Des gangs aux ports maritimes de Port-au-Prince : Un rapport d’experts de l’ONU révèle l’existence d’un réseau de corruption…

Vue du principal Port de Port-au-Prince...

PORT-AU-PRINCE, jeudi 4 avril 2024– Dans un rapport des experts de l’ONU sur la situation en Haïti, une lumière crue est jetée sur les pratiques insidieuses des gangs, qui étendent leur influence des quartiers défavorisés aux principaux ports maritimes du pays. Ce document révèle un réseau complexe de corruption et d’extorsion qui mine les fondations même de l’économie haïtienne.

Selon le rapport, les gangs, loin d’être de simples organisations criminelles locales, ont étendu leurs tentacules jusqu’aux routes principales du pays, où ils ont intensifié leurs activités d’extorsion sur les réseaux de transport public. En imposant des péages supplémentaires, en particulier sur la RN2 (Route Nationale #2) et dans les environs de Mariani (Ouest), ces groupes perturbent non seulement le flux de marchandises, mais compromettent également l’accès des Haïtiens à des biens essentiels tels que la nourriture, contribuant ainsi à une inflation déjà galopante.

Mais les activités des gangs ne se limitent pas aux routes, selon les experts, qui ont également mis en lumière la compétition féroce pour le contrôle des ports maritimes et des routes qui y mènent. ‘‘Les opérateurs de transport dans les principaux terminaux portuaires de la région métropolitaine de Port-au-Prince – Caribbean Port Services, Lafito et Varreux – sont devenus les cibles privilégiées des activités gangrenées par l’extorsion.’’

Le rapport affirme qu’une des zones de conflit majeur se situe autour du terminal de l’autorité portuaire nationale, où les gangs G9 et G-Pèp se disputent le contrôle de la route menant et sortant du port. Cette lutte pour le pouvoir s’est intensifiée, entraînant une détérioration de la sécurité dans la région et des affrontements violents, comme en témoignent les récents incidents à La Saline.

Les gangs déterminent les frais d’extorsion en fonction de divers facteurs, notamment la taille et le nombre de conteneurs, ainsi que les circonstances politiques et sécuritaires. Par exemple, pendant les luttes intestines du G9 en novembre 2023, les camions quittant le terminal de Caribbean Port Services étaient contraints de verser des sommes exorbitantes aux gangs pour traverser les checkpoints, ajoutant une pression financière supplémentaire aux entreprises et aux consommateurs.

Cependant, précisent les experts, l’emprise des gangs ne se limite pas à l’économie souterraine. Les experts ont également mis en lumière les liens étroits entre certains membres de l’élite politique et économique et les gangs. Certains individus occupent simultanément des postes dans le secteur public et privé, utilisant leur influence pour promouvoir leurs intérêts personnels, y compris l’évasion fiscale, et même parrainer des groupes criminels.

Le développement économique et social d’Haïti continue d’être négativement affecté par l’augmentation de la violence des gangs et l’instabilité politique. En octobre 2023, le taux de variation annuel de l’indice des prix à la consommation s’élevait à 13,4 %, le deuxième plus élevé depuis 1980, et cela est susceptible de s’aggraver en raison de la violence continue des gangs.

En ciblant les principaux réseaux routiers, les gangs ont perturbé les systèmes de chaîne d’approvisionnement alimentaire, en carburant et en autres services essentiels. Par exemple, en érigeant des péages sur les routes reliant les ports maritimes, les zones agricoles et Port-au-Prince, ils ont perturbé l’approvisionnement alimentaire et par conséquent la production alimentaire, entraînant une pénurie alimentaire et des prix plus élevés au-delà de la capacité financière des ménages ordinaires (voir également annexe 28).

Actuellement, près de 5 millions de personnes (la moitié de la population d’Haïti) sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, les enfants et les femmes étant les plus touchés (voir annexe 26). Selon la Banque mondiale, aujourd’hui, un enfant né en Haïti ne deviendra productif qu’à hauteur de 45 % de ce qu’il pourrait être s’il avait bénéficié d’un accès complet à une éducation et à des soins de santé de qualité.

La relation de longue date entre les gangs, le secteur privé et certains acteurs politiques, associée à la détournement de fonds publics, sont des facteurs supplémentaires qui exacerbent les flux financiers illicites et constituent une menace pour la paix, la sécurité et la stabilité du pays. Le Panel continue d’enquêter sur ces tendances conformément à son mandat.

La corruption dans les secteurs public et privé et l’utilisation abusive des fonds publics au sein des entreprises publiques continuent d’avoir un impact négatif sur la capacité du gouvernement d’Haïti à fournir des services à sa population (voir S/2023/674).

Malgré des taux de poursuite faibles (voir S/2023/674, paragraphe 30), les unités gouvernementales spécialisées dans la lutte anti-corruption continuent de mener des enquêtes sur plusieurs individus. Par exemple, en novembre 2023, l’Unité de lutte contre la corruption a soumis 11 rapports d’enquête sur des fonctionnaires publics en vue de poursuites judiciaires. Sur le nombre total d’affaires en attente de poursuites, ces 11 affaires seules représentaient plus de 4 milliards de gourdes, soit 2 % du budget national 2023-2024.

Le Panel continue d’enquêter sur les cas de flux financiers illicites liés à la diversion de fonds publics, à l’évasion fiscale et aux activités criminelles qui alimentent la violence et affectent la paix, la sécurité et la stabilité d’Haïti.

En réponse à ces révélations troublantes, les experts recommandent une série de mesures pour lutter contre la corruption endémique en Haïti. Parmi elles, la mise à jour des listes de personnes et d’entités sanctionnées, la sensibilisation des missions de sécurité multinationales sur le terrain, et le renforcement des institutions nationales, notamment la police, le système judiciaire et le système carcéral.

Alors que la nation haïtienne lutte pour trouver une voie vers la stabilité et le développement, ce rapport met en lumière les défis urgents auxquels le pays est confronté. Il met également en évidence la nécessité d’une action concertée, tant au niveau national qu’international, pour L’ONU alloue 12 millions de dollars de son fonds d’urgence pour venir en aide aux Haïtiens touchés par les violenceslutter contre la corruption et restaurer la confiance dans les institutions.