa fermeté en matière de sécurité nationale a-t-elle pu laisser une telle brèche se produire ?