PORT-AU-PRINCE, jeudi 4 juillet 2024 – Un groupe d’organisations de défense des droits humains a adressé une lettre ouverte au Premier Ministre d’Haïti, Garry Conille, mettant en lumière cinq questions cruciales qui menacent la paix, la sécurité et le retour à l’ordre constitutionnel dans le pays. Parmi les signataires figurent des entités respectées telles que le Cercle de Réflexions (CR), la Commission Episcopale Nationale Justice et Paix (CE-JILAP), NÈGÈS MAWON, la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains (POHDH) et le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH).
Dans cette correspondance, les organisations soulignent avec urgence la nécessité de traiter ces questions avec minutie afin de ne pas compromettre le rétablissement de la paix et de la sécurité. Elles estiment que partager leurs positions sur ces enjeux est crucial à ce stade critique.
Depuis 2018, Haïti est en proie à une violence d’une intensité sans précédent. Des gangs armés, opérant comme des associations criminelles, terrorisent la population à travers des actes de vol, de meurtre, de viol collectif de femmes et de filles, ainsi que de pillage et d’occupation illégale de maisons incendiées. Ces criminels pratiquent également l’enlèvement contre rançon, érigent des postes de péage pour extorquer la population et attaquent les navires, exacerbant l’insécurité dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite.
Les conséquences de cette violence sont dévastatrices, avec des milliers de vies perdues, y compris celles de femmes enceintes, de personnes âgées, d’enfants et de nourrissons. Des centaines de milliers de familles ont été contraintes de fuir leurs foyers pour se réfugier dans des camps improvisés. Des centaines de femmes et de filles ont été victimes de violences sexuelles collectives, tandis que des milliers de maisons ont été détruites.
“Malgré les vidéos de leurs crimes diffusées sur les réseaux sociaux, les agresseurs continuent d’opérer en toute impunité. La fusion en février 2024 de deux grandes coalitions de gangs sous le nom de ‘Vivre ensemble’ a encore exacerbé la situation, vandalisant des institutions étatiques et des entreprises privées, et facilitant l’évasion d’au moins 5 000 prisonniers complices”, déplorent les organisations.
Face à cette crise, les survivants des quartiers défavorisés attendent désespérément que le système judiciaire haïtien intervienne. En 2023, assistés par le RNDDH, 349 victimes et leurs proches ont déposé des plaintes pour meurtre, viol, vol et destruction de biens. Bien que ces plaintes soient en cours, elles témoignent de la détermination des victimes à obtenir justice et réparations.
Les organisations nationales et internationales de défense des droits humains telles que Human Rights Watch, Crisis Group, Amnesty International et le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) ont unanimement condamné la terreur imposée par les gangs armés. Haïti, signataire de nombreux traités internationaux et régionaux sur les droits humains, s’engage à protéger la vie, la sécurité, l’intégrité physique et psychologique, la propriété privée et la libre circulation.
Il est impératif que le Premier Ministre, conscient de l’impunité inacceptable dont bénéficient les criminels, demande au Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique d’ordonner aux procureurs de poursuivre activement les responsables de ces atrocités. Les victimes méritent que justice soit rendue et que les coupables soient punis pour rétablir la paix et la sécurité en Haïti.
Les organisations de défense des droits humains rejettent fermement toute idée d’amnistie pour les criminels qui terrorisent la population. Bien que cette proposition ait perdu de sa vigueur, notamment lors de la formation du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), les organisations signataires redoutent son retour avec le déploiement récent des premiers agents de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) en Haïti. Elles insistent sur l’importance de ne pas faire preuve de clémence envers ceux qui ont semé le chaos avec la complicité de certaines autorités.
Prioritairement, le gouvernement haïtien doit se concentrer sur les victimes des atrocités. Des programmes de soutien financier, médical et psychologique doivent être instaurés pour aider les survivants à se reconstruire et à réintégrer leurs communautés. La justice doit être impartiale et rapide pour les victimes, et les instigateurs des crimes doivent être tenus responsables, tant intellectuellement que matériellement.
Les organisations rappellent également l’importance de considérer le sort des mineurs enrôlés par les gangs. Les décisions judiciaires devront évaluer le niveau de participation individuelle et appliquer des sanctions proportionnées.
Le déploiement récent de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) en Haïti est accueilli avec prudence par les organisations. Elles rappellent les précédents préoccupants des forces de l’ordre kényanes en matière de droits humains, en particulier la répression violente des manifestations. Elles exigent la mise en place de mécanismes de surveillance pour prévenir toute violation des droits humains et assurer la responsabilité en cas d’abus.
Les organisations signataires soulignent que la demande d’intervention de la MMAS émane du gouvernement d’Ariel Henry, actuellement critiqué pour sa gestion de la crise nationale. De plus, les recommandations antérieures pour renforcer et certifier la police nationale haïtienne afin de lutter contre la criminalité organisée sont restées lettre morte, justifiant ainsi une intervention étrangère.
Elles mettent en garde contre les antécédents inquiétants des forces de l’ordre kényanes en matière de droits humains, illustrés par la répression sévère des manifestations au Kenya. Elles appellent donc à une totale transparence quant aux objectifs de la mission MMAS, soulignant l’importance cruciale d’établir des mécanismes pour prévenir les violations des droits humains, y compris les crimes sexuels.
Selon les accords internationaux relatifs à la MMAS, toute responsabilité civile des agents doit être reconnue et les victimes doivent recevoir réparation. Les pays fournisseurs des agents doivent également s’engager à punir les violations des droits humains et à réparer les victimes survivantes.
Les organisations exigent que le gouvernement haïtien, sous la direction du Premier Ministre, intègre les préoccupations de la société civile dans la planification et l’exécution de cette mission. Elles recommandent également un renforcement des capacités de la Police Nationale d’Haïti et une collaboration étroite avec la MMAS pour garantir des opérations efficaces contre la criminalité organisée et les gangs armés, tout en respectant les droits fondamentaux de la population.
Les organisations de défense des droits humains lancent un appel ferme contre la corruption et les crimes financiers qui gangrènent le pays. Depuis plusieurs années, des montants colossaux ont été dilapidés par les gouvernements successifs, révélant un système où des sociétés fictives sont créées, des pots-de-vin perçus, des fonds publics détournés et des enrichissements illicites facilités par la manipulation de l’appareil judiciaire pour garantir l’impunité.
Le mouvement de reddition des comptes lancé dans le cadre du scandale PetroCaribe en 2018 a mis en lumière cette propension à la corruption à grande échelle. Les organisations signataires insistent sur l’urgence pour le gouvernement actuel de prendre des mesures drastiques contre ces pratiques dévastatrices.
“Il est impératif que le gouvernement envoie un signal clair indiquant qu’il ne tolérera pas la corruption au sein de l’administration publique. Les organisations recommandent vivement que le Premier Ministre et tous les membres de son gouvernement déclarent publiquement leur patrimoine, conformément à la loi en vigueur depuis 2008”, ajoutent-elles.
Face aux nombreux scandales récents au sein de certains ministères et organismes publics autonomes, les organisations appellent également à des audits financiers approfondis au Palais National, à la Primature, ainsi qu’au Ministère des Travaux Publics et de la Communication, du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, et du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe.
De plus, l’Office National d’Assurance Vieillesse (ONA), l’Autorité Aéroportuaire Nationale (AAN) et l’Office National de l’Aviation Civile (OFNAC) doivent également être soumis à un processus d’audit rigoureux pour restaurer la confiance du public et assainir les finances publiques.
Les organisations signataires soulignent que la lutte contre la corruption doit être une priorité absolue pour le gouvernement afin de garantir la justice sociale et économique pour tous les Haïtiens.
Concernant les élections à venir dans le pays, les organisations insistent sur la nécessité que ces élections soient réalisées dans un contexte de paix rétablie et après un engagement ferme du gouvernement dans la lutte contre la corruption.
“Pour assurer un processus électoral inclusif et démocratique, les organisations soulignent qu’une priorité absolue doit être accordée au rétablissement de la sécurité. Cela implique la répression efficace des crimes de droit commun, des violations des droits humains et des crimes financiers qui minent actuellement le pays. Il est crucial que les fonds issus des activités criminelles telles que le kidnapping, le trafic d’armes et de drogues ne soient plus utilisés pour corrompre le processus électoral”, soutiennent-elles.
Les organisations signataires recommandent au Premier Ministre de prendre des mesures immédiates pour traquer, arrêter, poursuivre, juger et condamner sévèrement les responsables de ces crimes. Cela garantirait qu’ils perdent toute capacité de nuire et préserverait l’intégrité du processus électoral à venir.
Elles reconnaissent la complexité et l’ampleur de la tâche qui incombe au gouvernement actuel. “Ramener l’ordre et la sécurité, combattre la corruption et organiser des élections dans un contexte de crise exigent une volonté politique et des actions déterminées”, soulignent-elles.