WASHINGTON, samedi 16 novembre 2024– Les conditions en Haïti se détériorent rapidement. Cette semaine, le Conseil de gouvernement de transition a limogé le Premier ministre qu’il avait nommé il y a moins de sept mois. Dans le même temps, des policiers et des milices ont attaqué une ambulance de Médecins sans frontières et exécuté plusieurs patients à bord. Les gangs armés continuent de vider des quartiers entiers de Port-au-Prince, et des tirs visant des avions commerciaux ont entraîné la fermeture de l’aéroport international pour la deuxième fois cette année.
L’élection de Donald Trump, qui a fréquemment dénigré Haïti et ses habitants, soulève de nombreuses questions. Au cours de sa première présidence, Trump a exprimé un mépris notable pour la migration haïtienne et a même avancé de fausses affirmations, comme celle selon laquelle des Haïtiens mangeaient des animaux domestiques dans l’Ohio. Pendant sa récente campagne, il a promis de mener “la plus grande déportation de l’histoire des États-Unis”, en ciblant en priorité les Haïtiens vivant légalement dans des communautés comme Springfield.
L’aide américaine en question
La position de Trump sur l’aide internationale est moins claire, en particulier en ce qui concerne le soutien à la mission de police menée par le Kenya et soutenue par l’ONU. Financée en grande partie par les États-Unis, cette mission n’a jusqu’à présent pas eu un impact significatif contre les gangs haïtiens. Selon Pierre Espérance, directeur du Réseau national de défense des droits humains en Haïti, Trump “ne s’est jamais vraiment soucié d’Haïti” durant son premier mandat. Espérance craint qu’un désengagement américain sous Trump n’aggrave la situation déjà désastreuse.
Cependant, certains analystes estiment que la crise haïtienne, située à seulement 800 miles des côtes de la Floride, pourrait devenir impossible à ignorer. Luis G. Moreno, ancien chef adjoint de la mission américaine en Haïti, a qualifié la situation de “hautement combustible” et prédit que son ampleur obligera l’administration Trump à réagir.
Une crise humanitaire hors de contrôle
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, Haïti est sans gouvernement fonctionnel. Les gangs armés, souvent associés à des politiciens ou des policiers, contrôlent environ 85 % de la capitale. Leur campagne de violence, comprenant enlèvements, viols et assassinats, a déplacé plus de 5 % de la population. La famine touche désormais plusieurs régions du pays. Le gouvernement de transition, chargé de rétablir l’ordre pour organiser de nouvelles élections, est embourbé dans des scandales de corruption.
En mars, des gangs ont ouvert des prisons et paralysé l’aéroport de Port-au-Prince. La communauté internationale, notamment les Nations unies et les États-Unis, peine à trouver une réponse efficace. La mission kenyane, qui manque de ressources, a besoin d’au moins 600 millions de dollars pour fonctionner efficacement, mais n’a reçu que 85 millions à ce jour.
Les répercussions des politiques migratoires de Trump
Trump a promis de révoquer à nouveau le statut de protection temporaire (TPS) qui permet à des centaines de milliers de Haïtiens de vivre et travailler légalement aux États-Unis depuis le séisme de 2010. Cette décision, combinée à des déportations massives, risque de déstabiliser encore davantage Haïti, qui n’est pas en mesure de réintégrer les rapatriés. En outre, cela priverait le pays de précieuses remises de fonds, qui représentent environ 20 % du PIB haïtien.
Le choix de Marco Rubio comme secrétaire d’État et de Michael Waltz comme conseiller à la sécurité nationale pourrait influencer la politique étrangère de Trump. Rubio, fils d’immigrants cubains, a par le passé soutenu des initiatives pour renforcer l’industrie textile en Haïti et sanctionner les élites liées aux gangs. Mais il a également exprimé des réserves sur l’efficacité des interventions internationales en Haïti.
Waltz, quant à lui, a récemment déclaré que les migrants haïtiens ne remplissent pas les critères d’asile, car ils fuient la violence des gangs et non une persécution gouvernementale. Il craint que la Floride ne devienne un point d’entrée pour les migrants, comparable à la frontière sud des États-Unis.
Une mission internationale en péril
L’avenir de la mission de police menée par le Kenya sera l’une des premières décisions de l’administration Trump. Cette force, limitée dans ses moyens, a été critiquée pour son inefficacité, certains des massacres les plus meurtriers ayant eu lieu sous sa surveillance. Les analystes estiment que Trump, connu pour son opposition aux dépenses internationales, pourrait exiger que d’autres pays contribuent davantage, réduisant ainsi la participation financière des États-Unis.
Robert Maguire, expert en affaires haïtiennes, estime que Trump pourrait soutenir une transformation de la mission kenyane en mission de maintien de la paix de l’ONU, si cela permet de partager les coûts. Une telle démarche nécessiterait toutefois l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies, où la Russie et la Chine ont exprimé leur opposition.
Le président kényan William Ruto a récemment discuté de la mission haïtienne avec Trump, soulignant que la stabilisation d’Haïti est essentielle pour freiner la migration. Selon Korir Sing’Oei, secrétaire principal aux affaires étrangères du Kenya, Trump s’est montré “réceptif” à cet argument. Pourtant, sans un financement accru et des ressources supplémentaires, les experts préviennent que la mission risque d’échouer.
Une longue histoire d’échecs
La politique étrangère américaine en Haïti est souvent critiquée pour son manque de résultats. Maguire accuse les administrations successives, y compris celle de Biden, de privilégier les élites au détriment de la société civile. Cette approche, selon lui, a sapé la confiance des Haïtiens et entravé les progrès. Il appelle à une écoute véritable des préoccupations haïtiennes, un élément clé pour restaurer la confiance et trouver des solutions durables.
Alors que le monde attend de voir comment Trump abordera cette crise, la question reste ouverte : l’administration Trump continuera-t-elle de soutenir Haïti, ou se désengagera-t-elle, aggravant une situation déjà catastrophique ?
Cet article de Amanda Coletta sur: https://www.washingtonpost.com/world/2024/11/16/haiti-crisis-trump-administration/