“Dossier BNC – arrêt de la Cour d’appel de Port-au-Prince : Victoire à la Pyrrhus ou cadeau empoisonné pour les Conseillers-Présidents,” estime Me Samuel Madistin…

Samuel Madistin, Avocat,

PORT-AU-PRINCE, jeudi 20 février 2025D’après Me Samuel Madistin, président de la Fondasyon Je Klere (FJKL), l’arrêt rendu le 19 février 2025 par la Cour d’appel de Port-au-Prince dans l’affaire de corruption impliquant la Banque Nationale de Crédit (BNC) soulève des préoccupations majeures. Cet arrêt, faisant suite à l’appel du conseiller Emmanuel Vertilaire contre un mandat de comparution émis par le juge d’instruction Benjamin Felismé, a suscité des débats intenses au sein de la communauté juridique et des organisations engagées dans la lutte contre la corruption.

Dans sa décision, la Cour a déclaré l’appel recevable et a ordonné au juge d’instruction de poursuivre son enquête tout en tenant compte du statut des personnes concernées. Cependant, elle a également jugé inopérants les mandats de comparution émis à l’encontre des Conseillers-Présidents Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Smith Augustin, en raison de leurs fonctions actuelles, conformément à l’article 186 de la Constitution de 1987.

Me Samuel Madistin considère que cet arrêt établit un précédent préoccupant en raison de son raisonnement juridique discutable et constitue une victoire à la Pyrrhus pour les Conseillers-Présidents, qui restent exposés à des poursuites une fois leur mandat achevé.

Sur le plan procédural, la Cour d’appel a admis l’appel d’Emmanuel Vertilaire sans clarifier une question essentielle : un mandat de comparution est-il susceptible d’appel ? En principe, seules une ordonnance ou un mandat d’amener peuvent faire l’objet d’un appel. Au lieu de trancher cette question juridique, la Cour a opté pour un raisonnement par analogie, estimant qu’un mandat de comparution, ayant des effets similaires à un mandat d’amener, pouvait également être contesté devant elle.

« L’interdiction du raisonnement par analogie en matière pénale est un principe aussi fondamental que le célèbre adage nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege », rappelle Me Madistin. Autrement dit, un juge ne peut étendre l’application d’une règle à un cas non prévu par la loi. En rendant une telle décision, la Cour d’appel a donc pris une liberté considérable avec les principes du droit pénal haïtien, ce qui pourrait constituer une faille exploitable en cassation.

Plus préoccupant encore, cette approche soulève des questions quant à l’impartialité des magistrats ayant rendu l’arrêt. « Si des juges aussi expérimentés ont ignoré un tel principe, c’est qu’ils ont voulu rendre service à un ancien collègue magistrat », estime Me Madistin. Il suggère ainsi que la Cour aurait, de manière détournée, accordé une faveur à Emmanuel Vertilaire, ancien juge d’instruction devenu Conseiller-Président.

Sur le fond, l’arrêt ne met pas un terme aux poursuites engagées contre Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Smith Augustin. Il se contente de suspendre l’exécution des mandats de comparution tant qu’ils occupent leurs fonctions actuelles. La Cour d’appel n’a pas annulé les mandats émis par le juge Felismé ; elle les a simplement déclarés inopérants dans le cours de leur statut actuel.

En d’autres termes, les poursuites reprendront automatiquement une fois que les intéressés auront cessé d’être Conseillers-Présidents, que ce soit par démission, par décision du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), par caducité de cette instance ou à l’échéance de leur mandat en février 2026.

« Il ne s’agit donc ni d’une victoire définitive ni d’une annulation des poursuites », analyse Me Madistin. « C’est une victoire à la Pyrrhus ou un cadeau empoisonné. » En obtenant cet arrêt, les Conseillers-Présidents ne font que retarder l’échéance. À la fin de leur mandat, ils seront tenus de comparaître devant le juge d’instruction, à moins qu’ils ne trouvent d’autres moyens d’échapper à la justice.

Face à cet arrêt ambigu, Me Madistin recommande tant au Ministère public qu’aux Conseillers-Présidents de se pourvoir en cassation. Pour le Ministère public, l’enjeu est d’obtenir une clarification juridique sur la question de la recevabilité d’un appel contre un mandat de comparution et de faire sanctionner l’utilisation du raisonnement par analogie. Pour les Conseillers-Présidents, un pourvoi en cassation pourrait leur permettre d’obtenir une décision plus favorable ou, à défaut, de gagner du temps.

« Un tel recours serait utile pour l’avancement du droit pénal en Haïti », estime Me Madistin. Il déplore cependant que la législation haïtienne n’accorde pas aux organisations de la société civile la possibilité d’intervenir dans les procès pour corruption en tant qu’amicus curiae, c’est-à-dire comme tiers apportant des arguments juridiques sans être partie au litige. « La justice gagnerait à entendre des voix désintéressées dans des procès aussi importants », plaide-t-il, appelant les futurs parlementaires à se pencher sur cette question.

L’arrêt de la Cour d’appel de Port-au-Prince dans le dossier BNC ne résout rien de manière définitive. Il laisse en suspens la question de la recevabilité d’un appel contre un mandat de comparution et reporte les poursuites contre les Conseillers-Présidents à une date ultérieure.

Si la Cour de cassation est saisie, elle devra se prononcer sur plusieurs points cruciaux :

• « Le mandat de comparution est-il un acte susceptible d’appel ?

• Le raisonnement par analogie »