PORT-AU-PRINCE, dimanche 27 octobre 2024– La situation économique en Haïti, déjà précaire, est gravement compromise par la montée en puissance des gangs armés, qui exploitent l’insécurité pour accroître leurs revenus illégaux. Selon un rapport récent des Nations Unies, la violence liée aux gangs exacerbe les flux financiers illicites, les groupes criminels cherchant à étendre leur territoire et leurs activités illicites. L’impact de cette violence est particulièrement dévastateur, non seulement pour la sécurité des citoyens, mais aussi pour l’économie nationale, qui subit une contraction sévère.
Les gangs, tels que 400 Mawozo et G9, devenus ‘‘Viv Ansanm’’ depuis février 2024, ont étendu leur influence sur divers secteurs de l’économie. Ils s’engagent dans des activités telles que l’extorsion, le trafic de drogue et la contrebande, mettant ainsi en péril la viabilité des entreprises locales. Un rapport de la Banque mondiale révèle qu’environ 80 % des entreprises haïtiennes ont été contraintes de fermer ou de réduire leurs activités en raison de l’insécurité croissante. Les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent une part significative de l’économie haïtienne, sont particulièrement touchées. Leurs propriétaires, souvent vulnérables, se retrouvent dans une spirale de dettes et de faillites, exacerbant un taux de chômage qui pourrait atteindre des niveaux alarmants, selon les prévisions de la Banque mondiale.
L’extorsion pratiquée par les gangs entraîne un coût économique direct. Les commerçants sont contraints de payer des “taxes” illégales pour pouvoir exercer leurs activités dans des quartiers sous contrôle gangstérien. Des données recueillies montrent que les frais d’extorsion peuvent atteindre jusqu’à 50 % des revenus d’un petit commerçant. Cette situation pousse de nombreux entrepreneurs à cesser leurs activités, ce qui réduit l’offre de biens sur le marché et augmente l’inflation. Par exemple, le coût du riz, un aliment de base en Haïti, a augmenté de 25 % au cours des six derniers mois, rendant les produits alimentaires de plus en plus inaccessibles pour la population.
Les gangs ont également pris le contrôle de ressources stratégiques telles que les ports et les routes, rendant le commerce international de plus en plus difficile. Les ports, qui sont des points névralgiques pour l’importation de biens, subissent des attaques fréquentes. Le terminal à conteneurs de Caribbean Port Services, qui gère une part importante des importations, a été particulièrement touché par les incursions des gangs. Les transporteurs se voient souvent contraints de payer des frais d’extorsion, entraînant une hausse des coûts de transport et, par conséquent, une augmentation des prix des biens. Les entreprises de transport maritime, en particulier, signalent des pertes économiques considérables, menaçant ainsi la chaîne d’approvisionnement.
L’impact des gangs sur le système financier haïtien est également préoccupant. Les banques locales, telles que la BNC, la SOGEBANK et l’UNIBANK, ont été la cible d’attaques directes, compromettant leur capacité à fonctionner efficacement. Une enquête récente a montré que près de 28 % de la population haïtienne possède un compte bancaire, mais cette situation a conduit à des retraits massifs de fonds, aggravant les pénuries de liquidités. L’exode de professionnels qualifiés du secteur bancaire, estimé à environ 250 personnes en 2023, a aggravé la vulnérabilité du système financier. Les banques ont signalé une baisse de 40 % de leurs dépôts au cours des dernières années, rendant plus difficile l’accès au crédit pour les entreprises.
Les événements tragiques liés à la violence des gangs ne se limitent pas aux entreprises. Les attaques récurrentes contre les infrastructures essentielles, comme les dépôts de carburant, ont des conséquences désastreuses pour l’économie nationale. Le terminal de Varreux, principal dépôt de carburant du pays, a été ciblé à plusieurs reprises, compromettant l’approvisionnement en carburant nécessaire au fonctionnement de l’industrie et du transport. En avril dernier, le navire Magalie a été attaqué dans la baie de Port-au-Prince, entraînant le pillage d’une partie de sa cargaison. Ces attaques créent une dépendance économique parmi les populations locales, car les gangs distribuent des biens essentiels à des prix dérisoires pour renforcer leur pouvoir et gagner le soutien des habitants.
Un aspect particulièrement alarmant est la contrebande qui se développe entre Haïti et la République dominicaine. Les gangs, comme 400 Mawozo, s’engagent dans des activités illicites, telles que le trafic de drogues et la contrebande de marchandises. Environ 45 % des produits de consommation en Haïti proviennent de la contrebande, privant ainsi l’État de revenus fiscaux cruciaux. Cette dynamique alimente un cycle de violence et d’impunité, rendant de plus en plus difficile la restauration de l’ordre public.
‘‘Face à cette crise, les efforts internationaux pour soutenir Haïti doivent être intensifiés. Cependant, la sécurité demeure une condition préalable à tout investissement et à toute aide au développement. Les agences des Nations Unies, en collaboration avec le gouvernement haïtien, doivent renforcer leurs actions sur le terrain pour endiguer la violence des gangs et restaurer la confiance des citoyens dans les institutions. L’amélioration de la formation des forces de l’ordre, ainsi que l’augmentation de l’aide humanitaire, sont essentielles pour répondre aux besoins immédiats de la population tout en établissant une base pour une croissance durable.’’
La violence des gangs en Haïti représente un défi majeur, non seulement pour la sécurité des citoyens, mais également pour l’ensemble de l’économie nationale. Le rapport des experts des Nations Unies souligne les conséquences dévastatrices de cette situation, mettant en évidence la nécessité d’une réponse collective et résolue tant au niveau national qu’international. Les perspectives économiques demeurent sombres tant que l’insécurité n’est pas maîtrisée. La priorité doit être accordée à la restauration de l’ordre public et à la revitalisation de l’économie haïtienne. Une approche coordonnée, qui allie sécurité, développement économique et justice sociale, est essentielle pour offrir aux Haïtiens un avenir meilleur et plus sûr.
Le Groupe d’experts sur Haïti a formulé plusieurs recommandations essentielles à l’attention du Conseil de sécurité et du Comité, soulignant l’urgence de la situation sécuritaire et économique dans le pays. Il est crucial que les États Membres, en particulier ceux des Caraïbes, d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, rendent compte des mesures prises pour respecter l’embargo sur les armes instauré par la résolution 2699 (2023). Une stricte application de cet embargo est nécessaire, et le groupe recommande de rétablir le libellé original de l’embargo sur les armes afin d’assurer un contrôle plus efficace sur toutes les catégories d’armements, y compris les équipements militaires et les matériels connexes.
Par ailleurs, le groupe a insisté sur l’importance d’inclure dans les critères de désignation des sanctions le fait que certaines personnes ou groupes armés participent à des activités déstabilisatrices, notamment par l’exploitation ou le commerce illicites de ressources naturelles. Cela permettrait de mieux cibler les acteurs qui contribuent à l’instabilité du pays.
Le Comité est également encouragé à poursuivre l’examen des informations concernant les sanctions appliquées et à mettre à jour la liste des personnes désignées en vertu des résolutions pertinentes. La collaboration avec les États Membres est cruciale pour renforcer les contrôles aux frontières afin de mieux lutter contre la traite des personnes, le trafic de migrants et d’autres crimes transnationaux. Cela inclut également le soutien aux autorités haïtiennes pour renforcer leurs capacités de contrôle aux frontières, en finançant des programmes pertinents.
L’élaboration de normes internationales dans le secteur aérien pour combattre la traite des personnes et le trafic de migrants est une autre recommandation importante. Elle nécessite la collaboration entre les États Membres et les organismes d’aide humanitaire.
Le soutien au gouvernement haïtien est primordial, notamment pour la mise en œuvre d’un protocole relatif au transfert et à la prise en charge des enfants associés aux gangs armés. Une attention particulière doit également être accordée à la Mission multinationale d’appui à la sécurité, avec un déploiement hors de Port-au-Prince et dans des zones stratégiques telles que le département de l’Artibonite.
Pour lutter efficacement contre la violence des gangs, il est recommandé d’élaborer une approche intégrée qui inclut des programmes de désarmement, de démantèlement, de réintégration, ainsi que le renforcement des capacités judiciaires et pénitentiaires. Cela doit aller de pair avec des efforts pour améliorer les capacités des institutions de sécurité en Haïti, notamment par le déploiement de moyens tactiques pour combattre les activités des gangs.
Le gouvernement haïtien, soutenu par des partenaires internationaux, doit également réaliser une évaluation des risques liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Cela implique l’élaboration de politiques nationales pour atténuer ces risques, conformément aux recommandations du Groupe d’action financière des Caraïbes.
Enfin, pour renforcer les capacités de la Police nationale d’Haïti, les États Membres doivent prêter attention à la gestion des armes et des munitions. Cela inclut des formations sur la sécurité physique, la gestion des stocks et la réalisation de contrôles post-livraison pour éviter les détournements d’armes.
La lutte contre la violence des gangs et la revitalisation de l’économie haïtienne nécessitent une mobilisation collective et des actions concrètes. Le défi est immense, mais la communauté internationale a une responsabilité envers le peuple haïtien pour l’aider à surmonter cette crise. Le temps est venu d’agir, et cela doit se faire de manière coordonnée, pragmatique et durable pour rétablir la paix et la stabilité en Haïti.