NEW-YORK, vendredi 10 juin 2022– De l’avis de Ter Horst, ancien représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Haïti de 1996 à 1998, ‘‘après la série de crises qui ont secoué Haïti l’année dernière – un assassinat présidentiel, un tremblement de terre, une urgence migratoire à la frontière entre le Mexique et les États-Unis et une consolidation dramatique de la violence des gangs – les décideurs internationaux ont été confrontés à la possibilité qu’Haïti se trouve dans les premières étapes d’une crise humanitaire à grande échelle.’’
Selon lui, la nouvelle détérioration de la politique haïtienne au cours des premiers mois de 2022 n’a fait que confirmer que le pays a franchi cette sombre étape.
« Les réponses humanitaires et économiques immédiates à la disposition de la communauté internationale et des ONG ne traiteront que marginalement les facteurs sous-jacents provoquant l’effondrement de la gouvernance en Haïti, observe Ter Horst », ajoutant que, ‘‘ce qu’il faut, c’est une feuille de route consensuelle pour les décideurs – à la fois en Haïti et parmi les principaux acteurs internationaux – qui réponde aux besoins d’Haïti à l’horizon.’’
Analysant la situation globale du pays, le diplomate estime que les défis d’Haïti s’inscrivent dans trois paniers, dont chacun serait intimidant en soi.
‘‘Politiquement, écrit-il, le gouvernement est actuellement dirigé de manière extraconstitutionnelle avec un parlement qui ne fonctionne pas et pas plus que quelques institutions publiques viables.’’
Ensuite, poursuit Ter Horst, la sécurité des citoyens est quasi inexistante, la moitié du pays vivant sous le contrôle de gangs criminels aux liens politiques forts.’’
‘‘Et enfin, la situation économique désastreuse laisse peu de marge d’erreur – par exemple, un enfant sur cinq de moins de cinq ans dans la commune pauvre de Cité Soleil dans la capitale de Port-au-Prince souffre de malnutrition aiguë’’, selon le diplomate.
Selon lui, ces défis exercent une sorte de synergie négative les uns sur les autres.
‘‘Peut-il y avoir un processus politique sans sécurité ? Qu’en est-il d’un rajeunissement économique durable sans normes institutionnelles crédibles pour arbitrer les ressources ? Néanmoins, parmi les nombreuses raisons de pessimisme en Haïti, il existe une voie étroite qui pourrait donner au pays les moyens d’avancer dans une direction plus positive. Mais par où commencer, s’interroge Henrique Ter Horst.
Ter Horst est du même avis que Renata Segura de l’International Crisis Group qui a dit recemment: « Il semble peu probable qu’Haïti devienne un endroit plus sûr s’il ne s’attaque pas d’abord à la crise politique ».
Cependant, il fait référence à plusieurs nouveaux groupes avec des initiatives qui ont fait surface au cours des neuf derniers mois, deux propositions clés pour une réinitialisation politique qui se démarquent, selon lui, des autres : « l’une du Premier ministre par intérim Ariel Henry pour diriger le pays jusqu’à ce qu’une élection puisse avoir lieu plus tard cette année ou au début de 2023, et un de l’Accord de Montana, une coalition d’organisations de la société civile et de partis politiques qui propose une transition de deux ans qui laisse au pays le temps d’organiser des élections ».
Il rappelle que les réunions entre les deux parties en février n’ont pas porté leurs fruits, et la réplique d’Henry d’une “commission de médiation” en mars a été rejetée par les membres de l’Accord de Montana. Le processus se trouve actuellement dans une impasse cordiale, bien qu’il y ait des signes récents d’un mouvement possible, souligne-t-il.
‘‘Sans doute, écrit Ter Horst qui publie une tribune sur la crise haïtienne, ni ces options ni les groupes qui les sous-tendent ne fournissent une représentation suffisamment large pour la société haïtienne, mais les deux apportent quelque chose d’essentiel à la table.’’
Selon lui, la proposition d’Henry préserve ce qui reste de la structure de gouvernance du pays et l’Accord de Montana offre une portée plus large dans la société.
« À cet égard, le défi d’Haïti n’est pas inhabituel pour les pays en conflit ou post-conflit : comment mener le dialogue sociétal le plus large possible à un moment où la gouvernance nationale est en panne. Mais Haïti n’a jamais eu de véritable dialogue national, passant directement de la dictature aux élections des années 1990, avec peu d’élections ultérieures véritablement représentatives ou productives », souligne le diplomate.
Il cite une étude récente de l’USIP qui a révélé que même si les dialogues nationaux ne sont pas une panacée, un dialogue bien conçu et soutenu peut « faire partie d’un continuum plus large d’efforts locaux, infranationaux et nationaux qui se renforcent mutuellement » et « forger des accords et conduire vers la paix ».
Mais, poursuit-il, l’étude a également révélé que “les dialogues sont beaucoup plus susceptibles d’engendrer des changements significatifs lorsqu’ils sont soutenus par une coalition crédible qui peut travailler à la mise en œuvre du dialogue par le biais de lois ou de politiques”. Le soutien combiné d’Henry et de l’Accord de Montana est-il suffisant pour générer un accord qui mène à un large soutien pour un dialogue national concluant, se demande Ter Horst
Pour lui, une réponse affirmative pourrait donner l’opportunité à des groupes haïtiens déjà bien positionnés de convoquer plusieurs milliers de délégués pour plusieurs semaines de réunions et de prises de décision.
« Il serait également utile d’avoir un groupe d’éminents hommes d’État qui pourraient ajouter du poids au rassemblement par leur présence et leur soutien, représentant des organisations et des pays désireux non seulement de s’engager dans le rassemblement, mais de voir ses résultats mis en œuvre », suggère Henrique Ter Horst.
Il ajoute que, ‘‘le soutien d’un processus de dialogue national par les principaux acteurs haïtiens permettrait également à la communauté internationale, travaillant respectueusement et patiemment avec tous les éléments de la société et de la politique haïtiennes, de fournir le soutien logistique et sécuritaire, le financement d’un secrétariat dirigé par des Haïtiens et le soutien les scènes de conseil et de dépannage nécessaires à une résolution réussie de la crise politique.’’
‘‘Compte tenu des antécédents de solutions précipitées par les acteurs internationaux au cours des trois dernières décennies, il vaut la peine de bien faire les choses cette fois et d’obtenir l’inclusion et l’adhésion complètes des Haïtiens plutôt que des solutions manipulées de l’extérieur’’, préconise-t-il.
‘‘À cet égard, souligne-t-il, le cadre politique émergent des États-Unis pour Haïti, guidé par le Global Fragility Act, offre une stratégie pour un engagement plus réfléchi et à long terme avec une fenêtre de soutien pouvant durer jusqu’à une décennie.’’
Insistant sur la fragilité de la situation en Haïti, il admet que, c’est plus facile à dire qu’à mettre en œuvre.
Une grande partie des problèmes de sécurité d’Haïti découlent de la force de gangs criminels bien connectés, dit-il.
Ter Horst pense que ces groupes auront plus de pouvoir que n’importe quelle force étatique dans un proche avenir, ils devront donc probablement être impliqués dans le processus politique. Ceci est plein de risques, admet-il, comme le suggèrent les expériences au Salvador, en Somalie, en Afghanistan et ailleurs.
Selon lui, la synergie négative entre la politique, la sécurité et l’économie est la plus évidente dans les endroits où le manque de prise de décision et d’autorité du gouvernement a suspendu tout développement économique et laissé la distribution de l’aide prise en otage par des gangs.
« Même le principal port d’Haïti n’a pas été épargné par ce problème. Sans trop renoncer à long terme, tout processus politique devra impliquer avec prudence les chefs de gangs – avec des paramètres clairs et prédéterminés », soutient Ter Horst.
Il souligne que, même avec un dialogue politique réussi, compte tenu de la profondeur de la crise, rien ne peut remplacer une injection rapide d’aide humanitaire pour atténuer la faim et assurer la sécurité alimentaire.
« Cela doit être fait d’une manière qui renforce, plutôt que sape, le peu d’agriculture et de transformation alimentaire qu’Haïti possède actuellement. De même, Haïti a besoin d’un programme d’emploi à moyen terme axé sur la construction d’une infrastructure urbaine qui fournira des emplois manufacturiers, des projets côtiers orientés vers le tourisme futur et des emplois ruraux qui renforceront le potentiel agricole du pays avec des routes, l’irrigation et la conservation des sols », selon le diplomate.
Il estime que les États-Unis doivent être les premiers parmi leurs pairs dans toute coalition internationale relative à Haïti, indiquant que le modèle normal d’un rôle robuste de l’ONU n’est probablement pas sur la table, de sorte que l’ONU devra apporter ses ressources et son expertise dans le cadre d’une coalition plus large d’autres acteurs intéressés.
Selon lui, de telles coalitions ont déjà été faites et, avec la volonté de réussir, peuvent apporter ce qu’il faut pour aider Haïti à reprendre pied.
Henrique Ter Horst croit ‘‘qu’ancrés par le Global Fragility Act, les États-Unis peuvent augmenter considérablement l’injection de capitaux en Haïti une fois qu’un plan est mis en place (une somme qui ne sera encore qu’une fraction de ce qui a été fourni à l’Ukraine au cours des derniers mois).’’