PORT-AU-PRINCE, samedi 1er juin 2024 – Dr. Renan Armstrong Charlot tire la sonnette d’alarme sur le dysfonctionnement de la majorité des hôpitaux universitaires publics de la région métropolitaine de Port-au-Prince, privant plusieurs centaines de milliers de personnes des soins de santé de base.
Interviewee par le Reseau Haitien de l’Information (RHINEWS), Dr. Charlot affirme que sur quatre grands centres hospitaliers de référence desservant la zone métropolitaine, dont la population avoisinerait les 3,3 millions d’habitants, trois sont complètement à l’arrêt après avoir été incendiés et mis à sac par des gangs armés. L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), d’une capacité de mille lits, la Maternité Isaïe Jeanty (MIJ), de deux-cents lits, et le Sanatorium, un centre spécialisé dans la prise en charge et le traitement des pathologies pulmonaires, sont complètement dysfonctionnels, déplore Dr. Charlot, soulignant que seul l’Hôpital La Paix, à Delmas, continue de fonctionner mais avec de graves difficultés.
Selon lui, les hôpitaux manquent de tout : intrants, médicaments, équipements et personnels, sans compter les conditions de travail précaires. À cela s’ajoute, explique-t-il, la difficulté d’accéder aux hôpitaux, soulignant qu’après les heures de bureau, aucun médecin ne s’aventure dans les rues, pour la plupart barricadées, ce qui empêche les hôpitaux de dispenser des soins d’urgence pendant la nuit.
« Ce que nous vivons aujourd’hui en Haïti, particulièrement dans la région métropolitaine, est une situation d’extrême urgence, qui nécessite la mise en œuvre d’un plan d’urgence audacieux dans le cadre d’un partenariat public/privé pour faire face aux besoins médicaux de la population, livrée à elle-même sans défense ni protection », déclare-t-il.
Selon Dr. Charlot, ce plan, qui devrait durer entre trois à six mois, permettrait à l’État de renforcer la capacité d’accueil de certains hôpitaux privés afin de prendre en charge les patients de différentes catégories, tout en travaillant sur la récupération, la sécurisation, et la stabilisation des territoires dits perdus pour remettre en fonction les hôpitaux universitaires publics.
Le chirurgien insiste sur le fait qu’un hôpital universitaire occupe une place unique et cruciale au sein du système de santé, alliant soins de santé, enseignement et recherche. Ces établissements, souvent affiliés à des universités, sont des pôles d’excellence qui remplissent une triple mission indispensable au progrès médical et à la formation des professionnels de santé.
Il rappelle que la première vocation d’un hôpital universitaire est de fournir des soins médicaux de haute qualité. Ces institutions sont équipées pour traiter des cas complexes et des maladies rares, souvent grâce à des technologies de pointe et à des équipes médicales hautement spécialisées. Les patients bénéficient ainsi d’un accès à des traitements innovants et à des techniques chirurgicales avancées. De plus, la présence d’une équipe multidisciplinaire permet une prise en charge globale et personnalisée des patients.
Il souligne également que l’hôpital universitaire est un lieu d’enseignement majeur. Il offre une formation pratique essentielle aux étudiants en médecine, en soins infirmiers et dans d’autres disciplines de la santé. Les étudiants y acquièrent des compétences cliniques en observant et en participant activement aux soins des patients sous la supervision de praticiens expérimentés. En outre, ces hôpitaux proposent des programmes de formation continue pour les professionnels en exercice, garantissant ainsi une mise à jour régulière des connaissances et des compétences.
Il ajoute que la recherche constitue le troisième pilier de la vocation d’un hôpital universitaire. Ces établissements sont à la pointe de la recherche médicale, menant des études cliniques et fondamentales pour améliorer les traitements et les techniques médicales. Les découvertes réalisées dans ces centres de recherche sont souvent intégrées rapidement dans la pratique clinique, assurant une amélioration constante des soins. Les hôpitaux universitaires jouent également un rôle crucial dans le transfert des connaissances et l’innovation, partageant les résultats de leurs recherches avec la communauté médicale mondiale.
Dr. Charlot affirme que les activités criminelles des gangs en Haïti, notamment les incendies des hôpitaux, ont un impact profond et multifacette, affectant le système de santé, la population et l’économie du pays. La destruction des infrastructures hospitalières par les gangs entraîne la fermeture complète ou partielle des établissements de santé, réduisant drastiquement la capacité du système à fournir des soins essentiels.
« L’insécurité croissante pousse de nombreux professionnels de santé à quitter leurs postes, soit pour des raisons de sécurité personnelle, soit pour émigrer vers des régions ou des pays plus sûrs. Cette fuite de cerveaux exacerbe la pénurie de personnel qualifié. Les attaques réduisent également l’accès aux fournitures médicales essentielles, aux médicaments et aux équipements, rendant encore plus difficile la gestion des soins quotidiens et des urgences », déclare Charlot.
Selon lui, les habitants, surtout les plus vulnérables, se retrouvent sans accès aux services médicaux de base, augmentant la mortalité et la morbidité. Les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées sont particulièrement affectés. La fermeture des hôpitaux entraîne une hausse des maladies non traitées, pouvant entraîner des épidémies de maladies infectieuses et une augmentation des maladies chroniques non gérées. La violence des gangs et l’insécurité provoquent des traumatismes psychologiques chez les patients, les familles et le personnel médical, contribuant à une détérioration de la santé mentale au sein de la population.
Dr. Charlot précise que la destruction des infrastructures de santé représente une perte financière énorme. Les fonds doivent être réaffectés pour la reconstruction, affectant d’autres secteurs critiques tels que l’éducation et le développement économique.
L’insécurité rend Haïti moins attractif pour les investissements étrangers et les programmes d’aide internationale, limitant les ressources disponibles pour reconstruire et améliorer le système de santé et d’autres infrastructures vitales. Le manque de soins de santé pousse les familles à fuir les zones touchées par les gangs, augmentant le nombre de déplacés internes et de réfugiés, ce qui accentue la pression sur les infrastructures déjà fragiles des zones d’accueil.
‘‘Ce problème doit être adressé le plus rapidement possible, étant donné qu’il fait partie des principales priorités des Haïtiens, déclare Dr. Charlot, exhortant le Conseil Présidentiel de Transition et le nouveau Premier ministre, Dr. Garry Conille, à accorder la plus grande attention à la reprise du fonctionnement régulier des hôpitaux publics, soulignant que le fait pour les contribuables de ne pas avoir accès aux soins de santé constitue une violation grave et inacceptable des droits humains.
Il invite également les autorités de transition à renoncer à toute forme de bureaucratie et de procrastination et à se rendre sur le terrain pour constater eux-mêmes l’ampleur des dégâts, sachant que l’heure est grave. En ce sens, Charlot exhorte le conseiller Louis Gerald Gilles, médecin de formation et chirurgien comme lui, à s’approprier du dossier de la santé pour amorcer les réformes nécessaires. Il encourage le pouvoir en place à faire appel à toutes les compétences nécessaires pour faire face à la situation du pays, notamment dans le secteur de la santé où les besoins et attentes sont énormes.