FORT-LIBERTE, lundi 25 décembre 2023– Selon Me Evens Fils, Bâtonnier du barreau de Fort-Liberté, la question de la détention prolongée en Haïti est complexe. Tant que la personne est derrière les barreaux, son innocence ne peut être confirmée que par un jugement officiel. L’avocat souligne que l’opinion personnelle du détenu ne compte pas dans ce processus, seuls les mots du juge font autorité.
Me Fils met en lumière la responsabilité des avocats en tant qu’auxiliaires, soulignant que la tendance de l’acteur judiciaire est parfois de présumer la culpabilité du citoyen incarcéré. Dans ces cas, l’avocat du détenu peut intenter une action en Habeas corpus devant le Doyen, conformément à la Constitution.
Cependant, ajoute-t-il, une problématique supplémentaire se pose quant à l’auteur de la détention prolongée. Si un acteur judiciaire est impliqué, des poursuites seront engagées contre lui et l’État pour réparer le détenu. En l’absence d’une implication directe, le détenu libéré peut poursuivre l’État en réparation, selon les dispositions constitutionnelles et civiles’’, précise-t-il.
Me Fils souligne également l’existence de cas fréquents de détentions injustes en Haïti. Il regrette que les victimes soient rarement réparées, attribuant cela à une croyance générale selon laquelle l’État ne peut pas les réparer, décourageant ainsi les efforts pour obtenir justice.
Interrogé sur le droit à la réparation pour les victimes d’erreurs ou d’abus judiciaires, Me Fils cite la Convention Américaine relative aux droits de l’homme, soulignant le droit à être indemnisé conformément à la loi. L’article 10 de cette convention stipule que: « Toute personne a droit à être indemnisée conformément à la loi lorsqu’elle a été condamnée en vertu d’un jugement définitif rendu par suite d’une erreur judiciaire ».
La détention préventive prolongée est également abordée, avec Me Fils expliquant qu’elle implique l’utilisation de la détention avant un procès, autorisée par le Code d’Instruction Criminelle (CIC). Il note cependant qu’en France, l’abus de ce concept a conduit à remplacer l’expression “détention préventive” par “détention provisoire”.
Me Fils appelle à des réformes urgentes, plaidant pour la responsabilisation des acteurs judiciaires. Il souligne que ‘‘ceux responsables de détentions provisoires abusives doivent être jugés et sanctionnés, insistant sur l’importance de construire une société exemplaire, basée sur l’exemple plutôt que sur des commentaires ou des souhaits.’’
En octobre 2023, un groupe d’experts des Nations-Unies qui a enquêté sur la criminalité en Haïti a fait savoir que le système judiciaire haïtien, a délibérément été saboté par les gouvernements successifs, souffre depuis longtemps de la politisation et de la corruption endémique.
Selon le rapport des experts transmis au conseil de sécurité de l’ONU, le système judiciaire haïtien est à peine opérationnel aujourd’hui.
Compte tenu des très faibles taux de poursuites et de condamnations, indique le rapport, ‘‘les conditions de vie sont désastreuses dans des prisons surpeuplées, qui affichent un taux d’occupation des cellules de 332 %. En août 2023, sur 11 816 personnes détenues, seules 1 892 avaient été reconnues coupables d’une infraction.’’
Les procureurs (Commissaires du gouvernement) sont nommés par le pouvoir exécutif et peuvent être révoqués à tout moment, d’où souvent un manque d’indépendance et la mainmise des acteurs politiques et économiques sur le système.
‘‘Des criminels présumés sont régulièrement libérés sans procès ou des enquêtes bloquées, du fait de pots-de-vin, de menaces ou d’intimidations lancées ou de trafics d’influence, ce qui renforce encore davantage le sentiment d’impunité’’, selon e rapport.