Frankétienne : Un pilier de la culture haïtienne s’éteint à 88 ans…

FranEtienne, ecrivain, peintre, musicien....

PORT-AU-PRINCE, jeudi 20 février 2025Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, plus connu sous le nom de Frankétienne, est décédé le 20 février 2025 à Delmas, Haïti, à l’âge de 88 ans. Artiste aux multiples talents — écrivain, poète, dramaturge, peintre, musicien et enseignant — il a profondément marqué la culture haïtienne et internationale.

Né le 12 avril 1936 à Ravine-Sèche, un village de la commune de Saint-Marc dans le département de l’Artibonite, il fut élevé par sa mère dans le quartier de Bel-Air à Port-au-Prince. Ayant grandi dans un environnement créolophone, il s’immergea dans la langue française lors de sa scolarisation dans la capitale. Diplômé de l’Institut des Hautes Études Internationales, il poursuivit une carrière d’enseignant puis de directeur d’école, et dans les années 1970, il fonda le Collège Franck Étienne, illustrant ainsi son engagement pour l’éducation.

Malgré les turbulences politiques, Frankétienne choisit de rester en Haïti, utilisant son art pour témoigner et lutter contre les injustices. En 1988, il fut brièvement ministre de la Culture sous la présidence de Leslie François Manigat. Son œuvre, profondément ancrée dans l’histoire contemporaine haïtienne, reflète les défis et les espoirs de son peuple. En 1968, il publia son premier roman, « Mûr à crever », et, avec Jean-Claude Fignolé et René Philoctète, il cofonda le mouvement spiraliste à la fin des années 1960, une approche littéraire inspirée du Nouveau Roman français et des écrits de James Joyce, prônant une structure narrative en spirale qui reflète la complexité et le chaos de la réalité haïtienne.

Parmi ses œuvres majeures figure « Dézafi » (1975), premier roman écrit et publié en créole haïtien, offrant une plongée saisissante dans la vie sous le régime de Duvalier et ayant été traduit en anglais et en français, récoltant notamment le Best Translated Book Award en 2019. En tant que dramaturge, il enrichit le théâtre haïtien avec des pièces telles que « Pèlin-Tèt » (1975) et « Melovivi » (1987), dont la profondeur et l’engagement envers les réalités sociales et politiques d’Haïti furent unanimement salués.

Parallèlement à sa carrière littéraire, Frankétienne se distingua également comme peintre, réalisant des œuvres abstraites aux couleurs vives, souvent dominées par le bleu et le rouge, qui traduisent son exploration passionnée de l’identité et de la culture haïtiennes. En 2010, il fut nommé Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en France et Artiste de l’UNESCO pour la paix, en reconnaissance de son immense contribution à la culture et à la littérature, puis, en 2021, l’Académie française lui décernait le Grand Prix de la Francophonie pour l’ensemble de son œuvre. Son décès marque la perte d’un géant de la culture haïtienne dont l’influence continuera de résonner à travers ses œuvres littéraires et artistiques.

La bibliographie de Frankétienne témoigne de la diversité et de la richesse de son œuvre, qui traverse les genres avec une aisance remarquable. En tant que romancier, il a marqué la littérature haïtienne avec des ouvrages emblématiques tels que « Mûr à crever » (1968), son premier roman, « Dézafi » (1975), premier roman écrit en créole haïtien, « Les Affres d’un défi » (2000) et « Les Échos de l’abîme » (2013), qui poursuivent son exploration du chaos et de la résilience de l’âme haïtienne. Son apport au théâtre se manifeste dans des pièces engagées comme « Pèlin-Tèt » (1975), « Troufobon » (1979), « Melovivi » (1987) et « Foukifoura » (2000), qui traduisent son regard critique sur la société haïtienne à travers des dialogues denses et une mise en scène audacieuse. Parallèlement, sa poésie, marquée par une écriture foisonnante et musicale, s’illustre dans des recueils tels que « Au Fil du Temps », « Fleurs d’insomnie » (1986), « Adjanoumelezo » (1987) et « Rapjazz, journal d’un paria » (1999), où se mêlent lyrisme, engagement et expérimentation formelle. À travers cette œuvre protéiforme, Frankétienne a non seulement enrichi la littérature haïtienne, mais il a aussi laissé une empreinte indélébile sur la culture francophone et créolophone.