PORT-AU-PRINCE, mercredi 4 décembre 2024– Le Conseiller-Président Emmanuel Vertilaire, impliqué dans le scandale des 100 millions de gourdes détournées à la Banque Nationale de Crédit (BNC), a récemment introduit un recours judiciaire pour contester son inculpation. Cette démarche, menée par son avocat, Maître Guerby Blaise, repose sur une remise en question de la compétence du juge d’instruction chargé de l’affaire. Elle reflète également les tensions croissantes liées à la responsabilité des hauts fonctionnaires dans la gestion des fonds publics en Haïti.
Déposée le 28 octobre 2024, la procédure s’appuie sur les articles 10 et 13 de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal. Emmanuel Vertilaire remet en cause l’ordonnance-mandat de comparution émise par le juge d’instruction Benjamin Félismé, laquelle a été formulée sur la base d’un réquisitoire d’informer du parquet de Port-au-Prince et d’un rapport d’enquête de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), publié le 2 octobre 2024. Ce rapport détaille les mécanismes ayant conduit au détournement de fonds publics, mettant en lumière des failles systémiques dans la gouvernance financière.
Dans sa requête, Emmanuel Vertilaire soutient que son statut de Conseiller-Président au sein du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) l’assimile à celui de Chef de l’État. Par conséquent, il argue que les faits reprochés, supposément commis dans l’exercice de ses fonctions officielles, ne peuvent être examinés par un juge d’instruction ordinaire. Cette position est renforcée par une interprétation des articles relatifs à l’immunité fonctionnelle dans le droit haïtien.
Maître Guerby Blaise a déclaré : « Tant que la cour d’appel n’aura pas tranché sur la question de compétence, M. Vertilaire ne se présentera pas devant le juge d’instruction. Toute procédure initiée en violation de son immunité est nulle et non avenue. » Cette déclaration s’appuie également sur l’article 90 du Code pénal, qui stipule que les irrégularités procédurales peuvent invalider une procédure entière.
La défense insiste également sur le fait que cette affaire pourrait constituer une tentative de politisation de la justice, soulignant que le contexte actuel en Haïti est marqué par une fragilité institutionnelle exacerbée.
“Cette affaire, qui secoue les sphères politiques et judiciaires haïtiennes, illustre des enjeux institutionnels complexes. Emmanuel Vertilaire, en tant que Conseiller-Président, joue un rôle central au sein du CPT, organe clé dans la gestion de la transition politique en Haïti. Son inculpation intervient dans un contexte où plusieurs autres hauts responsables, notamment Leslie Voltaire, Laurent Saint-Cyr, Fritz Alphonse Jean et Régine Abraham, sont également cités dans le dossier. Bien que leurs rôles exacts restent à élucider, leur implication soulève des interrogations sur l’étendue et la nature des dysfonctionnements au sein des institutions étatiques.”
Le recours introduit par Emmanuel Vertilaire pourrait, selon des experts juridiques, établir un précédent concernant l’immunité des hauts fonctionnaires dans les affaires de corruption. Cette contestation survient alors que la population haïtienne exprime une méfiance grandissante envers ses institutions et ses dirigeants, amplifiée par une série de scandales financiers ayant marqué les dernières années.
Des organisations internationales, telles que Transparency International, ont rappelé dans des rapports récents que les détournements de fonds publics en Haïti entravent considérablement les efforts de développement et alimentent la pauvreté. La Banque Mondiale estime que près de 60 % des projets financés par des fonds publics ou des bailleurs internationaux souffrent d’une mauvaise gestion ou de corruption.
L’issue de cette affaire pourrait avoir des répercussions profondes sur la gouvernance et la lutte contre la corruption en Haïti. Si la cour d’appel accepte l’argumentation d’Emmanuel Vertilaire, cela pourrait compliquer les efforts visant à responsabiliser les fonctionnaires publics dans des affaires similaires. Une telle décision pourrait également renforcer la perception que les élites politiques bénéficient d’un traitement privilégié.
En revanche, une décision en faveur du juge d’instruction Benjamin Félismé pourrait marquer un tournant en faveur du renforcement des mécanismes de reddition de comptes. Cela pourrait également envoyer un signal clair que les hauts responsables ne sont pas au-dessus des lois, un message jugé crucial dans le contexte haïtien actuel.
Pour l’heure, Emmanuel Vertilaire demeure ferme dans sa position, dénonçant ce qu’il considère comme une atteinte à son statut et à ses droits fondamentaux. L’affaire, qui mêle droit, politique et moralité publique, continue de provoquer des réactions dans l’opinion publique.