PORT-AU-PRINCE, lundi 23 octobre 2023– Les experts des Nations-Unies qui ont enquêté sur la criminalité en Haïti, révèlent dans leur rapport que le sud d’Haïti est la principale porte d’entrée de la drogue dans le pays, notamment de la marijuana en provenance de la Jamaïque et de la cocaïne provenant principalement de Colombie, mais aussi d’autres pays d’Amérique du Sud.
Ils affirment que de multiples sources ont informé le Groupe d’experts que les points d’entrée de la drogue se trouvaient sur la côte sud : Jacmel, Anse-à-Pitres, Grand Bois, les Cayes, Dame-Marie et Ile-à-Vache ainsi que Port Salut et Jérémie. Les pistes d’atterrissage clandestines sont nombreuses, notamment à Savane Diane, dans le département de l’Artibonite, et vers le sud et le sud-est, à Jacmel.
Dans leur rapport, ils précisent qu’ à l’issue de visites dans la région, il a été établi que le département colombien de Guajira était un point stratégique pour le transport de cocaïne vers Haïti. Cette information a été corroborée par une source fiable, qui a indiqué que la drogue arrivait de Guajira sur la côte sud d’Haïti par bateau ou par de petits avions pouvant passer sous le radar. Elle traversait ensuite la frontière dominicaine, par voie terrestre, vers Punta Cana, puis vers Porto Rico.
D’après d’autres sources, de petits avions larguaient de la drogue près du lac Étang Saumâtre, à la frontière avec la République dominicaine, et au-dessus du département de l’Artibonite, ajoutent-ils.
Les experts onusiens expliquent qu’aux points de sortie, la majeure partie de la cocaïne est expédiée aux Bahamas dans de petites embarcations et des avions. Port-de-Paix et la petite île de la Tortue, au large de la côte nord-ouest, sont des stations d’expédition stratégiques. Des envois se font également de Miragoane, Saint-Marc ou Cap-Haïtien.
Ils soulignent que plusieurs saisies ont été signalées à Miami River dans le passé. ‘‘Même si les saisies ont baissé ces deux dernières années, les services de détection et de répression nationaux et internationaux ont expliqué que l’instabilité et la faiblesse des contrôles portuaires en Haïti faisaient le lit des activités illicites transnationales, notamment du trafic de stupéfiants.’’
Le rapport indique que le gang 5 Segond a exploité les piètres conditions de sécurité pour générer des revenus supplémentaires grâce au trafic de drogue. D’après certaines sources, la drogue était expédiée directement d’Amérique du Sud vers la zone du Village de Dieu, parfois accompagnée d’armes à feu. Depuis Village de Dieu, Izo bénéficie de l’appui d’autres gangs, tels que Canaan, Gran Grif et Kokorat San Ras, pour acheminer la drogue jusqu’à Port-de-Paix et hors du pays.
Les routes nationales partant de Port-au-Prince sont contrôlées par des gangs, que les trafiquants doivent payer s’ils veulent faire passer leur drogue et leurs armes par leur territoire.
le Groupe d’experts affirme avoir reçu des informations selon lesquelles ‘‘Base Pilate a activement contribué à faciliter le transport de la drogue pour le compte d’individus influents, en utilisant des véhicules blindés munis de plaques d’immatriculation officielles afin d’éviter les contrôles. L’utilisation présumée des plaques d’immatriculation de la police et du gouvernement pour transporter de la drogue et des armes compromet la lutte contre les activités illicites’’, précisent les experts
D’après le Groupe d’experts, le faible nombre de saisies de drogue ne reflète pas le niveau réel du trafic. Le trafic de drogue, qui est une source importante de revenus pour certains gangs, nuit à la paix, à la sécurité et à la stabilité d’Haïti.
Les experts onusiens insistent sur le fait que la faible nombre de saisies de drogue s’explique essentiellement par l’implication de certains acteurs économiques et politiques corrompus du pays, qui s’appuient sur les autorités chargées du contrôle aux frontières, les forces de l’ordre et certains membres du système judiciaire. Certains hommes d’affaires et hommes politiques exercent une influence sur les chefs de département, placent des acolytes à des postes d’autorité clés et profitent des multiples « angles morts » qui existent dans le pays. Ils peuvent ainsi utiliser leurs moyens (bateaux et avions) et leur pouvoir pour acheminer la drogue sans trop d’interférences, y compris en collusion avec les gangs.
‘‘On en veut pour preuve les ambitions expansionnistes d’Izo.’’ Le Groupe d’experts affirme poursuivre son enquête sur cette question, notamment sur les liens entre les élites et les gangs impliqués dans le trafic de drogue, leurs réseaux et leurs modes opératoires.
Les experts précisent, cependant, malgré la difficulté de son mandat et sa capacité opérationnelle limitée , le Bureau haïtien de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS) a saisi environ 104,7 kg de marijuana et 5,4 kg de cocaïne au cours du premier semestre 2023. C’est moins qu’à la même période en 2022, au cours de laquelle 381,4 kg de marijuana et 12,53 kg de cocaïne avaient été saisis.
Les années précédentes, poursuit le rapport, des saisies plus importantes ont été signalées et des opérations antidrogue majeures ont été menées, notamment l’arrestation de Jean Elliobert Jasme (alias « Eddy One »), avec 83,97 kg de cocaïne, en octobre 2020 ; et le démantèlement d’un réseau africain de mules, entre novembre 2021 et juillet 2022, qui a entraîné la saisie de plus de 20 kg de cocaïne et l’interpellation de 16 individus.
Un examen des saisies récentes effectuées par la police a révélé l’existence de multiples routes de la drogue à travers Haïti, soulignent les experts, ajoutant que’’ de novembre 2022 à juillet 2023, de la drogue a été saisie sur la côte sud (Baie des Flamands, les Cayes, Ile-à-Vache et Plaisance-du-Sud) et dans le nord d’Haïti (Cap-Haïtien, Port-de-Paix et Artibonite), mais aussi dans les départements du Centre (Hinche et Mirebalais) et de l’Ouest (Plaisance et Bon-Repos).’’