MIAMI, samedi 3 juin 2023– Réunis par visioconférence dans le cadre d’un panel sur l’application de la loi de naturalisation 169-14, organisé par le Latin American and Caribbean working group de Nova Southeastern University, le mouvement Reconocido, We Are All Dominican, le Rice University Center for African and African American Studies et l’ International Center for Leadership and Conflict Studies, Dr Amarilys Estrella, Ana Maria Belique, Maribel Fede et Dr Ernst Pierre Vincent, ont abordé vendredi la crise de l’apatridie provoquée par la decision 168-13 de la cour constitutionelle dominicaine.
Cet arrêt, communément appelé « La Sentencia », a mis en lumière la crise de l’apatridie en République dominicaine. Laquelle crise a été exacerbée par la loi de naturalisation 169-14 qui a divisé la population touchée en deux groupes : A et B, a souligné le principal exposant, Dr Ernst Pierre Vincent.
Le groupe A est composé de Dominicains d’origine haïtienne nés en République dominicaine qui avaient été, avant le jugement, inscrit au registre de l’état civil de la République dominicaine, le deuxième groupe est composé des non déclarés, ceux qui sont nés dans le pays mais n’avaient pas la citoyenneté ou le document d’identité nationale pour prouver leur citoyenneté, a-t-il expliqué.
« Adoptée en violation des lois internationales sur la citoyenneté et de la constitution dominicaine, cette loi mise en œuvre en même temps que le plan créé pour les étrangers, a aggravé la situation des Dominicains d’origine haïtienne dans ce groupe », a déclaré Vincent.
Il a souligné que ‘‘ceux qui ont demandé la procédure de naturalisation ont été privés avec succès de leur citoyenneté ont demandé la procédure de naturalisation ont été privés avec succès de leur citoyenneté dominicaine, étant donné qu’ils ont abdiqué leur nationalité constitutionnellement accordée en s’inscrivant à la procédure de naturalisation.’’
Il a fait remarquer que de nombreux autres membres du même groupe, qui, pour de multiples raisons, n’ont pas jugé nécessaire ou ont eu peur de demander la naturalisation, sont maintenant dans les limbes, ajoutant que le sort de beaucoup d’entre les dominicains d’origine haïtienne du groupe A, n’est pas différent.
‘‘A date, seules 27 000 des 61 000 personnes identifiées dans l’audit de l’état civil par le gouvernement comme éligibles ont pu récupérer leurs papiers de citoyenneté dominicaine’’, a précisé Vincent.
En ce qui a trait aux personnes du groupe A, a-t-il indiqué, la loi 169-14 a fourni une solution partielle mais non durable au problème de la citoyenneté en République Dominicaine.
‘‘Cette solution partielle est attestée par le fait qu’un grand pourcentage des victimes du groupe A n’ont pas encore reçu leurs documents d’acte de naissance ou leur carte d’identité nationale et parce que même ceux dont les documents de citoyenneté ont été restaurés ont eu des difficultés à renouveler leur carte d’identité et à enregistrer leurs nouveau-nés’’, a-t-il déclaré.
Vincent a noté également que ce n’est pas une solution pérenne car la citoyenneté de ces personnes peut être remise en cause à tout moment par le pouvoir exécutif ou judiciaire.
« Cette éventualité est à juste titre redoutée par ceux que j’ai interrogés dans le cadre de mes recherches. Les autorités de l’état civil ont appliqué la loi de manière discriminatoire en créant un livre différent pour les Dominicains d’origine haïtienne classés dans le groupe A », a-t-il soutenu.
Vincent a évoqué de nombreux facteurs peuvent expliquer, selon lui, pourquoi cette loi n’a pas réussi à atténuer de manière significative l’impact de l’arrêt de la Cour constitutionnelle dominicaine de septembre 2013 et à résoudre le problème de l’apatridie que cet arrêt a aggravé.
Selon M. Vincent, la véritable motivation de la loi 169-14 n’était pas d’atténuer l’impact de l’arrêt de 2013, ajoutant que la loi n’a aucune base constitutionnelle et pourrait un jour être annulée.
Il a affirmé que l’adoption de cette loi a été une décision ‘‘politiquement motivée’’, arguant qu’il faudrait une volonté politique de la part des acteurs politiques dominicains et des élites économiques et intellectuelles pour faire face à cette crise d’apatridie à grande échelle qui en a résulté. Cependant, une telle volonté politique doit encore se manifester.’’
Il a rappelé que la loi obligeait les dominicains d’origine haïtienne du groupe B à abdiquer leur citoyenneté dominicaine en s’inscrivant à un plan spécial de naturalisation mis en œuvre simultanément avec le plan de régularisation des migrants haïtiens sans papiers vivant en République Dominicaine.
Cette exigence, a-t-il dit, a violé les droits de ces personnes à la nationalité dominicaine.
De 1929 à 2010, selon la constitution en vigueur à cette époque, la République dominicaine était sous le régime du ‘‘jus soli’’ (droit du sol). Elle a l’obligation de ne pas élaborer de loi et de ne pas la mettre en œuvre sans tenir compte de son système constitutionnel et de ses obligations internationales en matière de nationalité, a soutenu Vincent.
« Cependant, comme l’intention de l’État dominicain n’était pas de résoudre ce problème, les autorités ont rédigé la loi et l’ont exécutée de manière à empêcher la récupération des documents de citoyenneté », a-t-il déclaré.
‘‘De nombreux autres facteurs ont contribué à l’échec de la loi de naturalisation 169-14. Le processus “n’était pas agile”. Les requérants rencontrèrent toutes sortes de difficultés, caractérisées d’abord par une demande excessive de documents que la loi n’exigeait pas’’, a-t-il fait remarquer, citant une étude la ‘‘Ciudadana’’, une organisation de la société civile dominicaine.
Pour sa part, d’origine haïtienne, la sociologue et activiste Ana Maria Belique, qui a analysé le contexte du jugement 168-13 et de la loi 169-14, a fait remarquer que migration haïtienne vers la République dominicaine a apporté de grands avantages économiques au pays, en particulier pendant le boom de l’industrie sucrière, mais elle a également laissé leurs descendants qui, de diverses manières, ont contribué au développement du pays.
Elle a souligné qu’un processus de dénationalisation est établi où non seulement les personnes nées de migrants irréguliers sont empêchées de s’enregistrer en tant que Dominicains, mais aussi ceux qui possédaient des certificats de naissance et des pièces d’identité ont vu leur délivrance annulée ou suspendue.
Elle a cité l’un des nombreux cas connus devant les tribunaux, celui de la jeune Juliana Dequis, qui incarnait, a-t-elle déclaré, ce que certains secteurs considéraient comme la décision qui mettrait fin à la discussion sur la nationalité des enfants d’immigrés haïtiens en République Dominicaine.
‘‘Cependant, cela n’a fait que montrer l’existence d’une politique de dénationalisation qui a opéré en silence puisque toutes les tentatives et tous les cris des victimes ont été réduits au silence par les discours ultranationalistes sous prétexte de défendre la souveraineté’’, a-t-elle soutenu.
Selon Mme Belique, ‘‘la réalité actuelle des dominicains d’origine haïtienne après la peine 168-13 et la loi 169-14, est que le processus de restitution des documents des personnes qui avaient déjà un dossier n’a pas été entièrement effectif, puisqu’aujourd’hui, 9 ans après la loi 169-14, il y a encore des personnes dont le dossier n’a pas été audité, ils n’ont donc pas pu accéder à leurs actes de naissance ou à leurs cartes d’identité.’’
Quant à Dr. Amarilys Estrella, elle a encouragé les participants à rejoindre un mouvement de solidarité transnational pour changer la situation des Dominicains d’origine haïtienne en République Dominicaine.
Elle a suggéré un ensemble d’actions à entreprendre pour faire pression sur les autorités dominicaines, notamment s’informer sur ce qui se passe de nos jours en République dominicaine, de ce que les organisations de la République dominicaine partagent dans les médias et sur les sites Web.
Elle a appelé à l’engagement et a solidarité avec les personnes touchées au soutien des personnes et les organisations à l’intérieur du pays, à encourager les chefs religieux aux États-Unis qui s’associent à d’autres chefs religieux de la République dominicaine à se joindre à la lutte pour les droits des Dominicains d’origine haïtienne entre autres.
Dr. Roland Joseph, Kim Thompson, and Dr. Elena Bastidas, ont joué le rôle de facilitateurs.